Porte Ouverte Magazine

Des citoyens engagés au mieux-être de nos communautés

By Cassandre Carpentier-Laberge,
M.Sc, étudiante au doctorat en criminologie, École de criminologie, Université de Montréal

and Julie Delle Donne,
LL.B, étudiante à la maîtrise en criminologie, École de criminologie, Université de Montréal

Les médias sociaux : nouvel outil de prévention?

Au cours des dernières années, tant la police que les citoyens ont développé des pratiques visant à prévenir la commission de délits. Avec l'arrivée récente des médias sociaux tels que Facebook, Twitter et YouTube, les chercheurs ont commencé à s'intéresser aux changements que ces outils ont amenés dans les pratiques. Ainsi, il sera question dans le présent article de présenter comment les médias sociaux ont été utilisés à ce jour, tant par les policiers que les citoyens, dans le cadre de la prévention de la criminalité. En guise d'introduction, un bref survol des pratiques traditionnelles sera effectué. Dans un second temps, les utilisations les plus fréquentes et leurs avantages seront présentés. Par la suite, nous aborderons les difficultés et défis qui ont été soulevés par les utilisateurs de ces outils. Finalement, nous conclurons avec une brève discussion sur l'avenir de cette utilisation.

La prévention traditionnelle par la police et par les citoyens

La prévention dans son sens le plus restrictif correspond à « l'ensemble des actions non pénales sur les causes prochaines des crimes dans le but spécifique d'en réduire la probabilité ou la gravité » (Cusson, 2000). Plusieurs pratiques policières répondent à cet objectif. Par exemple, les policiers tiennent des conférences dans les écoles et font diverses campagnes de sensibilisation auprès de la communauté. De plus, afin de dissuader certains voleurs de passer à l'acte, des opérations de marquage des biens de valeurs peuvent avoir lieu. Soulignons également que certaines actions policières, bien qu'elles n'aient pas pour objectif unique de prévenir la criminalité, comportent une dimension préventive. Dans cette catégorie d'action nous pouvons donner l'exemple de la patrouille qui bien qu'elle ait un aspect répressif, soit arrêter des individus en flagrant délit, vise également à dissuader la perpétration d'actes criminels par la simple présence des gendarmes.

Le public occupe également une place importante dans les débats de la sécurité, comme le contrôle social informel par les membres de la communauté (Crawford,1999). Le Neighborhood Watch aux États-Unis est un exemple typique et populaire de ce regroupement. Il consiste en une action collective citoyenne ayant comme objectif de contrôler le crime et d'en réduire la peur. Un des objectifs de ce regroupement consiste à sensibiliser les habitants à leur propre sécurité (Dupont, 2007). Ce type de regroupement existe également au Canada depuis plus de 20 ans sous le terme « comité de surveillance de quartier » (Dupont, 2005). Des études menées par les services policiers ont démontré que ces actions citoyennes ont mené à une réduction de certains types de délits. Par contre, d'autres études indépendantes ont illustré l'échec total ou partiel de ces initiatives. Par exemple, il est difficile de maintenir, à long terme, l'intérêt des participants. Certains auteurs croient que l'arrivée des nouvelles technologies et plus particulièrement les médias sociaux pourrait améliorer ces pratiques (Kang et Kwak, 2003).

Médias sociaux

Avant de présenter comment les médias sociaux ont été utilisés à ce jour par les policiers et les citoyens pour faire de la prévention, il est nécessaire de définir ce qu'est un média social. Les médias sociaux correspondent à un service sur la surface web permettant aux utilisateurs de se construire un profil public ou semi-public dans un système délimité, précisant une liste d'utilisateurs pouvant partager des liens et permettant de voir la liste des liens des autres utilisateurs dans le système (Boy et Ellison, 2008). Plusieurs médias sociaux ont vu le jour sur le Web 2.0. Les plus souvent cités sont Twitter, Facebook ainsi que YouTube. Par contre, il en existe plusieurs autres tels que les blogues, Linked et Flikr.

