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Articles et textes signés par l'ASRSQ

Par Line Bernier,
Psychologue, présidente du RIMAS

et Johanne Vallée,
Criminologue, directrice générale de l’ASRSQ

Registre des délinquants sexuels : solution facile mais inefficace!

Lors de notre comparution devant le Comité permanent de la Chambre des communes sur la Justice et les droits de la personne chargé d’étudier le Projet de loi C-23, lequel propose la création d’un registre des délinquants sexuels, nos organisations en ont beaucoup appris sur les écueils dudit projet. Le 3 juin dernier, l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ), composée de 41 organisations à travers le Québec dirigées par des citoyens animés par la volonté de contrer les problèmes de la criminalité, et le Regroupement des intervenants en matière d’agressions sexuelles (RIMAS), composé d’intervenants de divers milieux aux spécialités diverses (psychiatrie, psychologie, criminologie, service social, etc.) comparaissaient dans le but de livrer un plaidoyer en faveur de l’accroissement de la sécurité du public, rappelant que le projet de registre ne rencontrait malheureusement pas cet objectif.

Au cours des audiences, nos organisations ont pris connaissance de données qui renforcent leur position. Ainsi, le Solliciteur général lors de sa comparution expliqua que les coûts d’implantation du registre étaient estimés à 2 millions et que l’entretien du système engendrerait des coûts annuels de 400 000$. Plusieurs ont démontré un grand scepticisme face aux estimés du ministre Easter puisque l’Ontario possède un tel registre et qu’il en coûte, aux contribuables ontariens, 4 millions$ par année pour le fonctionnement de cet outil. Enfin, on a expliqué que d’autres coûts seraient assumés par les provinces puisque c’est à leur niveau que la cueillette des informations serait assurée. Les frais assumés par les provinces n’ont pas été divulgués.

De notre point de vue, il serait extrêmement dommage que le Québec investisse dans ce registre jugé par plusieurs, comme étant inefficace. Il serait d’autant plus injustifiable de la part du Québec de dépenser des sommes dans cet outil alors qu’il tarde depuis maintenant 1 an à implanter la Loi sur le système correctionnel du Québec, loi développée suite au meurtre d’Alexandre Livernoche. Ce retard s’expliquerait par le manque de ressources financières. Il serait plus sage, selon nous, que le Québec veille à respecter ses propres engagements législatifs. D’autant plus que la Loi prévoie des solutions qui favoriseront la protection du public, dont une meilleure évaluation des délinquants, l’accessibilité à des programmes de traitement, un encadrement et une surveillance adéquats des contrevenants purgeant leur sentence dans la communauté.

Ces éléments de solutions font partie de l’ensemble des mesures qui peuvent favoriser une meilleure protection du public face aux agresseurs sexuels. Également, de son côté, le RIMAS a, au cours des dernières années, rencontré de multiples décideurs politiques afin d’ expliquer le manque de ressources au niveau du traitement des agresseurs sexuels et le fait qu’il était impérieux d’assurer, sur l’ensemble du territoire québécois, des services de traitement et d’encadrement des agresseurs sexuels. Si on sait comment intervenir afin de réduire la récidive, il semble bien que l’accès à ces services soit très restreint, voire impossible selon la région où l’on se situe.

La nouvelle Loi sur le système correctionnel du Québec de même que les services de traitement et d’encadrement des agresseurs sexuels, ne constituent pas des outils superflus mais bien des minimums vitaux pour assurer l’efficacité du système correctionnel.

Si nos gouvernements sont si à court de ressources, il serait nettement plus sage de miser sur un outil différent du registre proposé, qui soit à tout le moins plus efficace. La solution éventuelle que nous proposons consiste à mieux cibler les délinquants les plus à risque de récidive violente. Et cela est possible dès que le processus judiciaire s’enclenche. Il est possible à peu de frais d’évaluer le risque d’un individu. Pour ces personnes, le Tribunal devrait recourir à ce que l’on appelle la surveillance de longue durée. Contrairement au registre proposé, cette mesure permet de savoir avec exactitude où vit le délinquant sexuel et a pour autre avantage de le surveiller et de le traiter. On peut donc accumuler des informations sur son modus operandi et si nécessaire poser des actions à caractère préventif . Enfin, nous sommes d’avis qu’en ciblant les délinquants sexuels les plus à risque on évitera de surcharger les systèmes d’informations peu utiles. Il faut plutôt s’assurer de la bonne qualité des informations et de la collaboration entre les policiers et les personnes chargées de la surveillance.

Le projet de loi actuel sur le registre n’assure en rien la qualité des informations puisque c’est sur une base volontaire que le délinquant transmettra les informations sur son lieu de résidence, et sur ce point le projet ne prévoit aucune mesure de vérification des renseignements versés. Dans le cas les victimes d’agressions intra familiales, celles-ci connaissent déjà le lieu de résidence de leur agresseur. Un registre conçu à cet effet n’a donc aucune utilité dans ce contexte.

Par ailleurs, en visant l’ensemble des délinquants sexuels, le législateur risque d’entraîner des effets pervers touchant ce même groupe de victimes. En effet, le projet prévoit que lorsque le délinquant ne respectera pas l’ordonnance de s’enregistrer, il sera passible d’une amende de 10 000$ et ou d’incarcération. Deuxièmement, en raison des liens émotifs qui unissent la victime et l’agresseur, peu de victimes portent plainte à la police. Devant les pénalités qu’entraîne le non respect du registre, des victimes risquent de se désister encore davantage, craignant les conséquences à long terme pour elles et l’agresseur.

En conclusion, il est important de rappeler que suite à l’affaire Dutroux, des représentants des autorités belges et d’autres pays de la francophonie sont venus au Québec rencontrer les spécialistes d’ici pour s’enquérir des modèles d’intervention et d’encadrement des délinquants sexuels les plus prometteurs en efficacité. Il serait dommage que par excès d’humilité nos gouvernements ne participent pas à l’implantation de ces modèles sur leurs propres territoires. La délinquance sexuelle est un crime grave qui suscite beaucoup d’émotions. Il ne faudrait pas que nos gouvernements tombent dans le piège de la solution facile qui apaise les émotions mais qui concrètement ne favorise pas la protection du public. Les citoyens québécois et canadiens méritent mieux.