Porte Ouverte Magazine

Des citoyens engagés au mieux-être de nos communautés

By Marie Philippe,
Artiste

Bâtir des ponts

Il est important, et c'est même une obligation, que la communauté s'implique pour régler les problèmes liés à la délinquance et pour favoriser la réintégration sociale et communautaire des personnes judiciarisées. Peu importe la dimension de l'implication, du plus petit au plus grand geste, dans la pensée ou dans l'action, c'est chacune de ces prises de conscience qui bâtit les ponts entre les êtres. Et quand les ponts s'érigent, la violence fait place à la création, à la communication et à un sentiment d'appartenance.

Albert Jacquard, le généticien de renommée internationale, voyait dans les prisons le signe d'une société malade. Pour lui, la responsabilité de l'aider à guérir incombait à la collectivité. Dans sa préface du premier album des Souverains Anonymes, Ici radio Bordeaux, il précisait « dans le milieu carcéral, près de 99,9% sont des êtres qui ne se sentent pas entendus».

Cette phrase a des échos partout hors des murs : pour tous ceux et celles qui souffrent de problèmes de violence, de problèmes de dépendance et de problèmes mentaux, tous ceux et celles qui commettent des actes de délinquance, tous ceux et celles qui ne se sentent pas entendus, agressés comme agresseurs, tous victimes.

Ça part de loin « ne pas se sentir entendu », parfois avant même d'être au monde. Des générations de parents qui ne se sont pas sentis entendus ont reproduit le même schéma, comme une longue chaîne de malentendus pleine de trous noirs.

Mais être à l'écoute des autres implique d'être à l'écoute de soi d'abord, comme on doit apprendre à s'aimer soi-même avant de pouvoir aimer les autres. Ça part de soi, de chacun de nous et dans la plus grande humilité, car c'est elle qui engendre l'écoute profonde et authentique. Malheureusement, on a beau avoir toute l'humilité du monde, souvent la rapidité avec laquelle on traverse nos journées, nos années, nos vies, ne laisse plus beaucoup de place à l'écoute, de nous comme des autres...

Derrière chaque violence il y a la peur de ne pas être. Mais être qui? L'idéologie de la perfection plonge le monde dans le vide de l'inatteignable et la détresse du perdant. Nous sommes tellement sollicités et conditionnés mentalement, engloutis sous des tonnes de propagande qu'on est prêt à tout pour être. Certains empilent des tonnes et des tonnes de milliards à coup d'illégalités déguisées. Parce qu'ils ont les moyens de payer le silence, on les laisse passer (et avec une grande pirouette en plus). Et pourtant ils font pires que bien des détenus, que l'on méprise parfois au point de défouler sur eux nos frustrations… quand ils sont traqués entre quatre murs bien insonorisés.

De plus en plus d'organismes offrent à ces êtres brisés la possibilité de s'exprimer, dans toutes formes d'art, et leurs permettent ainsi d'être vus et entendus. Vus et entendus donc appréciés et respectés. Les témoignages de ceux et celles qui ont traversé l'enfer et qui racontent la vérité donnent l'heure juste. Il ne faut surtout pas avoir peur de valoriser ce courage. Plus que toute autorité ou tout jugement, plus que l'usage de la force et de l'isolement, plus que la menace et la correction, « être vu et entendu, apprécié et respecté » sert à bâtir les fondations d'une société.