Utilisation des médias sociaux par les policiers et les citoyens

Les médias sociaux sont faciles d'accès autant par les citoyens que les policiers. Par exemple, 64% des Canadiens en 2012 faisaient partie d'une communauté virtuelle comme Facebook ou Twitter (Croix-Rouge canadienne, 2012). Cet outil technologique a été utilisé par les services policiers entre autres afin de s'établir une identité corporative (National Policing Improvement Agency, 2011). Ces comptes permettent à l'organisation de diffuser rapidement et largement des informations à titre préventif (Panagiotopoulos, Bigdeli et Sams, 2014). Un exemple de cette utilisation consiste en la diffusion de publications lors de recherche de personnes portées disparues. L'utilisation des médias sociaux permet aux organisations policières d'informer plus facilement le public concerné et de pouvoir mieux contrôler les messages diffusés (Préfecture de Police, 2013). Auparavant, lorsque les policiers voulaient diffuser une information, ils devaient avoir recours aux médias traditionnels (radio, téléjournal, publicité). En plus de retirer les intermédiaires entre le message à diffuser et les auditeurs, l'utilisation des médias sociaux comporte l'avantage d'être gratuite. Finalement, soulignons que cet outil offre plus d'interactions et de dialogues que les médias traditionnels (Brainard et Edlins, 2015). Par le fait même, les policiers peuvent prendre facilement connaissance des préoccupations et avis des citoyens sur divers sujets.

Une étude (...) démontre que la police cherche de plus en plus à interpeller les citoyens par les médias sociaux. (...) Les messages liés à la prévention sont plutôt rares (...).

Initialement, la participation des citoyens auprès leur communauté pouvait se mesurer par leur utilisation des médias plus traditionnels comme les téléjournaux (Kang et Kwak, 2003). Il est donc possible de croire qu'ils peuvent aussi utiliser les médias sociaux pour améliorer leur engagement auprès de leur communauté et leur capital social, tout en étant un moyen démocratique pour diffuser de l'information (Gil de Zuniga, Jung et Valenzuela, 2012). Effectivement, sachant que ces informations proviennent non seulement des autorités, mais aussi du public, les citoyens peuvent s'informer entre eux, améliorant ainsi le sentiment de sécurité. L'engagement s'améliore aussi à l'aide des médias sociaux. Par exemple, les jeunes entre 20 et 35 ans, utilisant abondamment et quotidiennement les médias sociaux, apprennent, négocient et adoptent des comportements, attitudes et valeurs sur ces médias sociaux (Rodriguez, 2013). De plus, lors de situations de crise, les citoyens se servent des médias sociaux pour des appels à l'aide, ou bien pour informer leur communauté ainsi que les autorités des incendies ou autres désastres majeurs. En fait, 63% des citoyens interrogés par la Croix-Rouge canadienne croient que les autorités devraient être plus alertes sur les médias sociaux pour être prêts à intervenir.

Défis et enjeux

Certes, l'utilisation des médias sociaux dans le but de prévenir ou surveiller n'est pas sans défis. Si cet outil permet de mieux contrôler la façon dont le message est diffusé à l'origine, une fois qu'il est publié, il devient impossible de contrôler la façon dont il sera retransmis par les autres utilisateurs ainsi que les commentaires qui suivront (Davis, Alves et Sklansky, 2014). Par exemple, lors de l'attentat à la bombe survenue à Boston en 2013, les policiers ont été félicités pour leur bonne communication avec la population par le biais de leur compte Twitter et Facebook tout au long de l'investigation. Ce dialogue a permis de rassurer la population, de donner des directives de sécurité et d'éviter les désordres. Par contre, en parallèle, l'audience a mené sa propre investigation et cherché à identifier un suspect, ce qui a mené à la diffusion erronée du nom d'un individu (Davis, Alves et Sklansky, 2014). Ce type de « procès par les médias sociaux » peut être fort dommageable pour ces personnes qui se voient juger par les membres de leur communauté avant même d'avoir été formellement accusées.

Discussion

Bien que les médias sociaux semblent offrir de nombreux avantages en termes de prévention et d'engagement entre les citoyens et la police, une étude menée sur quatre grandes villes canadiennes démontre que la police cherche de plus en plus à interpeller les citoyens par les médias sociaux, bien que deux d'entre elles ne créent pas beaucoup de dialogue auprès de leur communauté virtuelle. De plus, les messages liés à la prévention sont plutôt rares pour ces quatre villes (Carpentier-Laberge, 2015). Peu de recherches ont été effectuées à ce jour sur les raisons pouvant expliquer cette sous-utilisation. Certains auteurs soulèvent que les agents ne sont pas nécessairement habitués à la dynamique qui régit les médias sociaux. Les messages trop formels ou à l'inverse manquants de professionnalisme pourraient être mal reçus sur ces plateformes. Ainsi, l'adoption des médias sociaux serait en partie freinée par le besoin d'adaptation des pratiques (Davis, Alves et Sklansky, 2014).

