Depuis sa fondation en 1992, le centre résidentiel communautaire la Résidence Madeleine-Carmel admet des délinquants sexuels à l'intérieur de son établissement. Spécifi ons que les résidents séjournant au centre bénéfi cient d'une forme de libération sous conditions ou d'une ordonnance de surveillance de longue durée. Notre clientèle étant soumise à une sentence sous juridiction fédérale, nous travaillons en étroite collaboration avec le Service correctionnel du Canada (SCC), qui assure la surveillance de nos résidents (mandat légal).
Les problématiques sexuelles rencontrées concernent des délits d'agression sexuelle envers des mineurs, des femmes adultes ou des jeunes hommes. L'expertise développée auprès des délinquants sexuels a amené la ressource à créer un programme de réinsertion sociale spécialisé, lequel est en vigueur depuis 2005.
À travers les années, notre implication auprès de cette clientèle nous a permis de mettre en lumière les nombreux besoins qu'elle présente en termes d'encadrement et de soutien. En effet, les délinquants sexuels sont généralement soumis à des conditions légales limitatives, ainsi qu'à des ordonnances de Cour telles que l'article 161 (ordonnance restrictive liée aux contacts avec les moins de 16 ans) ou 109 (interdit de port d'arme).
Par exemple, un délinquant sexuel peut se voir interdire d'être en contact ou en présence de mineurs sans être accompagné d'un adulte responsable au courant de sa problématique. Dans ce cas, il sera nécessaire de procéder à une évaluation des connaissances en matière de délinquance sexuelle des ressources du résident avant de déterminer si elles peuvent superviser ce type de contact. Ainsi, si des lacunes sont observées chez une ressource quant à sa compréhension de la suite des événements ayant mené au délit (progression comportementale/cycle délictuel) d'un résident, nous veillerons à informer cette personne.
Un résident qui est soumis à l'article 161 devra éviter, pour sa part, de fréquenter certains lieux dédiés aux mineurs, d'occuper certaines fonctions qui le placeraient en position d'autorité auprès de mineurs et/ou de « clavarder » avec eux. Ceci est sans compter l'encadrement personnalisé qui sera mis en place par l'équipe de gestion de cas (ÉGC, composée par le conseiller clinique du CRC et l'agent de libération conditionnelle) du résident, selon les particularités de ses situations à risque. Ces restrictions nous ont d'ailleurs amenés à développer un outil de référence. Ce bottin des ressources nous aide à bien orienter les résidents soumis à cet article dans le choix des lieux à fréquenter. Spécifions que celui-ci est mis à jour régulièrement.
Notre expérience nous a aussi permis de constater que les pères incestueux ou les délinquants sexuels ayant commis des délits à l'intérieur de leur famille, contrairement aux autres délinquants sexuels, ne sont pas toujours isolés socialement. En effet, leur famille est souvent impliquée dans leur vie. Cela signifie donc que ces délinquants sont ou seront en contact avec leur(s) victime(s) ou d'autres mineurs dans leur milieu familial.
Ainsi, l'équipe de la Résidence Madeleine-Carmel et les agents de libération conditionnelle du CRC (ALC de liaison) ont dû apprendre à composer avec cette réalité et s'impliquer dans le milieu familial. En considérant que les relations entre les membres de la famille peuvent être « dysfonctionnelles » et que les délinquants présentent diverses lacunes quant à leur fonctionnement personnel et social, notre présence auprès de la famille s'est effectivement rapidement imposée. Les rencontres effectuées visent depuis à assainir ces relations et à favoriser une résolution adéquate des conflits pouvant survenir.
Dès lors, nous constations que les conjointes présentaient des besoins en termes d'information quant au cadre légal à respecter. Néanmoins, c'est la nécessité d'approfondir leur compréhension de la problématique sexuelle et des situations à risque de leur compagnon de vie qui nous est apparue essentielle. En effet, afin qu'elles puissent être partie prenante du projet de réinsertion sociale de leur conjoint, la reconnaissance de la problématique chez la conjointe est indispensable. Toutefois, elle ne constitue pas à elle seule un gage de réussite. À l'instar du contrevenant, la conjointe peut effectivement minimiser et justifier les actes du justiciable, ce qui peut nuire à sa capacité d'assumer pleinement son rôle de protection face à ses enfants.
