Porte Ouverte Magazine

La déficience intellectuelle dans le système de justice pénale

By Raymond Charlebois,
Directeur général du CRC Joliette

La déficience… d’un système

La situation des personnes atteintes de déficience intellectuelle se retrouvant dans les services correctionnels n’est pas un problème nouveau et encore moins un problème inattendu. Déjà dans les années 1950, lors des premières désinstitutionnalisations, le problème faisait surface. Des personnes déficientes quittaient alors les hôpitaux psychiatriques et étaient orientées vers des ressources institutionnelles plus appropriées et moins contraignantes. Certaines retrouvaient leur famille ou joignaient la communauté.

Dans les années 70, d’autres désinstitutionnalisations ont suivi afin de permettre à des personnes de retrouver le milieu de vie le plus adapté à leur situation tout en leur assurant des services appropriés. On remarquait alors une diminution des ressources psychiatriques et une augmentation de demande de services dans d’autres ressources (centres pour personnes déficientes ou pour personnes handicapées physiques), de même qu’une augmentation du nombre de personnes itinérantes et de personnes judiciarisées. Au système de vases communicants qu’étaient les services en psychiatrie et ceux en déficience intellectuelle, se sont ajoutées la rue et la prison.

Au milieu des années 80, lors de l’élaboration du plan régional de services (PROS) pour la région Laurentides et Lanaudière, des représentants de la prison de St-Jérôme ont dénoncé le flagrant manque de responsabilisation des affaires sociales des deux régions à l’égard des personnes déficientes incarcérées dans leur établissement. Aucun service n’était donné. Ce fut également les dernières étapes de la désinstitutionnalisation de ces personnes avec les fusions et les fermetures des derniers centres d’accueil.

Elles furent orientées vers des ressources moins contraignantes qui devaient assurer une meilleure réponse à leurs besoins et ce fut le cas pour un grand nombre… mais assurément pas pour toutes. Aucun modèle de services, aussi bien pensé qu’il puisse l’être ne peut répondre aux besoins de toutes les personnes ciblées. Celles qui ne cadraient pas avec ce nouveau modèle sont donc venues s’ajouter au nombre fréquentant les ressources pour personnes itinérantes ou incarcérées. Il y a aussi eu une augmentation du nombre de personnes déficientes intellectuelles victimes de crime…

Ajustements structurels

Une nouvelle réalité, l’augmentation du nombre de personnes déficientes aux prises avec des problèmes judiciaires, a provoqué l’ajustement des services. Plusieurs groupes se penchent alors sur le problème : milieux associatifs de déficience intellectuelle, organismes de défense des droits et centres de réadaptation. Les milieux de la justice et des services correctionnels ont eux aussi cherché des solutions à cette nouvelle réalité. Chacune des ressources trouvait alors que l’autre ne comprenait pas le problème et avait tendance à dire que la personne relevait des services de l’autre. Les services dits sociaux ne se sentaient pas adéquats pour répondre aux besoins d’un criminel et les services correctionnels, de leur côté, ne pouvaient répondre aux besoins d’une personne déficiente. En l’absence d’orientations ministérielles claires, chaque région a dû s’organiser.

Dans la région Lanaudière, diverses tentatives ont eu lieu pour développer une réponse concertée et appropriée aux besoins des contrevenants ayant une déficience intellectuelle. Dans un premier temps, des rencontres ont eu lieu afin de valider l’intérêt des partenaires à se concerter. Étaient présents le centre de réadaptation, le substitut du procureur, l’aide juridique, les services de police, les services correctionnels et le CRC Joliette. Sur un certain nombre de principes, le consensus s’est fait rapidement. Tous étaient d’accord sur les besoins d’information afin de bien comprendre les différentes réalités qui guidaient leurs actions respectives. Tous affirmaient que ces contrevenants sont des personnes à part entière ayant les mêmes droits et responsabilités que tout autre citoyen et que leur déficience demande des ajustements mineurs dans nos interactions avec eux.

Sans entrer dans les détails d’un protocole qui n’est pas encore signé, il faut noter un fait à la fois intéressant et inquiétant. Tous les partenaires ont reconnu le besoin d’adapter leurs pratiques afin de mieux répondre aux besoins des personnes, mais aussi aux besoins de leurs services respectifs. Dans la mesure où ces aménagements sont conformes au mandat de chacun, des nuances furent apportées afin de faciliter l’intervention auprès de ces personnes. Autant les services correctionnels, le bureau du substitut du procureur que le CRC ont accepté de modifier leurs pratiques. Le corps de police de la région étant en changement, nous devons attendre avant d’entreprendre des pourparlers avec eux. En fait, le seul groupe qui ne semble pas vouloir modifier ses pratiques afin de faciliter un partenariat efficace est le centre de réadaptation. En dépit de ce qui semble être de la bonne volonté, ils sont aux prises avec des valeurs d’établissement qui empêchent une collaboration et une intervention efficaces.

