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Articles et textes signés par l'ASRSQ

Par David Henry,
coordonnateur aux programmes et aux communications, ASRSQ

Un registre public des agresseurs sexuels : une illusion de sécurité

Dans un article publié hier dans Le Devoir, Mme Hélène Buzzetti rapportait l'intention du gouvernement fédéral de mettre en place une base de données publique fichant les agresseurs sexuels d'enfants. Je suis convaincu que ce projet est basé sur de bonnes intentions, le gouvernement souhaite ainsi protéger la population contre de dangereux agresseurs potentiels. Au premier abord, selon notre « gros bon sens », on peut effectivement penser que c'est une bonne idée mais un examen plus attentif des données et des expériences menées dans d'autres pays doit être fait pour mesurer l'efficacité réelle de cette mesure.

Quelques chiffres

Dans 89% des délits de nature sexuelle commis à l'égard d'un enfant, l'agresseur connaissait la victime. Dans les cas d'agressions sexuelles contre des personnes adultes, la proportion diminue à 74% (Sécurité publique du Québec, 2010). Dans plus de la moitié (51 %) des incidents d'agression sexuelle (victimes mineures et majeures), l'auteur est un ami, une connaissance ou un voisin de la victime (Statistique Canada, 2010). Vous voulez protéger vos enfants des agresseurs sexuels ? Statistiquement, vous devriez vous méfier 9 fois plus des membres de votre famille et de vos connaissances… La plupart des agressions sexuelles commises envers des enfants se déroulent au sein du cercle familial élargi (ce qui explique aussi pourquoi une part importante de ces agressions ne sont pas rapportées à la police). À quoi peut donc servir un registre dans ces cas ? À rien, la victime connaît très bien son agresseur et connaît déjà son adresse, elle vit avec parfois !

Il est vrai qu'il existe aussi une petite catégorie de délinquants sexuels qui peuvent être considérés comme des prédateurs sexuels. Ils font de nombreuses victimes et attaquent des personnes prises au hasard ou qui leur sont inconnues. Il faut évidemment neutraliser ces individus qui sont extrêmement dangereux. Il existe une disposition législative qui permet de classer ces individus comme « délinquants dangereux ». Il est possible (et cela se fait actuellement) de détenir indéfiniment en prison une personne déclarée délinquant dangereux car justement sa remise en liberté constituerait un trop grand risque pour la sécurité de la communauté. Nous avons donc déjà un puissant outil légal pour protéger nos enfants et nos communautés à long terme.

Retour dans la communauté

Les conditions entourant ce registre demeurent floues et il semble que la volonté du gouvernement soit d'y inscrire les agresseurs sexuels d'enfants à risque élevé. Selon le projet de loi, on définit alors par risque élevé les agresseurs sexuels qui font l'objet d'un avis d'intérêt public de la part des services de police. Il faut signaler qu'un très petit nombre de personnes par année font l'objet d'un tel avis. Par ailleurs, le projet de loi introduit la notion de « prédateur sexuel » mais sans que cette notion ne soit définit. Si le gouvernement étend le nombre de personnes fichées dans le registre alors le risque de dérapages est bien réel. Aux États-Unis, le registre public des délinquants sexuels a entraîné des situations où la population s'est fait justice elle-même en allant jusqu'au meurtre (voir l'article de Mme Buzzetti). Récemment, le Journal de Montréal publiait une prétendue carte des agresseurs sexuels sur l'île de Montréal. Des vérifications ont montré que les informations étaient inexactes puisque le journaliste avait inclus des personnes qui étaient accusées d'agression sexuelle mais qui n'étaient pas encore reconnues coupables et tant pis pour la présomption d'innocence… Un homme du Nouveau-Brunswick s'est vu attribuer par erreur un casier judiciaire (Acadie Nouvelle, 18 février 2014) et sa vie en a été très affectée notamment au niveau de ses emplois. Imaginez les conséquences énormes en cas d'erreurs ou d'inexactitudes au niveau d'un registre public des délinquants sexuels!

La publication d'un registre public pourrait créer également des dommages importants auprès de la famille et de l'entourage de ces délinquants. Une conjointe ou ex-conjointe n'a pas à être associée aux comportements de son mari, pourtant il est évident qu'elle en subirait des conséquences sociales importantes. Les enfants d'un délinquant sexuel n'ont rien à voir avec le délit, comment seront-ils accueillis à l'école par les autres enfants si on placarde la photo de leur père sur les poteaux du quartier?

Nous devons nous poser une question fondamentale. Si nous ne sommes pas prêts à accepter le retour d'un délinquant dans la communauté une fois qu'il a purgé sa sentence et que nous l'empêchons de reprendre sa place alors pourquoi le libérer?

Quelle efficacité?

Un tel registre ne permettra pas de prévenir de nouvelles agressions sexuelles puisque dans la plupart des cas l'enfant connait déjà son agresseur. Les données contenues dans le registre doivent être valides et vérifiées sur une base presque quotidienne, notamment au niveau des changements d'adresse pour être efficace. Les risques de justice personnelle sont réels et pourraient mener à des situations atroces et surréalistes (une petite fille (victime) qui voit son père/frère/oncle/grand-père/(agresseur) se faire lyncher par une foule en colère). Il ne facilitera pas la réinsertion sociale des personnes contrevenantes ce qui à terme augmente le risque de récidive.

Il faut finalement rappeler que le traitement et l'encadrement dans la communauté demeurent les moyens les plus efficaces de protéger nos communautés. D'après une recherche menée en 2004 par la Sécurité publique et protection civile du Canada, 15 ans après leur mise en liberté, 73% des délinquants sexuels n'avaient pas été accusés d'une nouvelle infraction sexuelle ou condamnés pour une nouvelle infraction sexuelle (il existe toutefois des différences notables au niveau des taux de récidive selon le type de délinquant sexuel. Par exemple, les violeurs de femmes adultes ont tendance à présenter des taux de récidive plus élevés que les auteurs d'inceste). Il faut également rappeler que les délinquants sexuels qui suivent un traitement sont moins portés à récidiver que ceux qui n'en suivent pas, soit 17 % contre 10 % chez les délinquants ayant suivi un traitement (Sécurité publique Canada).

Le registre des agresseurs sexuels ne fait que créer un faux sentiment de sécurité parmi la population. Nous ne devons pas céder à la panique ou croire en des solutions magiques, la délinquance sexuelle est un phénomène complexe qui a de nombreuses ramifications et implications et nous devons nous interroger sur les bénéfices réels de mettre en place cet outil.