Porte Ouverte Magazine

2000 | Justice réparatrice

By François Bérard,
M. sc. Crim. Directeur général Maisons de transition de Montréal inc.

De l’insatisfaction naissent de nouvelles perspectives…

Pourquoi la justice réparatrice?

Plusieurs intervenants du milieu éprouvent un malaise de plus en plus important face aux finalités et au fonctionnement du système de justice criminelle. Ils cherchent un modèle de rechange au système actuel car ils ont l’impression que celui-ci ne répond pas véritablement aux besoins des parties directement mises en cause par un acte délinquant.

Ainsi, le système actuel ne tient à peu près pas compte du besoin de la victime d’obtenir réparation. Il invite plutôt le contrevenant à «prendre sa pilule» et à «faire son temps» au lieu de chercher à réparer les préjudices qu’il a pu causer.

Ce système n’est également pas conçu afin de faciliter la réconciliation entre les différentes parties au litige. Le juge a pour fonction de trancher celui-ci plutôt que de chercher à rapprocher les parties concernées.

Pour ces intervenants, un tel système favorise peut-être la protection à court terme de la société, mais il ne contribue généralement pas à créer une paix sociale juste et durable.

Ce que c’est?

Jacoud (1998) définit la justice réparatrice comme étant une approche de justice «qui privilégie toute forme d’action (collective ou individuelle) qui se déroule dans un cadre formel ou informel, visant la réparation des préjudices vécus à l’occasion d’une infraction».

La justice réparatrice n’est pas nouvelle. Dans le monde occidental, on y a eu recours dans différentes circonstances, notamment pendant le Moyen Âge. Cette façon d’aborder la justice est également très présente dans bon nombre de milieux autochtones. La Commission de réforme du droit du Canada s’est penchée sur cette question et a appuyé l’idée d’une approche de la justice davantage axée sur la résolution des conflits. De son côté, le Conseil des églises pour la justice et la criminologie se fait, depuis quelques années, l’ardent promoteur de la justice réparatrice.

Comment cela fonctionne?

Pour Howard Zehr, la justice réparatrice cherche à répondre aux préoccupations suivantes :

  • Rendons-nous justice aux victimes? 
  • Rendons-nous justice au contrevenant? 
  • S’occupe-t-on des relations entre la victime et le délinquant? 
  • Tenons-nous compte des préoccupations de la collectivité? 
  • Prenons-nous des mesures pour régler les problèmes qui ont mené à ce délit? 

Il s’agit d’un modèle exigeant, car toutes les parties mises en cause par le délit sont impliquées dans la résolution de celui-ci. Elles le font habituellement avec l’aide d’un tiers.

Ce qui la distingue des autres approches?

Finalités du système de justice criminelle

Brodeur et Landreville ont déjà indiqué qu’il existe trois façons d’envisager le travail du système de justice criminelle.

L’approche rétributive est une théorie de châtiment selon laquelle celui qui s’est rendu coupable d’une infraction mérite une punition : il s’agit de lui faire payer le prix de sa déviance.

L’approche utilitariste vise à protéger la société en influant sur le comportement de ses membres de manière à réduire la criminalité. Le système de justice pénale va faire ici de la «prévention générale» en dissuadant la population de commettre des délits et en exerçant une influence socio-pédagogique auprès de celle-ci. Il va également faire de la «prévention spéciale» en intimidant, en neutralisant et/ou en réhabilitant des individus.

L’approche de la résolution de conflit vise à résoudre les conflits suscités et révélés par l’acte délinquant. Le système de justice cherche ici à faciliter la réparation des torts causés par la commission d’un délit. Il tente aussi de guérir les blessures à l’origine de ce délit. La justice réparatrice se situe dans cette dernière approche.