Un des problèmes avec le principe de volontariat, c’est que les centres de réadaptation n’ont jamais eu à travailler avec des personnes non volontaires, ce qui est notre quotidien au CRC. Au lieu de s’investir à comprendre et développer une nouvelle approche, ils refusent d’adapter leurs pratiques à cette clientèle.

Les contraintes du volontariat

Deux problèmes spécifiques se dégagent à leur niveau. Le premier concerne le fait que la plupart des contrevenants ont une déficience légère. Bien qu’elle soit présente, la personne refuse de considérer son besoin de service puisque, lorsqu’elle est en contact avec d’autres personnes déficientes, elle se perçoit différemment. Les services normalement disponibles lui semblent plus appropriés pour des personnes davantage handicapées : de là, une certaine réticence à comprendre le bienfait de les utiliser. Par exemple, plusieurs ne veulent pas passer par des stages sous-rémunérés ou par des centres de travail adaptés. Le deuxième problème avec le principe de volontariat est que les centres de réadaptation n’ont jamais eu à travailler avec des personnes non volontaires… ce qui est notre quotidien au CRC. Au lieu de s’investir à comprendre et développer une nouvelle approche, ils refusent d’adapter leurs pratiques à cette clientèle.

La protection de la communauté et la prévention de la criminalité ne sont pas des objectifs prioritaires pour eux. Manifestement, cela semble ne pas les concerner; ils n’ont pas à modifier leurs pratiques en fonction de ce que pourraient faire les personnes déficientes et ils ne se sentent pas interpellés à agir. Pourtant, les personnes déficientes ont besoin d’être protégées, tout comme la communauté.

Une autre valeur qui complique le partenariat est celui de la rapidité de la prise en charge. Nos clients doivent attendre leur tour comme tous les autres. C’est une position qui est fort défendable, mais peu pratique. Sans sous-estimer les besoins des autres personnes handicapées,
ne faut-il pas considérer que si nous n’agissons pas promptement, il risque d’y avoir des victimes ? Admettons que la personne soit volontaire et qu’elle réponde à tous les critères d’acceptation : comme intervenants nous sommes confrontés à des délais absolument ridicules. Durant l’élaboration du protocole, les délais de prise en charge étaient de deux mois ; aujourd’hui, ils sont de un an. On nous affirme que ces délais sont hors du contrôle de l’établissement et que c’est la responsabilité de l’Agence de la santé et des services sociaux (ASSS). On nous affirme cependant qu’en considérant ces cas comme urgents, les délais pourraient être écourtés, ce qui demeure, pour l’instant, théorique.

Pour avoir discuté avec les responsables du centre de réadaptation, il semblerait que certains problèmes pourraient être réglés avec des budgets supplémentaires. C’est sûrement vrai mais, s’il n’y a pas d’argent, on fait quoi ? Ces situations deviennent souvent un prétexte pour demander toujours des sommes additionnelles. À la demande de la détention de St-Jérôme, nous avons accepté pour un dépannage de deux semaines un déficient intellectuel. Les agents correctionnels n’étaient pas à l’aise de laisser une personne si démunie sans ressource puisque le centre de réadaptation, responsable du secteur, ne pouvait le prendre à court terme. Nous fêterons dans quelques jours son année d’anniversaire chez nous : deux semaines !!!! Il est au CRC depuis un an et se comporte de façon tout à fait appropriée. Le problème est qu’il devient la raison d’une demande de financement additionnel : le centre de réadaptation demande à l’ASSS 150 000$ supplémentaires. Serait-il possible que ces personnes deviennent une monnaie d’échange pour obtenir des budgets supplémentaires alors que les centres sont déjà financés pour en faire la prise en charge ? La difficulté, selon moi, est davantage reliée à un refus de partager et reconnaître l’expertise développée en CRC qu’à des besoins réels de financement. Les personnes déficientes et contrevenantes seront-elles utilisées pour régler le sous-financement des centres de réadaptation ?

Pouvoir collaborer

Lorsqu’un CRC accepte de prendre une personne déficiente intellectuelle, il devrait pouvoir compter sur la collaboration du centre de réadaptation. Cette collaboration devrait se faire dans un respect des valeurs qui sont à la base de nos interventions. Il faut que les CRC reconnaissent la spécificité des besoins particuliers des personnes déficientes intellectuelles ainsi que leurs caractéristiques comportementales. Nous devons accepter d’être informés et, s’il y a lieu, d’être formés pour mieux intervenir. En contrepartie, les centres - qui ont déjà le mandat de leur fournir des services - devraient reconnaître l’expertise développée par les maisons de transition à intervenir avec des personnes non-volontaires, pas toujours enthousiastes à entreprendre une démarche de réinsertion sociale. Ces centres doivent reconnaître la nécessité d’agir rapidement et intensément avec les personnes déficientes qui ont des problèmes judiciaires. Il faut que la protection de la communauté et la prévention de la criminalité soient des objectifs communs et qu’ensemble, nous développions un véritable projet de société incluant aussi les personnes avec une déficience intellectuelle