Ainsi, malgré la présence dans certains cas d'intervenants des centres jeunesse (DPJ) supervisant les relations père-enfant, un soutien et un encadrement demeurent tout aussi importants quant aux relations conjugales, familiales et parentales; cela afin de leur permettre de composer avec les limites inhérentes aux conditions légales du résident, ainsi qu'aux restrictions émises par la DPJ.
Le programme Parent-Aise a pour but de favoriser la réintégration familiale du délinquant sexuel en considérant les besoins spécifiques de l'individu, de sa conjointe ainsi que des enfants impliqués dans le processus.
En 2001, le programme Parent-Aise a donc vu le jour et est dispensé depuis en communauté à une clientèle sous juridiction fédérale présentant une problématique de délinquance sexuelle. Ce programme a été conçu par les professionnels de la Résidence Madeleine-Carmel, en concertation avec leurs partenaires. Il a pour but de favoriser la réintégration familiale du délinquant sexuel en considérant les besoins spécifiques de l'individu, de sa conjointe ainsi que des enfants impliqués dans le processus. À cet effet, les approches préconisées pour établir le cadre théorique de ce programme ont pris ancrage dans les principes de la justice réparatrice et de l'approche systémique. Cette dernière se concentre sur la relation entre l'individu et son milieu/son entourage.
Les participants doivent démontrer une motivation au changement, puisque l'implication y est volontaire. Notons que si ce programme visait au départ à répondre essentiellement aux besoins de la clientèle de la Résidence Madeleine-Carmel, ce n'est plus le cas depuis de nombreuses années. Les références peuvent effectivement se faire par tout surveillant dès qu'un délinquant sexuel sous juridiction fédérale est libéré sous conditions et qu'il présente des besoins en ce sens.
Notons que le programme comporte deux volets distincts soit, la relation conjugale et la relation parent-enfant. Ce programme se dispense selon divers modes d'intervention, soit l'entrevue individuelle, de couple et familiale. Aussi, différents ateliers d'information sur la sexualité sont offerts aux couples. Précisons que lorsque la situation du père ou de l'enfant l'exige, des rencontres supervisées peuvent avoir lieu. Dans tous les cas, le client sera amené à prendre ses responsabilités et informer les membres de son entourage de sa progression comportementale (cycle d'offense), de sorte à les outiller face à sa problématique et minimiser le risque de récidive.
Spécifions que l'objectif visé par le volet « relation conjugale » est de développer et maintenir, au sein du couple, des habitudes de vie saines visant à prévenir d'éventuels abus sexuels. À travers des rencontres en couple ou individuelles, la conjointe pourra être référée vers d'autres ressources spécialisées, si elle présentait des besoins plus importants en termes de soutien psychologique.
Par ailleurs, notons que si ce volet se voulait d'abord uniquement consacré aux relations conjugales, il est maintenant offert pour toute ressource significative du délinquant sexuel. Cette ouverture s'est effectivement imposée au fil du temps afin de répondre aux besoins présentés par la clientèle et à ceux exprimés par nos partenaires.
Quant au volet « parent-enfant », l'objectif visé ne sera pas le même suivant que l'enfant concerné soit victime ou non. Plusieurs personnes peuvent penser qu'il est aberrant de permettre la reprise de tels contacts. Or, la victime peut souhaiter celle-ci tout comme le parent ayant agressé sexuellement son enfant, biologique ou par alliance. En outre, considérant que certains contrevenants retourneront éventuellement vivre auprès de leur conjointe et leurs enfants, il apparaît essentiel d'encadrer ce processus lorsqu'il est désiré par tous les acteurs en cause.
Ainsi, lorsque la victime et l'agresseur expriment la volonté de renouer leur relation, la réalisation de ce projet sera prise en charge via leur participation au programme. Bien entendu, cela nécessite une préparation de part et d'autre et une évaluation rigoureuse du cheminement de chacun. De plus, un suivi minutieux des impacts qu'un tel processus dans la vie de la victime et dans celle du parent agresseur pourraient amener devra être fait. Si la reprise de contact est finalement jugée opportune, la notion de réparation sera généralement visée peu importe l'âge de la victime. Celle-ci peut d'ailleurs être d'âge adulte au moment où la participation au programme débute.
