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Articles et textes signés par l'ASRSQ

Par Patrick Altimas,
directeur général de l’ASRSQ

Crise budgétaire et nouvelles places en détention: Cherchez l’erreur

Tous les gouvernements font présentement face à une crise budgétaire nécessitant que l’on procède à un examen rigoureux de leurs dépenses. L’objectif est de trouver des moyens pour réduire les déficits appréhendés. Soucieuse de contribuer à cet exercice d’assainissement des dépenses publiques, l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ) estime qu’il y a nécessité de remettre en question certaines décisions en matière correctionnelle déjà annoncées tant à Ottawa qu’à Québec. Il est en effet prévu d’ajouter de nouvelles places en détention ce qui, conséquemment, provoquera une augmentation importante des dépenses publiques à un moment où on cherche à limiter celles-ci. L’argument massue que l’on nous sert pour justifier cela est LA SÉCURITÉ PUBLIQUE. Qu’en est-il vraiment? Regardons la situation au Québec.

Le gouvernement du Québec annonçait récemment qu’il avait procédé à des « investissements » majeurs qui mèneront à l’ajout de 1 100 places en détention. Bien que tous reconnaissent que plusieurs équipements carcéraux nécessitaient des travaux de rénovation majeure, cela justifie-t-il l’ajout de places additionnelles et donc des coûts liés à la gestion de celles-ci? Le ministère de la Sécurité publique invoquera l’état de surpopulation actuelle des prisons québécoises et s’appuiera sur un des scénarios contenu dans une étude prospective sur les besoins de places en détention effectuée il y a déjà quelques années. Un débat public sur la question n’a jamais pu avoir lieu malgré une promesse de la part du ministre en ce sens. Nous sommes alors en 2005.

L’ASRSQ conteste, depuis plusieurs années, les conclusions auxquelles arrive le ministère à partir de l’étude produite. Rappelons-nous que nous assistons à une diminution importante de la criminalité au Québec depuis plusieurs années. Comment se fait-il que nous nous retrouvions en situation de surpopulation carcérale? Bien sûr, il faut prendre en considération le fait qu’il y a eu explosion du nombre de personnes incarcérées en attente de procès durant cette même période. Cela n’explique pas tout. L’ASRSQ considère qu’il y a lieu de se questionner par rapport aux politiques et pratiques correctionnelles actuelles, lesquelles contribuent grandement à créer artificiellement cette surpopulation en milieu carcéral. De l’approche débonnaire d’il y a quelques années («Tout le monde dehors!»), on semble être passé à une approche des plus frileuses («Tout le monde en-dedans!») et ce, sans commune mesure avec les besoins réels d’encadrement des personnes concernées ni de la sécurité publique.

Nous ne remettons surtout pas en question la nécessité d’adopter des pratiques correctionnelles qui favorisent la sécurité publique. En ce sens, la Loi sur le système correctionnel du Québec, en vigueur depuis le 5 février 2007, est claire. Elle est aussi très éloquente à l’effet que la réinsertion sociale est la priorité du système correctionnel. Ce principe est établi dès l’article 1 de la Loi. Rappelons-nous que toute personne condamnée à une peine à être purgée dans un établissement carcéral provincial sera libérée tôt ou tard, le plus tard étant dans environ 16 mois. Si elle l’est à ce moment-là, soit aux deux tiers de sa peine, elle se retrouve en liberté sans aucune forme d’encadrement. Si la réinsertion sociale est bien préparée et planifiée, cette même personne peut alors bénéficier de mesures de réinsertion progressives, comme un séjour en maison de transition, impliquant un encadrement rigoureux et un appui communautaire important à sa démarche de réintégration.

La réalité des dernières années nous démontre que de moins en moins de personnes incarcérées bénéficient de mesures communautaires encadrantes pour se retrouver dans nos communautés, laissées à elles-mêmes. On n’a qu’à constater la sous-utilisation chronique des places d’hébergement en maison de transition depuis 2007, alors que, pendant qu’on décriait une situation de surpopulation carcérale, on éliminait 37 places d’hébergement communautaire et transitoire au Québec. Cherchez l’erreur, car il en coûte au moins deux fois moins d’héberger une personne en maison de transition que dans une prison. De façon plus importante, le séjour en maison de transition offre de meilleures garanties en matière de sécurité publique en permettant un encadrement et un suivi favorisant la responsabilisation de la personne qui s’y retrouve. La prison, elle, et c’est parfois nécessaire, ne fait bien souvent que « garder » pendant un certain temps sans nécessairement préparer le retour dans la communauté de la personne gardée. Et ce, à un coût très élevé.

L’ASRSQ considère que l’exercice auquel le gouvernement du Québec convie la société québécoise appelle une révision des politiques et pratiques qui engendrent la surpopulation carcérale. Cela implique que le ministère de la Sécurité publique renoue avec les fondements mêmes de la Loi sur le système correctionnel du Québec, qui met l’accent sur la réinsertion sociale des personnes contrevenantes plutôt que sur l’incarcération de celles-ci. L’incarcération doit demeurer une mesure de dernier recours. Tant du point de vue budgétaire que de celui de la sécurité publique, l’approche communautaire structurée et encadrée est nettement plus efficace et efficiente que l’approche carcérale. L’ASRSQ invite donc le gouvernement à refaire ses devoirs et ses membres se feront un devoir de mettre à profit leur expertise dans les débats.