Il est également possible de croire que cette sous-utilisation pourrait être expliquée par des principes relevés par la théorie de la diffusion de l'innovation de Rogers (2003). Cette théorie insiste sur le fait que l'adoption d'une innovation technologique ne repose pas tant sur les avantages et désavantages qu'elle semble offrir d'un point de vue externe, mais plutôt sur la perception de l'outil qu'ont les potentiels utilisateurs. Ainsi, pour prédire l'adoption future des médias sociaux, il ne faudrait pas tant se questionner sur les avantages et désavantages objectifs qu'offrent les médias sociaux comme outil de prévention, mais plutôt s'intéresser à la perception des citoyens et des membres des organisations policières.

Considérant que la perception des acteurs est importante pour estimer l'adoption future d'un outil et que très peu de recherches au Canada semblent s'être attardées à la perception des membres des organisations policières et des citoyens quant à l'adoption des médias sociaux comme nouvel outil de prévention et de renforcement de l'engagement entre les policiers et les citoyens, il est difficile pour l'instant de se positionner sur l'avenir de cette utilisation. Les auteurs suggèrent que de plus amples recherches devraient être effectuées sur le sujet qui commence à peine à être abordé au Canada. Ces recherches pourraient contenir des questions telles que : est-ce que l'outil leur semble complexe ? Est-ce qu'ils perçoivent que les médias sociaux offrent des avantages que les autres outils n'offrent pas ? Est-ce qu'ils perçoivent que les médias sociaux peuvent leur permettre d'atteindre leurs objectives préventions de la criminalité ?


Bibliographie

Boy, D. et Ellison, N. (2008). Social Network Sites : Definition, History, and Scolarship. Journal of Computer-Mediated Communication, 13, 210-230.

Brainard, L. et Edlins, M. (2015). Top 10 U.S. Municipal Police Departments and Their Social Media Usage. The American Review of Public Administration. 1-18.

Carpentier-Laberge, C. (2015). La police et Twitter: l'utilisation des médias sociaux par les services policiers canadiens (Mémoire de maîtrise). Université de Montréal.

Crawford, A. (1999). Questionning Appeals To Community Within Crime Prevention and Control. European Journal on Criminal Policy and Research, 7, 509-530.

Croix-Rouge canadienne (2012). Médias sociaux et situations d'urgence. 

Cusson, M. (2000). La prévention du crime par la police: tactiques actuelles et orientations pour demain. Revue de droit pénal et de criminologie, 113-134.

DUPONT, B. (2005). Consultation, participation et représentativité des citoyens dans la production de sécurité
publique au Québec. Colloque international francophone. 

Dupont, B. (2007). Police communautaire et de résolution des problèmes. Dans Cusson, M., Dupont, B. et Lemieux, F. Traité de sécurité intérieure. (no.978-89428-986-0, pp.98-114). Montréal : Éditions Hurtubise HMH ltée.

Davis, E. F., Alves, A. A., & Sklansky, D. A. (2014). Social media and police leadership: Lessons from Boston. Washington : National Institute of Justice.

Kang, N. et Kwak, N. (2003). A Multilevel Approach to Civic Participation. Individual Length of Residence, Neighborhood Residential Stability, and Their Interactive Effects With Media Use. Communication Research, 30(1). 80-106. National Policing Improvement Agency (2011). Engage : Digital and Social Media Engagement for the Police
Service.

Panagiotopoulos, P., Bigdeli, A.Z. et Sams, S. (2014). Citizengovernment collaboration on social media : the case of Twitter in the 2011 riots in England. Gouvernement Information Quarterly, 31, 349-357.

Préfecture de Police (2013). Les bonnes pratiques des réseaux sociaux. Le guide de la préfecture de Police.

Rodriguez, S. (2013). S'engager à l'ère du Web. Attitudes, perceptions et sens de l'engagement chez la « génération
de l'information » (20-35 ans) (Thèse de doctorat inédite). Université de Montréal.

Rogers, E. M. (2003). Diffusion of innovations. (5th ed.). New York: Free Press.

Gil de Zuniga, H., Jung, N. et Valenzuela, S. (2012). Social Media Use for News and Individuals' Social Capital, Civic Engagement and Political Participation. Journal of Computer-Mediated Communication, 17, 319-336.