Intégrer ou réintégrer le marché du travail est un défi de taille pour une personne judiciarisée, pourtant, il s’agit d’une passerelle incontournable pour redevenir un membre actif, et positif, de la société. Onze organismes communautaires spécialisés en employabilité au Québec sont mandatés par Services Québec pour favoriser la réintégration de cette clientèle : par leur accompagnement, ils exercent une véritable fonction de sécurité publique, avec un bénéfice significatif pour toute la communauté. Cependant, la menace de compressions plane sur le réseau, et pourrait avoir pour effet de diminuer les services ou, pis encore, le nombre de personnes desservies.
Une expertise particulière et nécessaire
En moyenne, 3500 individus judiciarisés sont accompagnés chaque année par ces organismes, et ce, au-delà des cibles fixées par Services Québec. Le taux de succès est probant : dans les 12 semaines suivant le début de leur participation, plus de 75 % font un retour à l’emploi. Notons que ce dernier occupe un rôle clé dans une démarche de réintégration sociale, car la récidive de ces personnes est très faible. Des difficultés dans la recherche d’un travail peuvent mettre en péril la réhabilitation sociale des personnes contrevenantes, et le fait d’être sans emploi est un facteur contributif à la criminalité.
L’expertise particulière des organismes en employabilité spécialisés avec la clientèle judiciarisée adulte leur permet d’offrir un continuum de services qui va plus loin qu’un accompagnement à l’emploi. Avant d’être en recherche professionnelle, ces personnes peuvent avoir plusieurs besoins de soutien, tels que pour trouver un logement, suivre une formation, refaire des papiers ou terminer leur secondaire. La réintégration socioprofessionnelle n’est pas un parcours linéaire, et les personnes judiciarisées sont souvent en rattrapage face aux compétences techniques et sociales nécessaires au marché. Sans cet accompagnement tous azimuts, leur démarche serait un échec couru d’avance.
De plus, la clientèle judiciarisée représente environ 14 % de la population québécoise : un bassin intéressant pour combler les besoins d’effectifs auprès des entreprises. Malheureusement, elle fait face encore à de nombreux préjugés qui constituent un frein à l’obtention d’un travail. Ces organismes œuvrent aussi à sensibiliser les employeurs et la population pour faire preuve d’ouverture et de sensibilité envers ces individus qui doivent reprendre une place en société.
Un investissement très rentable
En matière de retombées économiques, ces services s’avèrent très rentables pour le gouvernement du Québec, qui en tire un bénéfice net de 320 millions sur une période de 30 ans (Comité consultatif pour la clientèle judiciarisée adulte, 2014).
Cette rentabilité est encore plus importante si on prend également en compte les bénéfices et les autres avantages qu’apporte cet accompagnement pour les personnes judiciarisées, leurs proches, les employeurs et la société en général. En fait, le bénéfice social net s’élève à 23,7 millions sur une base annuelle et de 834 millions sur une période de 30 ans. Ces économies sont réalisées sur les retombées économiques positives d’exercer un emploi (payer ses impôts, ses taxes, contribuer à la vie économique, etc.) et en limitant les coûts (ne pas être sur l’aide sociale, ne pas être en détention puisqu’occuper un emploi est un facteur qui diminue la récidive, etc.).
Toutefois, cette expertise nécessaire pour notre société n’est ni reconnue ni protégée. Les compressions de 25 % évoquées par Services Québec d’ici 2027 sont très inquiétantes pour les services à cette clientèle considérée comme vulnérable en termes d’employabilité, qui est de plus en plus présente et avec des besoins grandissants. Elles pourraient se traduire par une baisse de la réponse aux besoins de main-d'œuvre, une hausse de la criminalité et des enjeux de sécurité publique évidents pour tous.
De plus, les personnes judiciarisées sont normalement considérées comme une clientèle spécifique et prioritaire par Services Québec. Comment justifier les compressions annoncées dans ce contexte et face à un enjeu de sécurité publique, alors que ces organismes réalisent et dépassent leurs cibles d’accompagnement ?
Signataires :
- David HENRY, directeur général de l'association des services de réhabilitation sociale du Québec ;
- André SIMARD, Directeur général, Equitem ;
- Bruno PARÉ, Directeur des opérations, C.R.P.J Inc (OPEX) ;
- Patrick PILON, Directeur général Réhabex et programme jeunesse IDJE ;
- Marie-Lyne BERNARD, directrice, Service d'aide à l'emploi de l'Est, affilié à Société Emmanuel-Grégoire inc. ;
- Claudine BERTRAND, Directrice générale Via-Travail inc. ;
- Mylène CASTONGUAY, Directrice générale, L'Orienthèque ;
- David PARADIS, Directeur général, service d’aide à l’emploi pour personnes judiciarisées La Jonction ;
- Maryse PARÉ, Directrice Employabilité et Itinérance, les YMCA du Québec ;
- Benoit ROBINEAU, Directeur général, Service d'intégration au marché du travail de la Montérégie ;
- Marie-Christine ROY, M. Ed., Superviseure clinique du Pavillon L’Entre-Temps, Accès-Emploi et PAJIC / PAJ-SM, REHAB ;
- Danie ST-YVES, Directrice générale, Maison Radisson inc.