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Quebec does not need more cells, but a reassertion of the social reinsertion principles

D’année en année, le Protecteur du citoyen constate la détérioration des conditions de détention des établissements provinciaux. Le ministère de la Sécurité publique (MSP) du Québec doit user de créativité afin de trouver la place nécessaire aux détenus. Au début de l’été1, le Parti québécois accusait le ministre de se traîner les pieds en affirmant qu’il avait perdu le contrôle de la situation : crime organisé, vente de drogue, climat de tension, danger pour le personnel, etc. Dans un tel contexte, il semble devenir de plus en plus difficile de s’opposer à l’ajout de nouvelles places en détention. Et pourtant, plusieurs pistes de réflexion permettent de croire que le Québec fait fausse route. Si l’ASRSQ a toujours appuyé la nécessité d’assurer la rénovation et le réaménagement de certains établissements, elle continue de se questionner sur la nécessité de créer de nouvelles cellules.

Moins de crime, plus de détenus…

Alors que la population carcérale augmente continuellement, il est étonnant de constater que le taux de criminalité connaît une baisse historique. En juillet 2008, Statistique Canada2 annonçait qu’il venait d’atteindre son plus bas niveau en plus de 30 ans. Naïvement, l’on pourrait croire que le recul de la criminalité aurait pour effet de réduire l’admission en détention. En observant certaines pratiques judiciaires et correctionnelles qui se sont installées au cours des dernières années, le constat est inquiétant, voire même alarmant : près de la moitié des personnes incarcérées sont des prévenus et les détenus restent de plus en plus longtemps en détention. Ainsi, le Québec semble suivre une tendance canadienne qui tend à privilégier l’utilisation de l’emprisonnement et oublie qu’il s’agit d’une mesure à utiliser en dernier recours.

Autant de prévenus que de détenus!

Au Québec, en 2006-2007, les prévenus en attente de leur procès ou du prononcé de leur sentence représentaient 47 %3 de la population carcérale. En moins de dix ans, ce taux s’est accru de 11 % et tout indique que la tendance s’alourdira. Est-ce que les prévenus sont plus dangereux qu’avant ou est-ce que les tribunaux font preuve de plus de réticence à les remettre en liberté? Bien sûr, le Québec a connu de grandes opérations policières contre certains groupes criminalisés, mais il ne s’agit pas d’une explication qui nous permet de comprendre l’ensemble du phénomène. Pourquoi ne pas offrir une alternative aux juges en permettant, comme il y a quelques années, de l’hébergement en communauté (plutôt que la prison) pour certains prévenus ? Alors que Québec annonce une importante surpopulation, comment expliquer que les ressources communautaires qui offrent de l’hébergement ne sont pas utilisées à pleine capacité? Au contraire, de nombreuses places sont disponibles en maison de transition et il apparaît même qu’on y retrouve, notamment à Montréal, très peu de détenus qui purgent une peine de moins de 6 mois. Une meilleure utilisation des ressources disponibles permettrait de diminuer la tension que vivent les prisons provinciales tout en favorisant la réintégration sociale des personnes incarcérées.

Le souvenir des mises en liberté

Une étude récente4 commandée par le ministère - et que l’ASRSQ n’a pu consulter qu’après avoir fait une démarche auprès de la Commission d’accès à l’information - démontre qu’on connaît une baisse importante du nombre de personnes condamnées admises en détention, de même qu’une diminution de la population inscrite5 en détention. Malgré ces baisses observées, le nombre de détenus présents dans les prisons provinciales augmente de façon régulière.

C’est ce qui amène les chercheurs de cette étude à conclure que «la principale explication de la hausse de la population présente se situe dans les politiques et pratiques de remise en liberté. Depuis 5 ans [l’étude a été publiée en 2005], le pourcentage d’absences temporaires ou de congés préparatoires est passé de 25 % à 9 %, tandis que les octrois de libérations conditionnelles par rapport aux personnes admissibles ont diminué de 48 % à 36 %. Actuellement, le pourcentage des remises en liberté est plus bas qu’il n’a jamais été depuis la création des services correctionnels.6» Ces baisses marquées coïncident avec la dramatique affaire Bastien7 qui a tant fait les manchettes. Encore aujourd’hui, en prolongeant l’incarcération de plusieurs détenus, on semble assister à un mouvement de protection du milieu correctionnel face à l’opinion publique au détriment de la nécessité d’assurer la libération en temps opportun des personnes incarcérées. 

La mise en vigueur de la Loi sur le système correctionnel du Québec combinée à des investissements judicieux en matière de services axés sur la réinsertion sociale devrait permettre de renverser la tendance de la surpopulation carcérale. D’ailleurs, les chercheurs ont informé le ministère que si le Québec continuait à maintenir une politique axée sur la réinsertion sociale, « il est inévitable (…) que le niveau des remises en liberté revienne « à la normale » et que conséquemment la durée des séjours des personnes condamnées diminue. La population présente dans les établissements de détention aurait alors tendance à diminuer8 ».

