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By David Henry,
Directeur général, ASRSQ

Le Service correctionnel du Canada à contre-courant

Le 21 janvier dernier, suite au dépôt du rapport du Comité d’enquête conjoint sur la mort de Marylène Levesque, le Service correctionnel du Canada (SCC) a unilatéralement choisi d’aller au-delà des recommandations du rapport et de mettre fin aux activités de « surveillance directe » des libérés conditionnels sous juridiction fédérale confiés aux organismes communautaires dans toute la province du Québec.

Ce faisant, le SCC a sonné le glas d’un modèle de surveillance éprouvé et unique développé au Québec, il y a plus de 40 ans. Alors que le gouvernement du Québec et la ville de Montréal en particulier reconnaissent l’importance du travail des organismes communautaires et de leur proximité avec le terrain dans la lutte contre la criminalité, le SCC opte pour la centralisation et le démantèlement de l’expertise de ses partenaires communautaires. L’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ) est en désaccord avec cette décision à contre-courant.

Le meurtre de Marylène Lévesque nous rappelle bien tristement la perfectibilité des pratiques de surveillance. Cependant, la lecture du rapport nous confirme dans notre opinion que cet événement rarissime aurait pu se produire dans n’importe quelle province du Canada, dans n’importe quelle maison de transition et que les principes et pratiques de surveillance directe ne sont pas la cause de cette tragédie.

Mise en place dans les années 1980 à la demande du SCC et héritée de pratiques bien antérieures, la surveillance directe offerte aux partenaires du réseau communautaire présente de solides avantages en matière d’intervention. Elle permet, entre autres, de favoriser le développement de la confiance du détenu en liberté sous conditions envers son intervenant en limitant le nombre d’intervenants impliqués directement dans sa surveillance et permet d’éviter le dédoublement de certaines tâches cléricales. Elle permet aussi d’offrir une bien meilleure diversité d’approches. Ce modèle se révèle surtout performant auprès de certains individus particulièrement antisociaux, chez qui l’opposition à leur surveillance est diminuée par le fait que l’intervenant responsable de leur suivi n’est pas un employé du SCC. À travers les années, les agences et les maisons de transition qui fonctionnent selon les principes de surveillance directe ont toujours reçu de la part du SCC des évaluations extrêmement positives de leurs programmes.

Les spécificités provinciales

La décision de supprimer la surveillance directe n’a pas été prise pour des raisons cliniques ou pour assurer une meilleure sécurité du public. Il s’agit d’une décision de gestion par laquelle le SCC souhaite uniformiser et centraliser ses pratiques d’un océan à l’autre sans égard aux spécificités et aux réalités de chaque province. Cette centralisation des décisions par l’administration centrale du SCC à Ottawa a commencé, il y a de nombreuses années et se traduit par un démantèlement progressif des services offerts en communauté par les organismes communautaires. En 10 ans, le nombre de programmes communautaires coupés ou abandonnés est effarant (Option-Vie, ARCAD, services d’employabilité en détention et en communauté, programmes d’accompagnement/bénévolat dans les établissements et en communauté, programmes spécialisés notamment offerts aux délinquants sexuels, surveillance directe).

Chaque fois, le SCC se replie un peu plus sur lui-même par des décisions de gestion où il écarte ses partenaires communautaires. Il est faux de penser que la réhabilitation sociale des personnes incarcérées peut se réaliser uniquement avec le travail des employés de l’État et du SCC. Le parcours de vie d’un libéré conditionnel ne s’arrête pas à la fin de la peine qui lui a été imposée et la prise en charge du problème de la délinquance doit nécessairement impliquer tous les partenaires sociaux ainsi que l’ensemble de la communauté. La meilleure façon pour une société d’assurer le succès de la réhabilitation sociale de ses libérés conditionnels est d’investir dans des programmes de proximité gérés par des acteurs communautaires.

Nous sonnons l’alarme sur l’orientation d’uniformisation et de centralisation prise par le SCC. Cette décision est une tache dans l’histoire du partenariat entre le SCC et les organismes communautaires dans un contexte où ceux-ci sont confrontés à une pandémie mondiale et à des éclosions de Covid-19 dans leurs milieux de vie.

Finalement, nous devons saluer la compétence et le professionnalisme des intervenants du réseau communautaire qui oeuvrent auprès de la clientèle sous juridiction fédérale et qui se retrouvent sans emploi et/ou subitement exclus des tâches de surveillance qu’ils exerçaient avec dévouement et engagement. Soyez fiers de ce que vous avez accompli au cours des 40 dernières années, votre travail a rendu notre société meilleure et plus résiliente.

Ont également signé cette lettre des directeurs/trices de maisons de transition et leur conseil d’administration impactés par cette décision du SCC :

André Bédard, Président du CA de La Maison Joins-Toi

François Bérard, Directeur général de la Maison St-Laurent

Claudine Bertrand, Directrice générale de Via-Travail

Michel Gagnon, Directeur général, Corporation Maisons Cross Roads

Geneviève Latreille, Directrice générale de La Maison Joins-Toi

Carl Veilleux ,Directeur général, Société Emmanuel-Grégoire