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Articles et textes signés par l'ASRSQ

Par Johanne Vallée,
directrice générale, ASRSQ

Les règles de libération doivent être repensées

Lorsqu’une personne est victime d’un crime grave tel que le meurtre, et que le meurtrier s’avère être un récidiviste sous surveillance, c’est pour l’ensemble des intervenants un constat d’échec douloureux. Cet échec oblige une évaluation rigoureuse des pratiques, du processus de remise en liberté et de l’encadrement des libérés.

L’Association des services de réhabilitation sociale du Québec regroupe 50 organismes sans but lucratif dirigés par des citoyens bénévoles. Ces organismes accueillent annuellement plus de 20 000 contrevenants adultes ayant des démêlés avec la justice. Ils peuvent être sous juridiction provinciale ou fédérale. Les services qui leur sont offerts sont diversifiés selon les besoins, et leur prestation est assurée par du personnel professionnel et/ou des bénévoles.

Notre Association est, depuis près de 40 ans, un témoin privilégié des pratiques correctionnelles provinciales et fédérales. À ce titre, nous croyons qu’il est de notre devoir de contribuer à l’analyse que le ministre de la Sécurité publique du Québec a commandée sur le processus de remise en liberté. Nous ne pouvons pas demeurer passifs devant un malheureux événement, surtout lorsque nous sommes persuadés qu’il est possible d’apporter des correctifs qui favoriseront l’amélioration du processus de remise en liberté et conséquemment la sécurité du public. Il s’agit non pas de condamner une organisation mais de contribuer au diagnostic tout en proposant des solutions.

Le tragique événement qui a coûté la vie au jeune Livernoche nous rappelle tristement les difficultés rencontrées dans l’encadrement des détenus qui purgent une peine de moins de deux ans. Il faut admettre que cet événement n’est pas le fruit d’un malheureux hasard, mais le symptôme de problèmes maintes fois soulignés dans le passé par le Vérificateur général, les Services correctionnels du Québec (SCQ), le Protecteur du citoyen et par notre propre association.

Nous sommes alors en droit de poser une question déchirante : Alexandre Livernoche serait-il encore vivant si l’ensemble des recommandations proposées par ces organismes avaient été mises en place? Il est clair que nous ne pouvons répondre avec certitude à cette question, mais nous pouvons affirmer qu’il aurait été plus facile de l’éviter.

Pour éviter que d’autres drames semblables se reproduisent, certaines corrections majeures à l’administration et à l’encadrement de la clientèle sous juridiction provinciale doivent être apportées. Il s’avère très important de mettre en place des outils qui nous permettront de mieux connaître les contrevenants, d’avoir un système assurant la transmission efficace des informations pertinentes et de réduire le nombre d’instances décisionnelles responsables de la libération des contrevenants.

Fin de sentence et libération

Le cadre légal

À partir du sixième de la peine d’incarcération, le détenu est éligible à différents types d’absence temporaire et c’est la direction de l’établissement qui décide de l’octroi de ces élargissements. Pour en arriver à une telle décision, la direction retiendra divers facteurs comme le comportement de l’individu à l’établissement et des raisons administratives (budgétaires, organisationnelles, humanitaires...). Cependant, lorsqu’arrive le tiers de la peine et que le contrevenant devient admissible à la libération conditionnelle, c’est dorénavant la Commission québécoise des libérations conditionnelles qui aura la responsabilité de la décision. Pour orienter cette décision, elle tentera d’évaluer le risque que représente le contrevenant. Si elle décide d’accorder la libération, elle pourra imposer les conditions de la mise en liberté assurant ainsi une certaine supervision. Si la CQLC refuse d’octroyer la libération à un contrevenant, celui-ci pourra être libéré par la direction de l’établissement un peu avant la fin du deuxième tiers de la sentence. La libération devient alors inconditionnelle, irrévocable et non supervisée.

