Porte Ouverte Magazine

Des citoyens engagés au mieux-être de nos communautés

By Maxime Janson,
Ancien coordonnateur, Cercles de soutien et de responsabilité du Québec

La perte du financement des CSRQ et de leurs bénévoles : Un filet de protection troué pour des délinquants sexuels à haut risque de récidive

Après avoir passé les 24 dernières années de sa vie au pénitencier, sans avoir bénéficié d'une remise en liberté compte tenu de sa grande dangerosité, lorsque Damien s'est retrouvé à l'extérieur des murs en janvier 2015, sous le vent glacial de la Côte-Nord, seuls quelques flocons l'auraient attendu sans son cercle de soutien et de responsabilité (CSR). Sans famille ni amis, il aurait été seul, à la rue. Sa lumière au bout du tunnel n'aurait été qu'un leurre. Il se serait subitement retrouvé sans repères dans des conditions de vie tout aussi précaires que lors de son arrestation, isolé socialement et stigmatisé par l'ensemble de la société. Il aurait possiblement entamé sa nouvelle vie en position d'échec et de risque majeur de passage à l'acte.

Damien n'avait jamais mis les pieds à Montréal. Il n'avait aucune idée comment pouvait fonctionner le métro et n'avait jamais tenu un cellulaire dans sa main. Imaginez le choc à sa sortie. Tout allait vite, tout était une nouvelle découverte. Il se sentait constamment interpellé, voire bousculé, par son environnement qui pouvait parfois lui apparaître hostile. Heureusement, à l'époque, les Cercles de soutien et de responsabilité du Québec (CSRQ) étaient présents pour lui servir de filet de protection et de communauté d'appartenance, ainsi que pour lui insuffler de l'espoir, de la confiance et de la dignité humaine nécessaires quant à de son estime personnelle, l'un des principaux enjeux de sa dynamique délictuelle.

Concrètement, son cercle lui a entre autres permis de se trouver un logement, un vélo, un emploi, un chat de compagnie, etc. De plus, il a été orienté vers des ressources pour pouvoir se nourrir, s'habiller et se meubler à prix modique. Moralement, son cercle l'a amené à consolider et à mettre en application ses acquis thérapeutiques. Il l'a également rassuré face aux peurs et scénarios qu'il se créait, en l'aidant par exemple à restructurer sa pensée ainsi qu'à mieux gérer son anxiété et ses émotions. Dès lors, il n'accumule plus d'insatisfactions ni de colère et a cessé de se réfugier dans ses compulsions sexuelles. Il parle ouvertement de ses difficultés, puisque, au fil des rencontres, un beau lien de confiance s'est tissé avec ses bénévoles, venant par le fait même le soutenir et le responsabiliser dans ses choix.

Damien a avant tout eu un espace de parole et d'écoute, teinté par le respect et l'empathie. De façon à l'aider à développer ses champs d'intérêt et ses habiletés relationnelles, ainsi que pour lui assurer une présence sécurisante au cours des premiers mois de son retour en communauté, ses bénévoles ont participé à diverses activités avec lui, telles qu'aller au restaurant, au café, aux quilles, au bingo, au théâtre… L'une des grandes forces de son cercle se situait justement dans l'implication de ses bénévoles. Comme l'écrivait si bien Catherine Girouard dans un dossier du journal l'Itinéraire sur le bénévolat extrême : « Leur engagement et leur mobilisation rendraient jaloux plusieurs employeurs ». Dans le même article, l'un des bénévoles des CSRQ, un policier du SPVM, disait : « J'avais envie de m'impliquer auprès d'eux parce que ces hommes sont négligés par le système. Les alcooliques, les hommes violents, les femmes abusées, tout le monde a son service d'aide, sauf eux ».

Diverses études montrent que le taux de récidive d'un délinquant sexuel non-traité est de 17%, baisse à 10% lorsqu'il suit un programme, et chute à 2% lorsqu'en plus, il participe à un cercle.

Déjà plus d'un an que Damien vit à Montréal, où il s'est créé une belle routine, à travers laquelle il a maintenu une stabilité occupationnelle et un équilibre au niveau des sphères de sa vie. De surcroît, il a été à même de demeurer abstinent aux intoxicants et n'a démontré aucun signe de désorganisation. Des histoires comme la sienne, elles sont nombreuses au sein des CSRQ. Quand je le regarde avec admiration, je me dis qu'il pourrait être votre fils, votre frère, votre père ou votre conjoint. Il fait maintenant partie de la famille des cercles. Il a pris goût à la vie. Il se sent utile et reconnu. Il ne se voit plus comme un paria, mais comme un citoyen à part entière.

