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Articles et textes signés par l'ASRSQ

Par Johanne Vallée,
directrice générale, ASRSQ

Pourquoi dire oui à la réhabilitation et à la réinsertion des contrevenants adultes?

L’Association a pour mission d’encourager et de supporter la participation des citoyens dans l’administration de la justice pénale, la prévention du crime et la réinsertion sociale des contrevenants adultes.

À l’occasion, les bulletins de nouvelles et les médias écrits font état d’événements malheureux qui démontrent que le système de justice pénale ne fonctionne pas toujours comme une machine bien rodée et que la réhabilitation sociale des contrevenants constitue un réel défi.

Des incidents tels que ceux qui ont mené à la libération prématurée du présumé meurtrier du petit Alexandre Livernoche et la libération anticipée de caïds de la drogue, nous laissent souvent un goût amer. Pour dire vrai, plusieurs d’entre-nous aurions tendance à abandonner l’approche de réhabilitation en faveur d’une approche plus répressive préconisant l’enfermement des délinquants sans oublier de jeter la clé de leur cellule par la fenêtre !

Il est bien tentant d’en arriver là. Cependant, l’expérience nous démontre qu’il s’agit là d’un piège important puisque l’approche répressive ne donne pas de meilleurs résultats. Bien au contraire, elle favorise souvent la récidive et à fort prix.

L’échec de l’approche répressive

Les Américains ont opté pour l’utilisation massive de l’incarcération au point où elle est devenue une véritable industrie. Ainsi, le budget du service correctionnel de l’État de la Californie est maintenant supérieur au budget de l’éducation supérieure. Et l’on prévoit que d’ici la prochaine année 18% du budget de l’l’État sera consacré aux activités correctionnelles alors que seulement 1% ira à l’éducation. Malgré cet investissement majeur dans la répression, le nombre d’homicides par 100,000 habitants est de 7,5 tandis qu’au Canada le taux d’homicides est de 2 par 100 000 habitants.

Pour conclure sur l’approche répressive et ses limites on doit se pencher sur la remise en liberté. Car tôt ou tard, les détenus retournent dans la rue. Toujours chez nos voisins du sud, des États ont décidé d’abolir la libération conditionnelle qui permet un retour progressif et contrôlé en société. Si bien qu’aujourd’hui, la libération d’un nombre important de détenus, presque à la toute fin de leur sentence, pose un défi majeur aux autorités américaines. Le retour massif d’individus dans leur communauté, alors que cette dernière a considérablement changé avec le temps, pose problème. Ils devront se trouver un emploi, se refaire un milieu de vie. Pourtant, ils sont plus vieux, fortement institutionnalisés et sans aide ni surveillance véritables.

De plus, les coûts économiques associés à l’approche répressive sont considérables. On doit considérer l’utilisation massive de la détention qui comprend les coûts de construction des établissements et les coûts d’entretien des détenus. Enfin, lorsqu’au terme de la sentence c’est l’échec qui nous guette, l’investissement massif dans le béton aura-t-il été payant? Non!

D’autant plus que les criminologues américains doutent sérieusement de la capacité de ces détenus à réintégrer avec succès la société. Dans les faits, la recherche démontre que la réintégration graduelle sous surveillance faisant suite à une période de détention ayant contribué à changer le comportement délinquant, est davantage gage de succès.

La réhabilitation et la libération graduelle - Une approche payante

En tant que contribuables, nous sommes tous préoccupés par l’utilisation judicieuse des impôts versés. En matière pénale et correctionnelle cela se traduit par une gestion efficace des sentences. À notre Association, les citoyens engagés croient à la réhabilitation mais pas à n’importe quel prix. Ils veulent que le comportement criminel de certains individus soit réprimé, que ces derniers changent et reprennent une place active dans la société. En d’autres mots, ces mêmes citoyens veulent que les mesures utilisées soient efficaces à moyen et à long termes, tout en assurant la protection de la société.

Bien que l’approche actuelle reste à parfaire, elle demeure, sous l’angle du rapport " coûts/bénéfices ", la plus adéquate. Celle-ci favorise le recours aux mesures alternatives à l’incarcération. Lorsque l’incarcération est nécessaire, la période de détention favorise le changement de comportement et au moment de la libération, le contrevenant est sous surveillance. Cela veut dire, qu’en cas de changements négatifs dans son comportement un responsable pourra le retourner au pénitencier. Ainsi, ces retours en détention ont un caractère préventif et nous permettent d’éviter la récidive.

Enfin, chaque détenu doit faire l’objet d’une bonne évaluation car le délit ne révèle pas toujours le degré de danger réel de la personne délinquante et n’explique pas l’origine de son comportement. L’évaluation permet de saisir ces informations et de nous éclairer quant au potentiel du délinquant. Autrement dit, au terme de l’évaluation on devrait connaître davantage ses forces et ses faiblesses, le niveau d’encadrement requis pour qu’il change.

Lorsque les autorités respectent bien les prémisses de cette approche, les taux de succès sont excellents. Ainsi, on parle d’un taux de succès de 90% pour les détenus sous juridiction fédérale, soit pour les sentences de 2 ans et plus.