Ceci est particulièrement remarquable lorsqu’on examine attentivement les modalités d’encadrement entre le deuxième tiers et le dernier tiers de la sentence. En principe, la remise en liberté en cours de sentence est accompagnée d’un encadrement et de conditions. En pratique, le niveau d’encadrement pour ceux libérés avant le deuxième tiers est réduit. Par contre, pour ceux qui seront libérés lors du dernier tiers de la sentence, il n’y a aucun encadrement d’offert. En conséquence, il semble que les détenus qui sont libérés tardivement et sur la seule base de leur " bon temps " (comportement conformiste) sont moins pénalisés que ceux libérés plus tôt et qui, bien que le niveau d’encadrement soit parfois insuffisant, doivent tout de même se soumettre à des conditions.

L’information disponible

L’ASRSQ constate que l’information pertinente n’est pas toujours disponible lorsqu’il s’agit de rendre une décision par rapport à la libération d’un contrevenant. Même si les Services correctionnels du Québec tentent de remédier à la situation, les résultats se font attendre. Il arrive encore trop souvent que des organismes responsables de la supervision en communauté aient à faire des démarches inutilement laborieuses afin d’obtenir des informations fondamentales comme la nature des conditions de probation imposées par le juge.

Cette réalité est d’intérêt dans l’affaire Livernoche puisque l’information disponible au Service correctionnel du Canada (sentence de deux ans et plus) est rarement intégrée au dossier provincial. Pourtant, le ministère de la Sécurité publique reconnaît que 17% des dossiers provinciaux ont des antécédents au fédéral.

Modalités d’encadrement et d’intervention

Afin d’assurer un encadrement et une intervention de qualité qui favoriseront la sécurité de la communauté, il est primordial de pouvoir compter sur une bonne évaluation du contrevenant. Pour l’instant, elle est souvent réduite à sa plus simple expression et vise principalement à mieux gérer l’occupation des cellules plutôt qu’à mettre en place une stratégie visant la réinsertion sociale.

Pourtant, une bonne proportion de la population contrevenante présente des cas disparates de criminalité. C’est précisément cet élément d’imprévisibilité qui rend l’évaluation individuelle rigoureuse nécessaire et l’information relative à la nature du délit n’est pas suffisante afin de bien comprendre la dynamique du contrevenant.

Les délits pour lesquels les contrevenants se retrouvent à l’intérieur des établissements provinciaux sont peut-être moins importants que ceux qu’ont commis les individus qui se retrouvent dans les pénitenciers (sentence de deux ans et plus), il n’en demeure pas moins que la clientèle des SCQ s’est considérablement alourdie au cours des dernières années. Aujourd’hui, une grande proportion d’entre eux vivent des problèmes de toxicomanie, 30% souffrent de troubles mentaux et il y en a de plus en plus qui sont associés au crime organisé.

Suite à une évaluation systématique des contrevenants qui nous permettra de bien saisir leurs besoins et leurs difficultés, il apparaît essentiel qu’ils puissent être dirigés vers les intervenants et les ressources qui seront en mesure de les encadrer adéquatement. Il est aussi essentiel que des programmes correctionnels soient développés et mis en place, puisqu’à l’heure actuelle on remarque un grand vide à ce niveau. À l’exception des groupes d’entraide (de type AA, NA...), il n’y a pas de véritables programmes correctionnels disponibles du début de la sentence jusqu’à sa fin.

Afin de rendre ces efforts efficaces, il faut qu’une vision d’ensemble puisse être développée. Elle assurera une intervention logique et cohérente durant toutes les étapes liées au processus de réinsertion sociale autant en détention qu’en communauté. Ainsi, il sera possible de faire en sorte que les différents intervenants travaillent conjointement.

Le choc entre le plan administratif et le plan pénologique

Aux SCQ le problème quantitatif, lié au volume de clientèle et aux ressources disponibles, est réel. Il influe sur l’encadrement, le temps à consacrer à chaque individu, le rythme des rencontres et le niveau de suivi.

Au cours des deux dernières décennies les Services correctionnels du Québec ont dû composer avec des défis importants liés, dans un premier temps, au volume de clientèle et, dans un deuxième temps, aux compressions budgétaires. Tout au long de cette période, les SCQ ont dû intervenir auprès des contrevenants sans pouvoir ajuster leur réalité budgétaire à la réalité des contrevenants, c’est-à-dire, sans égard aux besoins de ces derniers, au nombre de services à rendre et au niveau d’encadrement requis.