Pendant ce temps, bien que Damien ait repris le contrôle sur sa vie et qu'il soit désireux de ne plus faire de victimes, faute de financement, depuis le 1er avril 2015, plusieurs délinquants sexuels sont actuellement privés de ce service essentiel qu'offraient les CSRQ. En effet, malgré les grandes inquiétudes de la part des médias et de la population concernant la fermeture des CSRQ, et de l'appui de plusieurs membres du personnel du Service correctionnel du Canada (SCC), ainsi que de diverses entités provenant du milieu de la réinsertion sociale qui considèrent notre mission unique et primordiale, le gouvernement conservateur a fait preuve d'un inquiétant immobilisme dans ce dossier. D'ailleurs, un ancien bénévole belge des CSRQ, Christophe de Muylder, n'en revenait pas de voir ce gouvernement «détricoter» ce que nous faisons de mieux, alors qu'il comptait implanter notre savoir-faire en Belgique. Pourtant, l'ensemble des rapports d'évaluation sur les programmes des CSR à travers le Canada notent qu'ils sont un «ajout important à la sécurité des collectivités et à la réintégration dans la société canadienne des délinquants sexuels à risque élevé1».

Face à ce constat, il est donc préoccupant pour la sécurité publique de savoir que l'on ait sabré dans l'un des fleurons canadiens de la réinsertion sociale qui suscite l'admiration à l'extérieur et qui est non seulement un exemple éloquent de nos compétences en matière de justice réparatrice, mais exporté à travers le monde, notamment en Grande-Bretagne, en France, aux Pays-Bas et aux États-Unis. Depuis 1994, les CSR, à l'origine une initiative ontarienne, étaient jusqu'à tout récemment implantés dans 18 villes au Canada.

Il est pour le moins absurde d'observer la perte du financement des CSRQ alors que le 18 juin 2015, ils se sont mérités le prix de distinction du RIMAS, soulignant l'apport exceptionnel d'un organisme œuvrant auprès de délinquants sexuels. Cette belle reconnaissance du milieu de la réinsertion sociale, démontrant le caractère essentiel de ce travail d'accompagnement et de responsabilisation au sein de la communauté, s'ajoute à celle de la Médaille de la paix des YMCA du Québec, remise à l'une de nos bénévoles en novembre 2014, laquelle s'était distinguée par son dévouement à faire de notre communauté un endroit plus pacifique.

Ces reconnaissances ne sont pas étrangères au rôle primordial des CSRQ dans le processus de réinsertion sociale des délinquants sexuels, dont la mission est d'accroître la sécurité de la société et, par ricochet, de diminuer le nombre de victimes d'actes criminels. En outre, le fondement même des CSRQ, s'inspirant de la justice réparatrice, implique une participation active des citoyens : plus de 45 bénévoles offraient du temps et de l'énergie, chaque semaine, à nos nombreux membres principaux. Choisissant d'œuvrer parmi les plus marginalisés, désireux de placer l'être humain au cœur de leurs actions et soucieux de la sécurité publique, les bénévoles des cercles agissaient, dans une certaine mesure, comme la voix des victimes d'abus sexuels. De surcroît, les CSRQ s'avéraient être, sur une base volontaire, un complément essentiel aux programmes offerts par le SCC afin de faciliter la mise en application des acquis thérapeutiques ainsi que pour briser l'isolement et la stigmatisation sociale que vivent ces hommes.

Dans le contexte actuel, réfléchissons à haute voix : qui va s'occuper d'Henri, l'un des délinquants sexuels les plus médiatisés et stigmatisés au cours des dernières années au Québec, et s'avérant toujours à risque élevé de récidive? Qui va désamorcer et mettre des limites à Alain qui est fréquemment envahi par des fantaisies déviantes et qui peut sous-estimer des situations à risque? Qui va venir en aide à tout moment de la journée à Mathieu qui peut perdre le contrôle de façon spontanée et imprévisible, mais qui sait interpeller son cercle au besoin? Qui va redonner une communauté d'appartenance et une dignité humaine à ces hommes que personne ne veut avoir dans sa cour? Nos deux principaux slogans illustrent bien notre approche humaniste et notre souci de la sécurité publique à l'égard d'Henri, Alain et Mathieu : «Plus jamais de victimes» et «personne n'est jetable».

