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Articles et textes signés par l'ASRSQ

Par Jean-François Cusson,
Criminologue

et Geneviève Tavernier,
Bénévole, ASRSQ

Quelle valeur donne-t-on maintenant au pardon?

"J'avais l'intention de demander mon "pardon" à la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC), mais vu ce qui est arrivé au juge Therrien et au commandant Piché, je me demande si c'est vraiment utile…" (Stéphane S.)

Le problème posé par cet ex-contrevenant est d'une actualité brûlante. Aussi, l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ) désire profiter de la Semaine de la justice réparatrice, qui se déroulera du 18 au 23 novembre prochain, pour se pencher sur la notion de pardon et de sa signification dans le quotidien de ceux et celles qui l'ont obtenu, malgré les restrictions qu'un casier judiciaire impose.

Notre association a toujours vivement défendu l'importance du concept du pardon. En effet, depuis quarante ans, l'ASRSQ oeuvre auprès d'organismes voués à la réinsertion sociale, lesquels reçoivent annuellement quelque 25 000 contrevenants adultes.

"Le caractère déshonorant que la société attache à une condamnation criminelle est une évidence sociologique." Elle touche non seulement l'individu condamné, mais aussi tous ses proches et sa famille qui seront dorénavant identifiés comme étant liés à un criminel.

Une fois la sentence terminée, le poids du casier judiciaire vient s'ajouter à la peine et assure la stigmatisation de l'individu qui en fait l'objet. Alors qu'on lui demande de refaire sa vie et d'accomplir une réinsertion sociale, le casier judiciaire se présente comme un obstacle important. Il peut avoir des répercussions sur l'embauche, la recherche de logement, sur les relations interpersonnelles et familiales de l'individu stigmatisé par la présence d'un casier judiciaire indélébile qui marque au fer rouge comme on marque les troupeaux dans l'Ouest.

La notion de pardon

Pour alléger les effets de cette stigmatisation, le législateur a introduit dans la Loi sur le casier judiciaire la notion de pardon, qui évoque à notre esprit une certaine conception de nature morale ou religieuse. Mais, elle a juridiquement d'autres effets : l'amnistie accordée par la reine ou son représentant, le gouverneur général du Canada ou le pardon administratif accordé par la Commission nationale des libérations conditionnelles.

Le contrevenant qui demande le pardon doit convaincre cette Commission de sa bonne conduite, produire et fournir certains documents, tels son casier judiciaire, les vérifications des dossiers de la police de son lieu de résidence et le formulaire de demande de réhabilitation. Selon la Loi, la bonne conduite se traduit par l'absence de condamnation dans une période fixe (trois ou cinq ans) sans que des soupçons ou allégations d'ordre criminel pèsent contre le demandeur.

Il est à noter que si la personne condamnée l'a été sous le couvert du Tribunal de la Jeunesse en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, elle ne peut faire de demande de pardon puisque son dossier sera détruit conformément à ladite loi.

"[…] le décret de pardon modifie le caractère définitif d'un jugement à compter de sa date d'émission en énonçant que, dorénavant, la personne réhabilitée ne devrait plus voir sa réputation dévaluée ou entachée par la condamnation pardonnée ", de dire la juge Michèle Rivet du Conseil de la Magistrature, alors que la Cour d'appel du Québec conclut que la réhabilitation obtenue par l'appelant ne remet pas en question sa culpabilité, mais entraîne la remise totale de sa condamnation et des effets juridiques pour l'avenir .

Dans les faits, le pardon n'a pas la capacité de faire disparaître le fait d'avoir été condamné. Si le demandeur est interrogé sur ses antécédents judiciaires, la loi ne lui permet pas d'éluder la question mais il peut, bien entendu ajouter qu'il a reçu un pardon. L'obtention du pardon entraîne le classement du dossier à part des autres dossiers judiciaires et fait cesser toute incapacité. Cette affirmation vaut également lors d'une demande d'emploi dans la province de Québec, mais la Charte québécoise dispose de protection nécessaire afin de préserver l'intégrité de la personne qui "ne doit pas subir les effets liés à sa condamnation de façon arbitraire ou discriminatoire" .

Le cas des médias

Or, dans la pratique, cette disposition de la Loi sur le casier judiciaire, si elle lie les fonctionnaires, n'affecte en rien les mémoires journalistiques et le droit à l'information permet aux médias de sortir de leurs archives de vieilles histoires, ce qui réveille la stigmatisation que le législateur voulait alléger. Cela semble un non-sens : la loi telle que formulée ne semble pas vouloir réaliser ce résultat.

Ainsi dans le cas du commandant Robert Piché, on est en droit de se demander si la divulgation de son passé criminel satisfait la curiosité d'un public avide de faits croustillants et sensationnels ou répond à l'intérêt du public pour une information complète et vérifiée des faits reprochés. Encore faudrait-il que l'information soit pertinente et justifiée, ce qui n'était pas évident dans le cas précité.

N'oublions pas que le commandant Piché a sauvé non seulement son appareil mais quelque 300 vies, qu'il refuse d'être traité en héros disant qu'il n'a fait que son devoir et qu'il n'a vraiment pas cherché à être une vedette !

Dans tous les cas, les répercussions des révélations de la presse touchent les familles et les proches du sujet faisant l'objet de l'attention médiatique et ravivent la stigmatisation de l'individu et des siens, qu'il y ait eu ou non pardon administratif.

Une offense au bon sens

Pour tous ceux qui croient à la réinsertion sociale des contrevenants et à la faculté des individus de changer leurs comportements, ce battage médiatique autour d'un fait particulier et qui atteint quelque 250 000 Québécois détenteurs d'un casier judiciaire, est une offense au bon sens.

Tout comme le dénonçait le rapport Ouimet en 1969, la divulgation du dossier criminel des délinquants met sérieusement leur réinsertion sociale en danger. Les exemples du juge Therrien et du commandant Piché prouvent désormais que le pardon administratif, tel que prévu par la Loi sur le casier judiciaire est une mesure inefficace. Inefficace, parce qu'elle ne réussit pas à empêcher la stigmatisation de toutes personnes possédant un casier judiciaire.

À l'ex-contrevenant demandant à l'ASRSQ s'il est utile de procéder à une demande de pardon, nous ne savons plus quoi répondre, puisque, à l'heure actuelle, ses effets nous apparaissent plus symboliques que réels.

Si l'on permet ou que l'on oblige la divulgation des antécédents judiciaires lorsqu'il y a obtention d'un pardon, on fait échec à la mesure. Si telle est l'interprétation, le législateur doit s'interroger sur la pertinence de revoir la loi et s'assurer que les principes qui ont motivé la mise en place du pardon administratif puissent vraiment respectés. Socialement, l'interprétation selon laquelle un citoyen ne devrait pas avoir à divulguer un passé pardonné semble plus logique et cohérent.


1- Brousseau, S., La stigmatisation des criminels : Perspectives historiques.

2- Paul Bégin, avocat, ès qualité de ministre de la Justice du Québec c. M. le Juge Richard Therrien, C." Montréal, n0 CM-8-96-39, 11 juillet 1997, j. Rivet, p.1 de l'opinion dissidente.

3-Id., 33 de l'opinion majoritaire. Dans l'affaire 4-Re Therrien, précité, note 3, par.115. Re Therrien, précité note 3 par. 127. 5-Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle, rapport Ouimet, 1969, Information Canada, p.445.