Lettre ouverte d’enseignant-es et intervenant-es en criminologie, à ceux et celles qui luttent contre le racisme et la discrimination.
C’est avec des sentiments d’horreur, de détresse, de tristesse et de colère que nous avons tous et toutes été témoins, de la mise à mort en direct de Monsieur Georges Floyd. Au-delà du travail d’objectivité scientifique auquel nous nous astreignons généralement, les images ne laissent aucun doute. Nous ne pourrons oublier ces images douloureuses et horrifiantes.
Cette haine de « l’autre différent » prend ses racines dans les profondeurs de notre histoire collective. C’est celle d’un Occident esclavagiste qui, au fil du temps, s’est affranchi des formes les plus visibles de la dominance d’un groupe d’humains sur d’autres, mais qui garde malheureusement encore aujourd’hui, des séquelles durables de ce passé, dans sa façon de concevoir les rapports entre les membres de leurs communautés.
Dans un récent article, Monsieur Boucar Diouf nous a, fort justement, proposé un petit dictionnaire des noms propres des auteurs de discours qui ont nourri et légitimé ces discriminations « ordinaires » ainsi que les plus grands crimes collectifs de notre histoire commune, incluant l’un des auteurs qui font partie de notre patrimoine criminologique : Cesare Lombroso.
Dans l’un de ces derniers textes, feu notre collègue Jean-Paul Brodeur, professeur à L’École de criminologie de l’Université de Montréal, nous rappelait comment, en criminologie, nous étions très préoccupés des crimes individuels, mais très peu enclins à explorer les crimes collectifs et génocides de toutes sortes.
Contrairement aux peuples autochtones qui subissent la tutelle d’une loi d’exception, la communauté noire du Canada et du Québec ne fait pas l’objet d’une législation spécifique instituant l’apartheid ou la ségrégation raciale.
Mais cela ne dispose pas pour autant de la question. Les réactions individuelles et collectives face aux différences, les peurs, sentiments de menace, ou rejets qu’elles provoquent n’ont pas à être inscrits dans une loi pour marquer et biaiser nos interactions sociales.
Nous portons tous et toutes des jugements, les uns sur les autres, nos différences qui apeurent ou confrontent. Nous devons travailler chaque jour pour défaire ces réflexes et les dépasser pour aller à la rencontre de l’autre, mieux comprendre et apprécier sa différence.
Mais quand ces jugements sont partagés, nourris, légitimés et encouragés, au sein d’un groupe, au détriment d’un autre, c’est là que nous ouvrons la porte à des biais dans nos interactions, des vexations, petites ou grandes, des exclusions, des rejets collectifs, ou des dénis d’accès aux ressources, qu’il s’agisse du logement, de l’emploi, du revenu ou des soins et services offerts aux « autres ». Et l’appauvrissement finira par séparer géographiquement les communautés.
Et pour les personnes en autorité, policiers, juges, intervenants sociaux en autorité, agents correctionnels et autres responsables de la paix collective, ces jugements érigés en vérité ouvriront la porte, aux interventions différenciées, aux suspicions automatiques, aux interpellations ciblées, aux dénis de justice et aux abus de pouvoir. Nous ne sommes pas à l’abri, loin de là, de ces travers dans notre vie collective.
Nous ne pouvons ignorer que des groupes particuliers de notre communauté sont surreprésentés dans nos institutions carcérales, au premier chef les communautés autochtones et la communauté noire, et que cela doit nous engager à identifier les problèmes structurels dans nos pratiques qui favorisent ces écarts flagrants et à mettre en place des solutions durables pour prévenir et modifier ces trajectoires.
Comme enseignant.es à de futur.es criminologues, nous avons la responsabilité de les former au meilleur jugement, à la compréhension, à la compassion, à la justice.
Nous avons souvent, comme criminologues, à exercer un pouvoir sur d’autres êtres humains et nous devons l’exercer avec les plus hauts critères de justice, de rigueur, de compassion, et de sens éthique. La vigilance doit être toujours présente et des garde-fous doivent être érigés.
Certain.es d’entre nous sont déjà engagé.es dans un travail de fond pour favoriser les changements nécessaires à l’égard du racisme et des injustices qu’il engendre. Nous saluons leur engagement.