En choisissant d’assurer la mise en œuvre de la nouvelle loi, la province a misé, entre autres, sur l’amélioration de l’évaluation, de l’encadrement et du traitement des personnes incarcérées. De façon générale, il est permis de croire que ces initiatives favoriseront la réinsertion sociale des personnes incarcérées. En principe, une meilleure évaluation permet de mieux connaître les besoins des personnes incarcérées et, par conséquent, de préparer une meilleure intervention qui devrait, dans la plupart des cas, permettre une période transitoire en communauté au moment opportun. Toutefois, il faut être prudent parce que si les ressources transitoires requises ne sont suffisantes, l’effet inverse pourrait se produire et aggraver la surpopulation carcérale.

Des effets pervers

C’est bien connu, si l’évaluation des personnes incarcérées est cruciale, elle peut aussi avoir pour effet de réduire le nombre de mises en liberté puisque les outils actuariels (comme celui choisi par le MSP) tendent à induire une surestimation du niveau de risque réel des personnes évaluées. De plus, les commissaires de la Commission québécoise des libérations conditionnelles (CQLC) sont maintenant en droit de s’attendre à des dossiers plus complets. Les services correctionnels devront donc livrer la marchandise. D’ailleurs, la CQLC se dit préoccupée9 par la pénurie de ressources communautaires, notamment à l’extérieur des grands centres.

Il est inquiétant de constater que de plus en plus de détenus préfèrent ne pas se présenter devant la CQLC dans l’espoir d’obtenir une libération conditionnelle. Les commissaires sont-ils plus sévères ou les détenus n’ont-ils simplement pas accès aux services qui leur permettraient d’obtenir une libération conditionnelle? Par ailleurs, bien des détenus préfèrent renoncer à la libération conditionnelle lors de laquelle ils auront des conditions à respecter puisqu’en étant libéré au 2/3 de leur peine, ils n’auront plus de comptes à rendre. 

Des cellules vraiment nécessaires?

Les détenus, le personnel et les administrations vivent très concrètement les contrecoups d’une surpopulation carcérale et souhaitent des solutions rapides. La construction de nouvelles cellules s’avère une solution facile qui aura probablement des effets à court terme, mais qui ne viendra en rien régler des pratiques que l’on doit questionner. Il n’est pas normal que les prévenus occuperont bientôt la moitié des cellules et il est des plus inquiétants de constater la réduction dramatique des remises en liberté. Pourquoi miser sur la construction de cellules, et ce, à grands coups de millions, cellules dont nous n’aurons probablement plus besoin d’ici quelques années10?

Ce constat camoufle un malaise bien plus profond : celui d’un glissement certain du Québec vers des pratiques plus répressives. Lorsque la construction de nouvelles cellules retient autant l’attention et que la réinsertion sociale passe bien plus par la prison que par une période de transition en communauté, force est d’admettre que nous faisons fausse route. En augmentant le nombre de cellules, Québec propose une solution temporaire et superficielle au problème de la surpopulation. Il faudrait plutôt accepter de remettre en question les pratiques du milieu judiciaire et correctionnel qui la favorisent.


1 La population inscrite représente l’ensemble des personnes contrevenantes inscrites dans les registres des établissements de détention, incluant les personnes présentes et les personnes à l’extérieur en absence temporaire.

2 Centre canadien de la statistique juridique (2008), Statistique de la criminalité au Canada, 2007, Ottawa vol. 28, #7, p.2.

3 Protecteur du citoyen (2008), Rapport annuel d’activité, 2007-2008, Québec, p.99.

4 Landreville, P, Charest, M (2004), Analyse prospective de la population des établissements de détention du Québec, Centre international de criminologie comparée, Université de Montréal, Montréal. Cette étude, à la demande du MSP, a été mise à jour en 2005. 

5 La presse canadienne, Surpopulation carcérale, Jacques Dupuis perd le contrôle, publié sur le site Internet du quotidien Le Devoir, 30 juin 2008.

6 Landreville, P., Charest, M. (2005), Mise à jour : Analyse prospective de la population des établissements de détention du Québec, Centre international de criminologie comparée, Université de Montréal, Montréal. (2005), p. 13. 

7 En 2000, Mario Bastien était reconnu coupable du meurtre d’Alexandre Livernoche. Ce drame a mené à un examen détaillé des services correctionnels du Québec qui ultimement s’est traduit par la modification de certaines pratiques et par des changements législatifs. 

8 Ibid., p.14

9 Commission québécoise des libérations conditionnelles (2007), Rapport annuel de gestion 2006-2007, Québec, p. 21.

10 Ibid 3.