Quant à l'enfant qui n'est pas victime, une reprise des contacts supervisée peut être préconisée plus rapidement. Notons en effet que le milieu familial du père est souvent composé d'enfants qui n'ont pas été directement victimes. Il peut s'agir autant des enfants de la famille constituée à l'époque que de ceux qui composent la nouvelle cellule familiale. Afin d'établir des assises saines à ces relations, plusieurs aspects devront nécessairement être clarifiés.
Néanmoins, il est essentiel de rappeler que tout ce processus sera mis en place en considérant la volonté de l'enfant de rétablir le contact. Il se fera en concertation avec les intervenants des centres jeunesse (DPJ), si ceux-ci sont impliqués dans le dossier d'un enfant. Si la reprise des contacts est mise en branle, elle sera basée sur les besoins de l'enfant afin de respecter son rythme et le stade de développement où il se situe.
En somme, ce volet vise à ce que le client se réapproprie la responsabilité et les conséquences de ses gestes ainsi qu'à bonifier sa capacité d'empathie. Afin d'assainir sa relation avec ses enfants ou ceux de son milieu, il devra conséquemment redéfinir son rôle parental auprès d'eux. Il sera amené à le faire en tenant compte des contraintes légales et limites qui sont liées à sa problématique.
Ultimement, le programme se conclut avec la création d'un plan de prévention familiale. Cet outil est destiné au parent abuseur ainsi qu'aux membres de sa famille. Il est inspiré des travaux que le contrevenant a réalisés lors des programmes thérapeutiques antérieurs, lesquels lui ont permis de mieux comprendre son cycle délictuel et d'identifier des moyens de prévention de la récidive. Après avoir acquis suffisamment d'informations sur la problématique de son partenaire, la conjointe participe activement à l'exercice. Une fois réalisé, ce plan permettra aux membres de la famille d'établir des habitudes de vie saines et adaptées à leur quotidien afin de prévenir les abus. Spécifions que cet outil se veut le plus complet et concret possible. Les termes employés y sont donc simples afin de refléter la réalité des participants et de leur permettre de s'approprier davantage son contenu, dont les habitudes visées font partie. De surcroît, une liste des ressources pouvant leur venir en aide complète ce document. Celle-ci vise à diminuer l'impact du relâchement de la mise en pratique du plan de prévention découlant parfois de la fin de la sentence.
Mentionnons néanmoins que si les bénéfices de la participation à ce programme sont grands, des limites liées aux individus ou au contexte peuvent survenir. En effet, le niveau de motivation du participant, de sa conjointe ou des enfants peut fluctuer à travers le temps. Parallèlement, l'alliance du couple entraînant une mise en échec de l'intervention peut nuire au cheminement de ces derniers et faire surgir des résistances aux modifications des habitudes de vie.
En outre, l'âge des enfants concernés demeure un enjeu majeur en ce sens qu'il est essentiel d'adapter le niveau d'intervention à celui-ci. De même, il est primordial d'éviter à une victime de vivre, à travers ce processus, une nouvelle victimisation ou une forme ou l'autre de ségrégation au sein de la cellule familiale. Conséquemment, l'évaluation de la qualité de l'implication des divers protagonistes demeure une préoccupation constante pour l'intervenant du programme. Dans cette optique, la concertation régulière auprès des différents professionnels au dossier demeure un des meilleurs outils disponibles pour contrer cette difficulté.
À ce propos, notons que la mise en oeuvre du programme Parent- Aise nous a permis de constater à quel point la collaboration entre l'intervenant du programme et l'ÉGC du délinquant est inestimable. En arrimant ainsi nos interventions, il nous est possible d'améliorer notre efficacité tout en nous adaptant aux besoins présentés par le délinquant et son réseau social, la finalité du programme étant de favoriser une réinsertion sociale qui respecte le caractère essentiel de notre mandat de protection de la société.