Nous nous engageons à redoubler d’ardeur pour faire en sorte que notre formation assure que les étudiant.es qui sortiront de nos Écoles aient bien compris l’ampleur de la responsabilité qui leur incombe, d’agir en conformité avec ces obligations éthiques et dans le respect absolu des droits légitimes de chacun.e.
Dans la mesure de nos moyens, nous offrons notre soutien à tous ceux et celles qui veulent agir pour assurer un changement durable et favoriser un plus grand respect et une valorisation de nos différences, sachant que celles-ci n’égaleront jamais tout ce qui nous rend semblables et nous unit.
À titre d’enseignant-es, d’encadrant-es ou d’intervenant-es nous participons régulièrement à l’évaluation de nos programmes de formation, comme c’est le cas actuellement à l’Université de Montréal. Nous nous engageons à intégrer les questions de racisme et de discrimination dans ces efforts d’amélioration de nos formations.
Nous réitérons notre solidarité à tous ceux et celles qui ont pris la rue pour signifier leur refus des injustices, de la discrimination raciale, de l’exclusion et des inégalités. Cette manifestation de refus de l’injustice est un baume sur cette détresse qui nous habite.
Nous saluons le courage de tous ces policiers qui ont décidé de mettre un genou à terre, non par abdication, mais par refus de cautionner l’inacceptable. Que ce geste continue de résonner au quotidien pour les années à venir. Parmi eux et elles, plusieurs représentants se sont engagés à du changement. Nous leur offrons notre soutien.
Nous ne pourrons probablement jamais éliminer ces réflexes de crainte qui naissent souvent de l’incompréhension et de la méconnaissance de ce qui est différent ainsi que de la peur de perdre des acquis.
Pour cela, à l’instar des propos de monsieur Gregory Charles, il y aura toujours à poursuivre un travail de rencontre, de compassion et d’ouverture.
Mais nous pouvons travailler à faire en sorte que ces préjugés restent dans le domaine du travail individuel que nous avons tous et toutes à réaliser au quotidien et que cela ne devienne plus jamais l’objet de rapports de dominance, formels ou informels entre membres à part entière de notre communauté humaine.
André Archambault, Chargé de cours. École de criminologie, Université de Montréal.
François Bérard, Criminologue et Chargé de cours, École de criminologie, Université de Montréal.
André Boisjoly, Chargé de cours, École de criminologie, Université de Montréal.
Maude Charlebois, Psychosociologue et intervenante communautaire.
Isabelle Duquette, Intervenante communautaire.
Isabel Gervais, Intervenante communautaire, M.Sc., Criminologie, Université de Montréal.
David Henry, Criminologue, Directeur général, au nom de l’Association des Services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ)*.
Mylène Jaccoud, Professeur titulaire, École de criminologie, Université de Montréal.
Steeve Jacques, Citoyen.
Manon Tousignant, Citoyenne.
Stéphanie Langevin, Doctorante et Chargée de cours, École de criminologie, Université de Montréal.
Chloé Leclerc, Professeure agrégée, Université de Montréal.
Johanne Martel, Professeur titulaire, École de travail social et de criminologie, Université Laval.
Catherine Montmagny-Grenier, Doctorante et Chargée de cours, École de criminologie, Université de Montréal.
Catherine Pineau-Villeneuve, M.Sc., Chargée de cours en criminologie, Faculté de l’éducation permanente, Université de Montréal.
Valérie Préseault, Chargée de cours et Responsable de programme, École de criminologie, Université de Montréal.
Karine Roby, Criminologue et Coordonnatrice clinique.
Alexis-Michel Schmitt-Cadet, B.Sc. criminologie, M.Sc. histoire, Université de Montréal.
Suzanne Sercia, Criminologue, Chargée de cours, École de criminologie, Université de Montréal.
Marion Vacheret, Professeur titulaire, École de criminologie, Université de Montréal.
*L’ASRSQ est le regroupement de 65 organismes communautaires qui donnent des services à plus de 35 000 personnes judiciarisées par année au Québec. L’Association croit que la participation active de la communauté dans la résolution des problèmes liés à la délinquance contribue au développement social et conséquemment, au mieux-être de notre collectivité.