Lors de l’amorce du "délicat virage correctionnel", le ministre de l’époque souhaitait réinvestir des ressources financières, récupérées par la fermeture d’établissements de détention, dans les activités en milieu ouvert et les programmes en détention. Mais les compressions décrétées au même moment ont compromis le virage. Conséquence, sans investissement stratégique, les SCQ n’ont pu assurer l’évaluation professionnelle et le niveau d’encadrement en a inévitablement souffert. Bien entendu, la crédibilité des SCQ n’a pu y échapper.

Mais le problème le plus grave réside davantage au plan pénologique. Autrement dit, il y a eu édulcoration de la finalité de la peine, du sens de la peine et de la réinsertion sociale. Également, on soupçonne une dérive au plan technobureaucratique où la gestion des compressions et du volume de clientèle a eu priorité sur la mission des SCQ.

En conséquence, cela crée un contexte favorable à la récidive. La situation est exacerbée par le problème d’ordre qualitatif que nous avons décrit en abordant les questions d’évaluation, d’intervention et d’encadrement. À son tour, le cadre légal s’ajoute aux facteurs nuisibles au succès de la réinsertion sociale.

On utilise beaucoup les coupures budgétaires pour expliquer pourquoi tel ou tel aspect de la prestation de services, de l’encadrement ou de la surveillance sont réduits au minimum ou même carrément inadéquats. L’ASRSQ (1998) a déjà fait connaître sa position sur ces coupures, qui sont effectivement destructrices. Le système a depuis longtemps atteint le plancher absolu et chaque nouvelle coupure ne fait qu’augmenter les coûts en aval, quand dans quelques années les " portes tournantes tourneront " de plus en plus rapidement et les admissions de récidivistes augmenteront. L’histoire démontre que de ménager sur la réinsertion sociale engendre toujours des conséquences désastreuses à moyen et à long termes.

Des solutions simples et accessibles

Les bénéfices d’un processus plus homogène

Afin de régler les problèmes liés au cadre légal et aux instances décisionnelles l’ASRSQ croit qu’il est essentiel que la CQLC devienne la seule instance décisionnelle pour tous les programmes d’élargissement anticipé. Nous croyons également qu’il est nécessaire de modifier la Loi sur les Services correctionnels, de manière à désigner spécifiquement les organismes communautaires comme partenaires des SCQ dans la réinsertion sociale des contrevenants et la surveillance de ces derniers.

Concernant la disponibilité et la transmission de l’information pertinente, nous croyons qu’il faut mettre à la disposition des SCQ, les ressources nécessaires pour que toute information utile à une décision éclairée soit disponible. À cet effet, les SCQ doivent établir un lien de communication efficace avec les tribunaux et les autres sources d’information.

Modalité d’encadrement et d’intervention

Il apparaît d’abord incontournable de procéder à une évaluation systématique et rapide de tous les contrevenants. On doit donc s’assurer d’avoir le personnel suffisant. Par la suite, il faut aussi s’assurer que le suivi des contrevenants soit assuré par des intervenants qui disposent d’outils efficaces pour communiquer entre eux, qu’ils soient à l’emploi de l’établissement, d’un organisme privé ou communautaire, ou d’une autre organisation gouvernementale (par exemple, la santé).

De plus, l’intervention auprès des contrevenants doit être personnalisée, et rendue consistante. Du point de vue des contrevenants, le système, les demandes des intervenants, les réalités pratiques des programmes d’élargissement anticipé et les conditions de mise en liberté doivent former un tout logique, cohérent et justifiable. Tous ces efforts doivent être clairement axés sur le retour sécuritaire en société. Finalement, les résultats de chacune de ces étapes doivent être notés au dossier de l’individu.

Ajuster le financement des activités correctionnelles

Le Conseil du Trésor devrait revoir à court terme sa manière de financer le système pénal québécois, car il est futile de croire que le nombre de services à rendre, le volume de la clientèle et le niveau d’encadrement requis n’ont pas d’effet sur le budget. L’exemple de la santé est patent et nous dicte une grande prudence.

Pour le retour des considérations pénologiques

Afin que les changements apportés soient efficaces, les Services correctionnels québécois et le ministère de la Sécurité publique doivent avoir comme principale préoccupation le respect de la finalité de la peine.