Fondements

Paix vs sécurité

La justice réparatrice se fonde sur une vision différente de l’idéal de justice. En effet, elle poursuit cet idéal davantage dans une optique de paix que de sécurité. Le Conseil des églises pour la justice et la criminologie définit ceux-ci ainsi : «La paix est un concept dynamique qui exige une participation active dans la poursuite d’objectifs sociaux constructifs. (…) La sécurité est un concept défensif qui met l’accent sur le retrait derrière des barrières de protection, mais qui ne s’efforce pas de trouver une solution aux problèmes personnels et communautaires fondamentaux. » .

Afin de bien faire comprendre les visées propres à la paix et à la sécurité, pensons au conflit israëlo-palestinien : la véritable sécurité pour les Israëliens et les Palestiniens viendra le jour où ils auront réalisé une «paix juste et durable» entre eux. La justice réparatrice nous invite à faire la paix avec le contrevenant plutôt qu’à simplement chercher à se protéger de celui-ci.

Applications actuelles chez nous?

Quelques éléments nous portent à croire que le concept de justice réparatrice fait peu à peu son chemin chez nous. Il n’en est toutefois qu’à ses débuts.

Ainsi, la réparation des torts causés aux individus et à la collectivité a fait son entrée récente dans les objectifs liés à la détermination de la peine. Il s’agit d’un objectif parmi d’autres qui n’est pas plus prioritaire que ceux-ci.

On peut aussi observer l’existence de certaines mesures judiciaires se rapprochant de la notion de justice réparatrice, mais qui sont surtout appliquées selon la logique utilitariste : restitution, dédommagement et travaux communautaires. On cherche ainsi à obtenir une certaine compensation pour les torts causés et ce, sans nécessairement viser la réconciliation entre les parties.

Beaucoup de travail reste donc à faire pour implanter véritablement la justice réparatrice au cœur de nos pratiques de justice. Notons que d’autres pays sont en avance sur nous en la matière. Il en va ainsi de l’Allemagne où l’application de mesures de justice réparatrice, telle que la médiation, se fait tant dans le contexte de la justice des mineurs que de celle des adultes.

Forces et questionnements?

Forces

La justice réparatrice apporte une réponse intéressante aux critiques relatives à la finalité et à la dynamique du système de justice criminelle actuel. En recherchant la paix par le biais de la réconciliation des parties, il rehausse les standards éthiques de ce système. En misant sur la médiation et la réparation, il crée une dynamique susceptible de favoriser la restauration des liens sociaux. Il fournit aussi une réponse positive aux différents besoins fondamentaux exprimés par les victimes. Il offre enfin une occasion aux contrevenants d’aller jusqu’au bout de leur démarche de réhabilitation.

Questionnements

Comme elle en est encore au stade de développement conceptuel, la justice réparatrice fait en ce moment l’objet d’un certain nombre de questionnements. Ceux-ci sont des plus légitimes et méritent qu’on s’y attarde. Nommons-en quelques uns sous forme de questions.

Si la justice réparatrice s’appuie sur le volontariat des parties, comment peut-elle s’appliquer si l’une ou l’autre des parties ne veut pas en entendre parler?

Comment peut-on l’appliquer dans le cas de multi-récidivistes?

Puisqu’elle implique différentes démarches de réconciliation (contrevenant face à lui-même, face à ses proches, face à sa victime, face à la communauté et face à la société), comment respecter le temps inhérents à chacune d’entre elles?

Comment peut-on assurer le respect des droits tant des contrevenants que celui des victimes?

Quel rôle l’État a-t-il à jouer ici? Etc.

Avenir chez nous?

En ce moment, c’est l’approche utilitariste qui domine au sein de notre système de justice criminelle : la justice corrective y est fortement implantée. On assiste toutefois à une importante remontée de la popularité de l’approche rétributive de la justice actuelle, notamment celle envers les victimes, pour faire la promotion d’une approche plus musclée et nettement axée sur la vengeance.

Conscients de ces mêmes lacunes, les promoteurs de la justice réparatrice cherchent, de leur côté, à y apporter une réponse plus positive. Ils sont convaincus que la défense du statut quo va devenir impossible : la place des victimes au sein du système étant appelée à devenir très bientôt une question centrale du débat public. Selon eux, il faut revoir de fond en comble les paramètres du système de justice criminelle pour faire un véritable bond en avant dans la façon de réagir au phénomène de la délinquance.

