Porte Ouverte Magazine

Les cercles de soutien et de responsabilité

By Guy Pellerin

Le changement… Quel changement?

Guy Pellerin siège sur le conseil d’administration de l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ). Désormais retraité, il a œuvré durant 33 ans dans le secteur correctionnel où il a porté de multiples chapeaux. Il signe ici un billet d’humeur portant sur le «recyclage d’idées», une manœuvre couramment employée, à défaut de réels changements…

De nos jours, tous les grands de ce monde n’ont qu’un mot en bouche : le changement. Nous sommes dans une ère de changement. Allons donc! Moi, j’ai plutôt l’impression que sous de nouveaux vocables se cachent les mêmes tristes réalités. En effet, il n’y a guère de différence, si ce n’est au point de vue technologique, entre la société cléricale du début du siècle jusqu’aux années 60 et la société technodogmatique des années 80 et suivantes.

Je vais m’amuser à utiliser certaines expressions des années dites de la Grande noirceur et quelques mots des années dites des «grands changements». Auparavant, on parlait de résignation. Maintenant on parle d’adaptation, c’est-à-dire apprendre à accepter sans douter les vérités et les réalités proposées par les dominants. Avant, il y avait l’anathème pour ostraciser les hérétiques. Maintenant il y a l’exclusion pour ceux qui osent remettre en question certaines réalités ou qui refusent de se conformer. Il n’y pas si longtemps, on avait droit à de longues encycliques pour nous indiquer la voie à suivre. Maintenant on nous offre des missions auxquelles il faut nécessairement adhérer sinon nous serons exclus de l’entreprise ou de notre groupe. On parlait d’aggiormento et maintenant on palabre sur la révision des processus ou la réingénérie. Que de progrès, n’est-ce pas?

On a eu les croisades, on a les djihads. On invoquait la nécessité d’évangéliser le monde afin de sortir les autres de leur barbarie. Aujourd’hui, on parle de mondialisation pour véhiculer les vraies valeurs. Il y avait l’empire des ténèbres, nous avons l’axe du mal. Il y avait le «crois ou meurs», il y a désormais «si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi». Il y a eu l’Inquisition, nous avons maintenant la traque des terroristes. Je suis encore tout ébaubi de constater les progrès que nous avons faits. Nous changeons pour retrouver nos vieux réflexes ataviques d’intolérance et d’injustice. Nos élites nous disent qu’il faut créer de la richesse, mais ils ne nous disent pas comment elle s’obtient ni surtout comment la partager.

Jadis, l’homme était responsable de tout ce qui lui arrivait et s’il lui arrivait du mal, c’était qu’il n’avait pas respecté certains préceptes religieux. Maintenant l’homme est responsable de ses malheurs parce qu’il n’a pas respecté certains principes économiques. Pourquoi pensez-vous qu’on insiste tant pour opposer les droits individuels aux droits collectifs? Parce c’est la seule façon que notre élite techno-financière a trouvée pour nous faire croire qu’on a ce que l’on mérite. Il est certain que l’enfant qui naît avec le syndrome de Down, de même que l’habitant du Darfour, n’a que ce qu’il mérite. C’est également la meilleure manière de tuer toute velléité de révolte contre l’ordre établi et les préceptes proposés par nos chantres du libéralisme économique à tout crin. Les dogmes économiques ont remplacé les dogmes religieux. C’est aussi le meilleur moyen d’accentuer la compétition entre les individus. En effet, qui dit compétition dit meilleur prix, dit élimination des faibles, donc gain de productivité. On a déjà préconisé l’eugénisme humain. Maintenant c’est l’eugénisme économique. C’est plus sophistiqué, mais ça vise les mêmes résultats : l’élimination des plus faibles.

Nous arrive-t-il de penser que les droits individuels sont indissociables des droits collectifs et que les uns ne sauraient exister sans les autres? N’en déplaise à certains, l’homme est un être social, il ne peut vivre sans l’autre. L’autre, c’est un miroir qui lui permet de se reconnaître et de savoir qui il est. Une des meilleures façons d’éviter le chaos social et environnemental qui nous guette, c’est de coopérer, c’est de partager nos connaissances, nos habilités et nos ressources pour rendre notre monde vivable et notre planète encore habitable. La nature profonde de l’homme, c’est de s’accaparer de tout. C’est la civilisation et certaines valeurs humaines qui lui ont fait dépasser ce stade de prédateur et qui l’ont amené à prendre conscience qu’il ne pouvait survivre sans coopérer et sans préserver son environnement. Seul un adulte peut agir de la sorte, mais la société infantilisante dans laquelle nous nous complaisons compromet nos chances non seulement de s’épanouir, mais tout simplement de survivre. Quand je parle de société, je parle d’un ensemble d’individus responsables. La société, ce n’est pas une entité abstraite. Ce sont des hommes et des femmes qui agissent de concert pour atteindre des buts déterminés. Quand on accuse la société, on s’accuse soi-même. Je crois encore qu’on peut réussir, mais il faut garder intacte notre capacité de se révolter et ne jamais se résigner ou s’adapter comme le voudraient certains bonzes. Je sais que ce n’est plus la mode de douter, de remettre en question certaines réalités, mais quelques fois, il faut savoir aller à contre-courant pour ne pas être emporté vers la chute.