Porte Ouverte Magazine

Des citoyens engagés au mieux-être de nos communautés

By David Henry,
Coordonnateur aux programmes et aux communications, ASRSQ

Être bénévole en détention : une présence humaine dans les murs

Jacques Fréchette fait du bénévolat avec ARCAD, un organisme fondé en 1965 dont l'un des objectifs est d'assurer régulièrement des rencontres libres et constructives entre les détenus et les membres de la communauté. Il a accepté de répondre à nos questions sur les motivations d'un tel bénévolat.

Pourquoi avoir choisi de vous impliquer comme bénévole auprès de personnes incarcérées?

Je réalisais ma maitrise en éducation à l'université quand un étudiant qui faisait déjà des visites en détention sur une base régulière m'a invité à l'accompagner. J'ai pris 6 mois avant de répondre à son invitation car sur le coup, j'aurais dit non. Il m'avait invité à y réfléchir. Je l'ai pris comme un défi car je n'étais pas d'emblée à l'aise et ça me permettait d'explorer une zone un peu nébuleuse pour moi. Étant amateur de films policiers et autres, je me suis souvent fait la réflexion que généralement la psychologie du criminel n'est pas toujours très développée. Pourtant, il y a toujours selon moi quelque chose qui explique pourquoi une personne devient criminelle. C'est souvent en lien avec une éducation ou un milieu social déficient mais on ne devient pas criminel par goût. Je crois qu'en comprenant le chemin emprunté par les criminels, on peut alors les ramener sur le chemin des valeurs courantes, positives de la société.

En règle générale, quand j'ai parlé de mon implication bénévole autour de moi, c'était mal perçu. J'ai souvent essayé de donner des éléments pour permettre une réflexion sur cet engagement mais d'une manière générale, les gens ne comprennent pas l'idée de tendre la main aux personnes incarcérées.

Je ne vais pas en détention pour les déprendre, ni pour les porter sur mes épaules. Je vais là, pour faire quelque chose que j'aime tout en étant moi-même le plus possible. Étant sportif de nature, je joue donc au volleyball avec les gars. On fait aussi beaucoup de jeux de société et on organise de temps à autre des projections de film. Il y a plusieurs gars qui m'ont témoigné que les simples visites d'un citoyen leur apportaient de la valorisation. Cela permet aussi de briser l'isolement, c'est comme une petite fenêtre, une petite brise, où vous êtes monsieur et madame tout le monde qui viennent leur dire qu'ils ne sont pas nuls et qu'ils valent quelque chose.

Moi, je ne fais pas du bénévolat en détention pour chercher une bonne note de comportement. Je fais de bénévolat pour m'amuser et j'arrive à m'amuser avec eux. Quand on joue au volleyball, on est une équipe, on ne voit pas le prisonnier ou les crimes qu'il a commis… on essaye de gagner avec un smash ou une série de passe et quand on gagne un point, on le gagne ensemble. Il n'y aurait pas de différence si je jouais avec une équipe à l'extérieur des murs.

Est-ce que vous aviez des idées préconçues (qui se sont révélées vraies ou fausses) la première fois que vous êtes entré dans un pénitencier?

Oui, j'avais des préjugés, j'étais nourri par les images du téléviseur. On s'aperçoit qu'on a des préjugés quand on intègre ce milieu et qu'on découvre finalement des hommes qui semblent normaux. Moi, je ne pose pas de question sur le délit, je ne suis pas ici pour le savoir et je ne veux pas changer mon regard sur eux. Ils viennent purger leur peine et moi je viens les accompagner quelques heures dans la semaine.

Mais j'ai déjà été très contrarié par cet accompagnement : je fais beaucoup de vélo et j'ai rencontré un détenu qui m'a expliqué avoir volé des vélos sur une base exponentielle et il agissait dans le quartier ou je vivais. Je me suis fait voler plus de 10 vélos dans les années où ce gars agissait, il y a donc de fortes chances que plusieurs de mes vélos se soient retrouvés dans ses mains. Dans les premiers temps, je l'avais en travers de la gorge quand je le voyais mais quand il m'a raconté sa descente aux enfers par la suite, c'était comme une forme de justice réparatrice de l'écouter et de le côtoyer pendant des années. Je n'ai plus vu le voleur de vélo, j'ai vu l'homme rempli de remords qui voulait faire autre chose et devenir un élément positif dans la communauté.