Dans ce contexte, nous pouvons prévoir qu’on assistera à «court terme» à :

  • Une utilisation de la justice réparatrice pour des délits de moindre importance;
  • Une accentuation de la promotion de la philosophie de la justice réparatrice car elle fera de plus en plus d’adeptes au sein des gens qui prônent une justice plus humaine;
  • Un développement progressif du cadre conceptuel et opérationnel de la justice réparatrice
  • Un renforcement progressif de ce cadre à la lumière de la critique;
  • Une expérimentation de la justice réparatrice tant dans la vie courante entre les citoyens (ex. : médiation dans les cours d’écoles primaires à Montréal-Nord) qu’à travers le système de justice criminelle.
  • Dans ce contexte, on peut prévoir qu’on assistera à «moyen terme» à :
  • La promotion d’un cadre conceptuel et opérationnel solidement établi;
  • Des affrontements fréquents des tenants de la justice réparatrice avec les tenants de l’approche rétributive (punitive);
  • Une transformation progressive (mesure par mesure) des mesures non-pénales et pénales vers une approche de type réparatrice;
  • Une résistance corporative farouche des tenants de l’approche utilitariste à l’égard de la justice réparatrice.
  • Dans ce contexte, on peut prévoir qu’on assistera à «long terme» à :
  • Une transformation profonde du système de justice pénale
  • Un passage à la justice réparatrice en tant qu’approche dominante de la justice criminelle : les approches utilitariste et rétributive passant en mode mineur;
  • L’instauration d’un système à deux paliers répondant bien à la variété des situations qui peuvent se présenter en matière criminelle (le premier étant un processus conciliatoire utilisant la réparation comme moyen de favoriser la réconciliation entre les parties et le second étant un processus d’arbitrage semblable à celui de la justice corrective actuelle, mais utilisant, le temps venu, la réparation comme moyen de favoriser la réconciliation entre les parties).

Conclusion

À bien des égards, le système de justice criminelle actuel est décevant, sa visée étant défensive plutôt que dynamique. Son fonctionnement génère un certain nombre de problèmes dont on sous-estime l’importance en certains milieux. Pas besoin d’avoir été soi-même victime ou témoin d’acte de délinquance pour réaliser combien ce système a peu d’égard à leur endroit. Pas besoin d’avoir été délinquant pour réaliser à quel point ce système se montre peu réceptif au désir de réparation qui anime plusieurs d’entre eux.

La justice réparatrice est une approche porteuse d’espoir pour tous ceux qui croient en un système de justice plus humain. À la chaîne défensive actuelle (arbitrage, punition, réhabilitation, protection et sécurité), elle substitue une séquence plus dynamique (médiation, réparation, pardon, réconciliation et paix) dont l’issue est plus positive. C’est une approche incontournable pour tous ceux qui cherchent à apporter une réponse positive aux problèmes de notre système de justice. Elle leur permet de mieux faire ressortir le caractère illusoire des solutions proposées par les «faucons» de la justice tout en mettant en valeur les vertus de celles suggérées par ses «colombes». C’est enfin et surtout une approche porteuse d’avenir pour une société en quête de paix, une paix juste et durable.

Puisqu’elle en est encore au stade du développement conceptuel, la justice réparatrice apparaît à plusieurs comme étant une utopie. Il y a certes une part de rêve dans celle-ci, mais sans rêve, il est impossible de transformer la réalité. Par ailleurs, il faut considérer la justice réparatrice comme faisant partie des possibles de notre système de justice. Chose certaine, elle possède une force éthique intrinsèque telle qu’elle risque d’influencer de façon déterminante le système actuel au cours des prochaines décennies.

Cependant il faut être conscient que ces réflexions ne seront peut-être mises en œuvre qu’à la fin du prochain siècle. Cela n’empêche pas de semer aujourd’hui pour que les générations futures puissent en récolter les fruits.