Au fil des douze dernières années, avec brio, les CSRQ ont répondu à ces questionnements et préoccupations, en s'engageant à diminuer le risque de récidive de 83% chez les délinquants sexuels que nous accompagnions. Diverses études montrent également que le taux de récidive d'un délinquant sexuel non-traité est de 17%, baisse à 10% lorsqu'il suit un programme, et chute à 2% lorsqu'en plus, il participe à un cercle. C'est un projet de recherche mené pendant cinq ans, à travers les différents sites des CSR du pays, par le Centre national de prévention du crime (CNPC) et financé par le Ministère de la Sécurité publique qui a d'ailleurs permis d'évaluer l'efficacité des CSR. Quoiqu'il soit pertinent de souligner la réussite des CSRQ par des chiffres, une grande partie du travail n'est pas mesurable, mais s'inscrit plutôt au niveau d'une responsabilité sociale qui nous incombe tous à titre de citoyen. Dans cet ordre d'idées, il nous apparaît évident que nos institutions politiques et le SCC doivent se montrer tout aussi imputables à l'égard des CSRQ. En 2015, alors que le gouvernement Harper coupait dans des programmes de réinsertion sociale, les délinquants sexuels se sont de plus en plus retrouvés laissés à eux-mêmes à leur sortie du pénitencier. Mais à quel prix pour la société ?

En fait, il est bien triste que l'heure de la consécration des CSRQ par le milieu communautaire ait correspondu à sa mise à mort, alors que son fonctionnement nécessitait des coûts minimes de 80 000$ annuellement. À cet effet, des collaborateurs se plaisent à dire que les CSRQ sont probablement au premier rang en termes de rentabilité coûts-bénéfices dans le réseau de la réinsertion sociale, affilié au SCC. Il y a un avantage financier certain à maintenir actifs les CSRQ. Chaque dollar investi dans notre organisme rapporte un rendement de 4,60$ à la société. Ajoutons également qu'une personne emprisonnée coûte environ 117 788$ par an à la société québécoise, alors qu'il en coûte 30 000$ dans le cadre d'une surveillance en communauté. Un calcul rapide nous aide aussi à comprendre que le coût d'un délinquant sexuel au sein de notre organisme est d'environ 2 000$, soit l'équivalent de 6 jours d'incarcération. Au vu du budget annuel nécessaire au bon fonctionnement des CSRQ, il est donc de notre intérêt, d'un point de vue strictement financier, de maintenir notre organisme actif, voire de lui permettre de se développer davantage. Pourquoi alors se priver de ce service essentiel et si peu coûteux?

Sans l'aide financière de dépannage de l'Aumônerie communautaire de Montréal et de l'un de nos bénévoles, les CSRQ n'existeraient plus depuis près d'un an. Grâce à eux, l'organisme a pu poursuivre en mode survie son travail jusqu'en septembre 2015, moment qui a en partie sonné le glas du financement des CSRQ par la fermeture de leur bureau, le départ de leur coordonnateur et la diminution drastique de leurs services. De manière in extremis, suite à une alliance avec les CSRQ, l'Aumônerie communautaire de Montréal a pris l'engagement de préserver, jusqu'au 31 mars 2016, 7 cercles sur une possibilité de 30.

En souhaitant que notre voix soit entendue de concert avec l'élan de solidarité des membres de la communauté, nous lançons donc un appel au gouvernement Trudeau, qui semble sensible à la cause de la justice réparatrice, à faire preuve de vision en matière de sécurité publique et de réinsertion sociale, en s'assurant de soutenir financièrement les CSRQ dans son prochain budget, prévu au printemps. Les intérêts idéologiques et la logique purement économique ne doivent pas occulter ce qui est vital au niveau de la réinsertion sociale, soit le maintien de liens entre le SCC et ses partenaires solides et socialement impliqués. Nous espérons pleinement qu'une solution financière sera trouvée afin d'ancrer la mission des CSRQ dans un plan de développement qui maintiendra la pérennité de l'organisme.

Liens récents sur les activités des CSRQ


1 Chouinard, Jill Anne et Riddick, Christine. Rapport final d'évaluation du projet de démonstration des Cercles de soutien et de responsabilité, février 2015.