Est-ce que l'environnement de la prison vous faisait peur ? Est-ce qu'on peut s'habituer à faire du bénévolat en détention?

Ça fait maintenant plus de 15 ans que je vais en détention pour faire du bénévolat. Je crois que mon implication a été facilitée du fait que le Centre fédéral de formation (CFF) était un centre de détention de niveau minimum quand j'ai commencé. De l'extérieur tout à l'air gris avec des miradors et des tours, c'est très rébarbatif mais quand vous entrez c'est très différent. C'est vert et paysager, c'est vraiment différent de ce que vous vous attendiez.

Quand je suis allé dans un médium, plus tard à l'établissement Leclerc. Là, j'ai vu une détention plus « rough » : les barreaux, les fermetures de porte, les procédures, certains gardiens plus bourrus. Si j'avais commencé par le Leclerc, je ne pense pas que j'aurais continué…

Dans les premiers temps de mon implication, je me souviens d'avoir croisé un homme qui avait commis un double meurtre (je ne le savais pas sur le moment, je l'ai appris par la suite). En serrant sa main, j'avais l'impression de rentrer dans un congélateur et son regard était tellement fermé, rien ne transparaissait. C'est dans les premiers contacts lourds que j'ai eus avec quelqu'un. J'ai une certaine candeur mais de serrer cette main-là, ça m'a fait un effet repoussoir. J'étais dans mes préjugés et je me suis dit « oh bon sang, est-ce que c'est ça le milieu criminel ? ». Mais évidemment, l'expérience m'a appris que dans ce milieu, il y a autant de visages différents que de personnes incarcérées. Il y a autant de cheminements différents que de personnes, c'est vraiment individuel. Deux ans plus tard, j'ai failli ne pas le reconnaître quand je l'ai rencontré à nouveau. Les traits de son visage étaient tellement plus détendus et je voyais dans son regard que quelque chose avait changé.

Est-ce que vous avez remarqué des changements au fil des années dans les pénitenciers?

Quand le CFF est devenu un centre à multi niveaux de sécurité (minimum et médium). J'ai senti une grande insatisfaction tant de la part des personnes incarcérées que parmi le personnel. Chez les détenus, il y avait de la résignation et de la frustration mais nous quand on rentre en détention, on rentre pour jouer, discuter avec les détenus et on reste en dehors de ces frustrations.

Dans les dernières années, les coupures de budget se faisaient sentir tout le temps. Par exemple, on ne nous permettait plus le projecteur pour diffuser des films. On nous coupait certaines activités. Quand on voulait organiser quelque chose pour Noël, on nous le permettait jusqu'à ce que ce soit annulé à la dernière minute. C'est dommage. On sentait aussi que les agents du service correctionnel étaient pris aussi dans ces compressions et faisaient avec les moyens du bord pour la réhabilitation de ces hommes. On persévérait tout de même, jusqu'au moment où ARCAD a été mis à terre par des coupures budgétaires. Actuellement, je continue à faire du bénévolat mais uniquement à la Montée St-François, on s'en tient à ça.

Qu'est ce que ce bénévolat vous a apporté?

Ma compréhension des personnes en général. Un regard plus ouvert sur les gens qui m'entourent, sur leur fragilité et la mienne. Quand je suis en contact avec eux, quand je vois que la réalité que ces gens ont vécue, quand vous comprenez, vous arrivez à ne plus juger. On se rend compte qu'on a sans doute eu un peu moins de malchance qu'eux. Si j'avais été à leur place, est-ce que j'aurais fait mieux ?

Je pense aussi qu'ARCAD avait une influence positive sur le personnel carcéral. Au début, ARCAD était plutôt mal perçu dans ce milieu mais ils se sont habitués à nous. Certains membres du personnel ne comprenaient pas que des citoyens libres décident de prendre du temps pour aller visiter des détenus, des bandits. Car il y a aussi des idées préconçues chez certains d'entre-deux. Notre présence les a questionnés sur leurs valeurs et leurs idées.