Porte Ouverte Magazine

50 ans de criminologie au Québec

By Marie-Marthe Cousineau,
Professeure titulaire à l'École de criminologie de l'Université de Montréal

and Josée Rioux,
Criminologue/travailleuse sociale, présidente de l'ASRSQ et directrice générale du Regroupement des intervenants en matière d'agression sexuelle (RIMAS)

La criminologie au Québec : enracinement et dynamisme

Il y a cinquante ans, après quelques balbutiements préliminaires et une campagne de persuasion acharnée - notamment auprès des instances de l'Université de Montréal, quant à la pertinence de la discipline dans le champ des sciences sociales - naissait, littéralement, la criminologie au Québec. Ainsi, l'initiative et l'acharnement d'un jeune Hongrois, visionnaire moustachu fraîchement débarqué au Québec, Denis Szabo, allaient être à l'origine du premier département de criminologie (devenu depuis l'École de criminologie), de la Société de criminologie du Québec et, dans la foulée, de la revue Criminologie et du Centre international de criminologie comparée. La criminologie a pris un certain temps à se faire connaître et à s'implanter au Québec. Les criminologues d'hier, et même encore parfois ceux d'aujourd'hui, auront eu souvent à répondre à la question : «Ça fait quoi (entendre, ça sert à quoi) un criminologue?»

Cinquante ans et plus de trois mille diplômés plus tard – au baccalauréat, à la maîtrise et au doctorat - la criminologie peut se targuer d'être bien implantée au Québec. Tellement que la seule École de criminologie au Québec active au cours des cinquante dernières années verra bientôt naître un petit frère à l'Université Laval à Québec. Tellement qu'un ordre professionnel doit, très prochainement, venir consacrer l'existence de la profession.

La criminologie a beaucoup évolué au cours des 50 dernières années. Des changements dans la façon de percevoir et d'intervenir auprès de la clientèle se sont fait sentir tout au long de ces années. Par exemple, depuis les dernières décennies, avec l'avènement de l'information instantanée, la population sait rapidement ce qui arrive sur sa rue, son quartier, sa ville et son pays. Ce phénomène d'intense médiatisation a amené, chez la population, l'impression que la criminalité augmentait avec le temps. Ce qui, dans les faits, n'est pas tout à fait véridique. Pour répondre aux préoccupations du public, notamment, les criminologues ont développé une pratique plus rigoureuse et encadrée par des normes et des exigences particulières de la part des contractants.

L'intervention criminologique se spécialise donc, que ce soit sur le plan de l'évaluation, de la prise en charge en détention, ou de la réinsertion sociale de la clientèle présentant souvent une constellation de problématiques (problèmes de santé mentale, toxicomanie...). Le criminologue a ainsi été en mesure de développer et de bonifier ses interventions en fonction des besoins de la société, et plus spécialement des contrevenants, eux aussi changeants.

Le champ d'expertise s'élargit, permettant de prendre en compte non seulement le crime et le contrevenant, mais aussi les conséquences du crime pour la victime, pour son entourage ou pour l'entourage du contrevenant et, plus largement, pour la société.

Pour arriver à de tels résultats, l'évolution de la profession a dû et doit continuer de reposer sur la production d'un savoir criminologique qui s'arrime à l'évolution de la société et aussi de la criminalité qui s'y déploie. En outre, le travail du criminologue, qu'il vise la prévention de la criminalité ou la réinsertion sociale des contrevenants jeunes et adultes, ne saurait se faire en silo. Le mot d'ordre est désormais de «décloisonner les actions pour réussir dans notre monde en changement». L'anniversaire célébrant les 50 ans de la criminologie au Québec sera l'occasion de réfléchir aux façons de rencontrer cet objectif, notamment dans le cadre du congrès pancanadien tenu conjointement par la Société de criminologie du Québec et l'Association canadienne de justice pénale. Un exemple de décloisonnement.

Dans cette édition spéciale, l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ) et la Société de criminologie du Québec (SCQ) s'associent – encore un exemple de décloisonnement - pour faire un bilan des cinquante ans de développement fertiles de recherches quantitatives, qualitatives et évaluatives de pointe, et d'interventions novatrices, prometteuses ou même probantes en criminologie au Québec. Nous souhaitons que cette publication contribue à rappeler de bons souvenirs et à faire connaître des côtés peut-être encore obscurs de cette profession dont l'apport est maintenant reconnu dans l'élaboration des politiques comme dans les milieux de pratique institutionnel, judiciaire, policier, scolaire et communautaire. Il s'agit aussi, et surtout, d'ouvrir sur l'avenir de la criminologie que l'on veut, évidemment, tout aussi fécond.