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Articles et textes signés par l'ASRSQ

Par Josée Rioux,
Présidente

et Patrick Altimas,
Directeur général, ASRSQ

La politique du désespoir

Le 11 avril 2012, dans la foulée des coupures budgétaires prévues dans le Budget fédéral, le Service correctionnel du Canada (SCC) annonçait «l'exécution sommaire» du programme reconnu internationalement et récipiendaire de prix d'excellence connu sous le nom Option vie. Il en a été très peu question dans les médias et nous croyons que cela mérite l'attention des citoyens.

Le programme Option vie est né en 1991 grâce à un partenariat développé entre les autorités correctionnelles fédérales, des organismes non gouvernementaux et des personnes condamnées à perpétuité. Il a été créé suite à une reconnaissance que les personnes ainsi condamnées présentent des besoins très particuliers dès leur admission au pénitencier, durant leur séjour et au moment de réintégrer la société. En date d'avril 2011, le ministère de la Sécurité publique du Canada dénombrait 5 136 personnes purgeant des sentences à perpétuité ou indéterminées. De ce nombre, 1 859 vivaient dans la communauté. Cela représentait 22,4% de la population correctionnelle fédérale à cette date.

Le programme fait appel à des intervenants/accompagnateurs qui appuient les efforts des intervenants du Service correctionnel du Canada, tant en établissements que dans la communauté, pour venir en aide aux personnes vivant de longues périodes d'incarcération. Cela a permis de créer de l'espoir pour des gens qui, au début de leur sentence, n'en avaient presque plus. Cela aura permis d'aider ces hommes et femmes à adopter des comportements constructifs durant leur période d'incarcération, de mieux préparer leur sortie et de compter sur des appuis essentiels en communauté pour devenir des citoyens productifs et respectueux des lois. L'«exécution sommaire» de ce programme, reconnu comme innovateur par le SCC sur son site internet, risque fort de créer du désespoir pour les milliers de détenus et libérés, qui, à partir du 31 août 2012, ne pourront plus bénéficier des conseils, du support et de l'encadrement du programme Option vie.

Cette décision vient dans la foulée de plusieurs autres décisions et mesures législatives créatrices de désespoir depuis 2006. Rappelons l'abolition de la «clause de dernière chance», laquelle permettait à un condamné à perpétuité de faire réduire sa période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle à 15 ans lorsque celle-ci était supérieure à 15 ans; l'abolition de la mesure de mise en liberté expéditive pour les cas de délinquance non violente; la mise en place d'un nombre grandissant de sentences minimales d'emprisonnement et une réduction substantielle du recours à la peine d'emprisonnement avec sursis; l'abolition de la notion de pardon ou de réhabilitation dans la Loi sur le casier judiciaire et son remplacement par la notion de mesure de «suspension du casier judiciaire» (criminel un jour, criminel toujours); les restrictions majeures à l'admissibilité à cette mesure et l'augmentation considérable de la période d'inadmissibilité (de 3 à 5 ans et 5 à 10 ans, selon le cas); la décision d'augmenter de 320 % (de 150 $ à 631 $) les frais de service exigés pour le traitement d'une demande de suspension de casier judiciaire; et il est à prévoir que d'autres décisions ou mesures législatives viendront davantage réduire l'espoir des personnes contrevenantes.

Ces décisions et orientations législatives sont, selon le gouvernement du Canada, conçues pour répondre aux besoins des victimes et dans l'esprit d'assurer une meilleure protection de la société. Or, elles nous apparaissent davantage comme l'application d'une politique du désespoir qui instrumentalise les victimes et fait fi de la recherche et des données probantes en matière de justice et de programmes correctionnels efficaces. Sur ce dernier point, le bureau du ministre de la Sécurité publique du Canada veut nous faire croire que sa décision d'«exécuter» Option vie repose sur la recherche. Depuis quand ce gouvernement se fie-t-il aux données probantes et à la recherche? Rappelons-nous la visite du ministre de la Justice du Québec où ce dernier demandait à son homologue fédéral de lui fournir les recherches sur lesquelles il se basait pour l'élaboration du Projet de loi Omnibus C-10. La réponse fut qu'on ne se fiait pas à la recherche. Une politique du désespoir ne peut pas mener à une sécurité publique accrue, bien au contraire. A-t-on besoin d'illustrer qu'enlever l'espoir aux gens ne mène pas à un désir de s'amender et d'adopter des comportements constructifs, mais relève plutôt du ressentiment, de la hargne et de la vengeance susceptibles de conduire vers des conséquences importantes sur la sécurité publique?

Le programme Option vie crée de l'espoir en ne négligeant pas l'encadrement, le développement d'outils et l'accompagnement, dans un cadre sécuritaire, des personnes condamnées à perpétuité. Celles-ci, rappelons-le, seront sous le coup de leur sentence jusqu'à la fin de leur vie. Mieux vaut que ce cheminement se fasse de façon positive et productive, non? Et rappelons aussi qu'une minorité de personnes condamnées à perpétuité ne pourra jamais profiter des services d'Option vie dans la communauté, car elles demeureront incarcérées toute leur vie à cause des risques élevés de récidive qu'elles représentent.

La politique du désespoir, se traduisant par l'augmentation du nombre de personnes incarcérées, de plus longues périodes d'incarcération, des mesures davantage restrictives, la surpopulation envisagée dans nos prisons, l'élimination de la notion de pardon ou de réhabilitation, etc. ne garantit aucunement une meilleure sécurité publique. Le gouvernement crée de faux espoirs en tentant de faire croire que ses politiques sont mises en place dans l'intention de garantir la sécurité du public. Des rues et des communautés sûres et paisibles sont mieux assurées en permettant une réinsertion sociale structurée des personnes judiciarisées qui se retrouveront tôt ou tard dans la communauté.


L'Association des services de réhabilitation sociale du Québec fête 50 ans d'existence en 2012 et représente 61 organismes communautaires et regroupements situés dans presque toutes les régions du Québec et actifs dans les domaines de la prévention de la criminalité, de la réinsertion sociale des personnes délinquantes adultes, tout en contribuant à l'amélioration de la justice traitant de la délinquance. Par leurs actions, les professionnels et citoyens bénévoles du réseau de l'ASRSQ contribuent directement à maintenir des communautés sûres et paisibles.