Porte Ouverte Magazine

Les cercles de soutien et de responsabilité

By Fernand Bessette,
Frère de la Congrégation de Sainte-Croix

Témoignage d’un bénévole d’un cercle de soutien et de responsabilité : Avoir la foi en l’homme

En 1969, je filais des jours heureux. J’étais psychoéducateur dans un centre de réhabilitation pour jeunes délinquants. J’apprenais que le don de soi est une source majeure de bonheur. Et voilà que je suis invité à aller missionner en Inde. Je dis oui. Il me semblait que la meilleure façon d’être heureux, c’était de partager ce que j’avais reçu de ma famille, de mes éducateurs laïcs et de Sainte-Croix, de ma société, de mon pays, de mon Église, de ma religion et de ma foi. Et cela s’est avéré vrai. J’ai vécu trente et une belles années en Inde. Puis, en l’an 2000, j’ai fait un bilan pour me rendre compte que si j’avais beaucoup donné, j’avais surtout beaucoup reçu. J’ai donc décidé de revenir au Canada pour partager avec les miens ce que les Indiens m’avaient donné d’amour, d’attention aux autres, de la primauté des liens familiaux, du respect des aînés, du bien-fondé de la différence et de la diversité, de l’importance de la solidarité et une meilleure compréhension de notre commune humanité.

«Je découvre dans cet homme quelque chose de très humain, quelque chose de grand, quelque chose de beau, quelque chose m’invitant au respect et même à l’admiration et à l’affection.»

En septembre 2001, je suis introduit au Service correctionnel et, lors d’un temps de formation, on m’indique que j’aurais les aptitudes à accompagner des délinquants sexuels. Je suis alors invité à participer au programme VISA (violence interdite sur autrui) en maintien des acquis. Je suis abasourdi. Je fais la rencontre d’hommes honteux et perturbés, se sentant piégés et essayant de se remettre debout malgré tout. Il me semblait que la présence d’un être humain posant sur eux un regard de vérité, mais aussi de compassion et de bonté, contribuerait à leur faire découvrir qu’ils étaient plus grands que leur délit et qu’ils étaient capables de recouvrer leur dignité pour redevenir des citoyens dignes de respect et de confiance. En m’approchant d’eux, j’ai découvert des hommes profondément blessés mais encore capables d’aimer en toute gratuité. Leurs cris de désespoir ne m’ont pas laissé indifférent.

En Inde, j‘ai eu le bonheur de rencontrer Mère Teresa à plusieurs reprises. Elle ne manquait jamais de nous dire et redire la joie qu’elle et ses sœurs avaient de prendre soin et d’accompagner les plus pauvres des pauvres. Et ici au Canada, au Québec, les plus pauvres des pauvres, les plus rejetés, les plus haïs, les plus exclus sont les délinquants sexuels. Les crimes à caractère sexuel ont quelque chose de laid et ils font peur. Ils dégoûtent. Les délinquants sexuels sont des hommes marqués au fer rouge et leur vie est souvent en danger dans leur milieu d’incarcération. Ils doivent être protégés de la colère et de l’indignation des autres détenus. À leur sortie, ils ont à faire face à l’hostilité de la société et souvent à celle de leur propre famille. Il leur devient difficile de trouver un lieu d’appartenance leur permettant d’avoir des relations saines et harmonieuses avec les personnes de leur entourage.

Les cercles de soutien et de responsabilité sont là pour aider le délinquant à recréer autour de lui un réseau de relations favorisant la réinsertion dans un climat de confiance et de respect mutuel. Cette confiance et ce respect mutuel sont les éléments clés de ma relation avec les délinquants. Lors de nos rencontres, j’ose me dire, leur parler de mes émotions, leur partager quelque chose de mon vécu des dernières semaines, des derniers jours. Cette ouverture favorise habituellement la réciprocité. Le délinquant se sent en confiance et il se sent devenir de plus en plus important à mes yeux. Et cela est vrai; il le devient. Il le devient de plus en plus parce que je découvre dans cet homme quelque chose de très humain, quelque chose de grand, quelque chose de beau, quelque chose m’invitant au respect et même à l’admiration et à l’affection

Si ces hommes ont fait mal, ils ont aussi eu mal. La grande majorité d’entre eux ont été victimes avant de faire des victimes. D’où l’impératif de prendre tous les moyens pour ne pas faire d’autres victimes. Et pour cela, le choix d’un milieu de vie sain et fonctionnel devient primordial. Car la guérison n’est peut-être pas possible. Un peu comme le diabétique ou l’alcoolique, le délinquant sexuel ne peut oublier sa fragilité sans risque de conséquences graves. Et dans le cas de délinquance sexuelle, il y a toujours une victime. C’est cette pensée qui me fait travailler avec acharnement. Et aussi parce que je crois en l’homme. Je crois en l’être humain, en sa capacité de se faire, de se refaire, de se recréer, de renaître. Je crois en la vie. Je crois que la vie transcende la mort. Je crois que la vie est plus forte que la mort. Je crois que la vie vaincra le mal, que c’est le bien qui aura le dernier mot. Je crois que la grande majorité des délinquants sexuels peut donner à la société ce qu’ils n’auraient probablement pas donné n’eut été de leur délit. Je crois que le don de soi est un facteur de guérison… pas la punition.