C’est sous juridiction fédérale que les cas les plus graves se retrouvent. On parle entre autres des meurtriers. C’est d’ailleurs cette catégorie de détenus qui obtient un des plus grands succès de réhabilitation. Cela s’explique probablement par le fait que le crime commis est tellement grave que l’on convient facilement d’investir massivement dans les programmes de réhabilitation et la surveillance de ces derniers.

Les pièges

Mais voilà un piège majeur c’est-à-dire, calibrer le niveau d’intervention uniquement sur la base du délit. Ce piège a conduit aux événements auxquels nous faisions référence au début de cet article.

Tant dans le cas du présumé meurtrier d’Alexandre Livernoche que dans le cas de la libération des caïds de la drogue (par exemple le cas de Monsieur Lagana), la même erreur s’est produite. Dans les deux cas, les décisions ont été prises sur la base du délit commis par la personne sans tenir véritablement compte du profil des individus qui se cachent derrière le geste commis.

En ce qui concerne le présumé meurtrier Bastien, celui-ci était à l’époque incarcéré pour un délit mineur. C’est uniquement sur la base de ce délit que les autorités carcérales ont décidé de le libérer. On a fait abstraction de son passé et sa " dangerosité " réelle n’a pas été évaluée.

Dans le deuxième cas, ce n’est pas le jugement des autorités correctionnelles qui est en cause mais la loi. Lors de récentes modifications le législateur a introduit un " vice " en insistant sur la notion de crime violent vs crime non violent. La nature du délit oriente donc la manière dont le délinquant sera pris en charge. Lorsqu’il ne s’agit pas de crime contre la personne, au sens de la loi, on présume que le risque de récidive est acceptable. Or, on met de côté le profil de l’individu et l’univers (celui du crime organisé) dans lequel il opère.

Dans ces deux cas, la peine perd de son sens et l’on s’éloigne d’un principe pourtant précieux en réhabilitation, soit l’individualisation de la peine. On tombe malheureusement dans des automatismes souvent lourds de conséquences.

Les améliorations à apporter

Certains de ces pièges pourraient être évités. Notre Association s’est penchée sur la question et a formulé des suggestions pour améliorer le système. Mais avant de les énumérer, il importe d’apporter des éléments d’éclaircissements sur le système actuel particulièrement sur qui fait quoi. Débutons par la distinction entre le provincial et le fédéral. Un individu qui reçoit une sentence de deux ans moins un jour ou qui est en attente de procès ou de sentence, se retrouve sous la responsabilité du gouvernement provincial. Les sentences de deux ans et plus sont sous responsabilité fédérale.

Lorsqu’un individu est incarcéré, il peut bénéficier de différentes mesures de remise en liberté. Il s’agit d’absences temporaires avec ou sans escorte, de placement extérieur etc. Pour une partie de ces mesures, c’est le directeur de la prison (pour le provincial) ou du pénitencier (pour le fédéral) qui a la responsabilité de la décision.

Les commissions des libérations conditionnelles provinciales et fédérale sont quant à elles, des entités indépendantes du pouvoir du directeur du centre de détention et sont régies par des lois spécifiques. Lorsqu’elles décident de remettre un individu en liberté, elles déterminent les conditions auxquelles il devra se soumettre pour assurer sa réhabilitation et la sécurité du public. Ces mêmes commissions ont le pouvoir de suspendre la libération accordée, de modifier les conditions ou de la révoquer.

Enfin, lorsqu’un individu se retrouve en libération conditionnelle il n’est pas libre. Bien au contraire, il doit se soumettre à une série de contrôle qui va du test d’urine, pour vérifier sa consommation d’alcool ou de drogue , à la permission de changer d’emploi ou de lieu de résidence, en passant par des vérifications à domicile, sur le lieu de travail, etc. Ainsi, le libéré conditionnel poursuit dans la société sa sentence et jusqu’à l’expiration de cette dernière il est un détenu que l’on peut ramener en tout temps en milieu carcéral.

Passons maintenant aux suggestions concrètes susceptibles d’améliorer la situation actuelle. La première amélioration à suggérer touche tant le provincial que le fédéral. Il s’agit d’assurer l’individualisation de la sentence en débutant par une bonne évaluation de la personne contrevenante. Nous en avons déjà parlé plus haut.

La deuxième amélioration suggérée touche particulièrement le système provincial. Dans ce cas, l’objectif est de clarifier le pouvoir de remise en liberté des différentes instances décisionnelles, soit le pouvoir du directeur de la prison et de la Commission québécoise des libérations conditionnelles (CQLC). Comme nous l’avons déjà suggéré, suite au meurtre d’Alexandre Livernoche, la CQLC devrait être la seule instance à pouvoir octroyer toute forme de remise en liberté. Ainsi, on éviterait un chevauchement des pouvoirs décisionnels qui a malheureusement, dans le cas Livernoche, été accompagné d’une conséquence dramatique.

Enfin, toujours au niveau provincial, on devrait reconnaître que bien que les contrevenants aient commis des délits moins graves, la nature de leurs problèmes nécessite un investissement stratégique en programmes de réhabilitation et en moyens pour assurer une bonne supervision une fois leur libération venue.

En conclusion, la réhabilitation demeure une solution viable et efficace mais son succès est conditionnel aux ressources disponibles et au respect intégral des étapes qui l’accompagne. L’objectif étant la sécurité des citoyens et le mieux-être de nos communautés.