Porte Ouverte Magazine

Démystifier la santé mentale et la criminalité

By Gorette Linhares,
Agente aux communications, Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ)

Judiciarisation, déni de droits et mythes en santé mentale

Les droits fondamentaux des personnes vivant ou ayant vécu un problème de santé mentale sont bafoués régulièrement. Les droits à la liberté, au consentement libre et éclairé aux soins, à une défense pleine et entière, à la représentation par avocat sont fréquemment transgressés dans le cadre des procédures juridiques d'exception permettant d'hospitaliser, de médicamenter ou d'héberger une personne contre son gré. Ces pratiques sont connues, mais persistent. Pourquoi? C'est que les personnes vivant un problème de santé mentale, victimes d'une foule de préjugés et mythes, sont trop souvent traitées comme des citoyens de seconde zone. En effet, elles subissent de la coercition soi-disant pour leur «bien», au détriment du respect de leurs droits, ce qui au regard de certains constitue un dommage collatéral acceptable. Et pourtant, des alternatives existent.

La garde en établissement

Au Québec, il est possible de détenir une personne dans un établissement de santé et de la priver de sa liberté sans qu’elle ait commis un crime. Cette mesure découle de la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui (Loi P-38.001). L’ensemble des règles juridiques qui gouvernent la garde des personnes est contenu dans le Code civil du Québec (articles 26 à 31), le Code de procédure civile et la Loi sur la protection.


La Loi P-38.001 est une loi d’exception qui contrevient au droit à la liberté, à l’inviolabilité et à l’intégrité. Une loi d’exception dont l’application n’a rien d’exceptionnel! Selon

les données recueillies auprès du ministère de la Santé et des Services sociaux, près de 16 000 personnes ont été gardées contre leur volonté en raison de leur état mental dans les établissements du Québec en 2016-2017.

Depuis deux décennies, l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ) décrit les problèmes d’application liés aux procédures de garde forcée. Dans une publication récente, Psychiatrie : Un profond changement de modèle s’impose, l’Association démontre -à partir de la réalité de certaines régions- que le pourcentage des personnes représentées par avocat reste faible (40%) tout comme le taux de présence de la personne concernée (52%) au Tribunal. S’ajoute la durée de l’audience : une moyenne de 6 minutes, ce qui est expéditif pour priver une personne de sa liberté pour une moyenne de 21 jours!

Quant à l’accueil des requêtes par la Cour, il est toujours aussi important (92%) ce qui est étonnant pour une mesure dite d’exception. L’expérience sur le terrain des groupes membres de l’AGIDD-SMQ fait valoir que la notion de dangerosité est régulièrement confondue avec les préjugés liés à la santé mentale, aux diagnostics ou encore avec la «dérangerosité».

 

En réponse aux nombreux problèmes d’application de la Loi, le Ministère de la Santé et des Services sociaux publiait, en mars 2018, son cadre de référence en matière de garde en établissement. Un excellent outil de vulgarisation juridique ayant pour philosophie d’intervention la primauté de la personne, la protection de ses droits et recours, mais aussi le soutien à leur exercice. Le Cadre de référence insiste sur le caractère exceptionnel de la garde forcée. Il sous-tend l’obligation de mettre en place des alternatives puisque la Loi ne doit être appliquée qu’en dernier recours, « (…) lorsque toutes les mesures de remplacement appropriées à la situation ont été tentées et ont échoué (…)».1

 

Dans sa dernière publication, l’AGIDD-SMQ a recensé quelques-unes des pratiques existantes pour diminuer le recours à cette procédure privative de liberté. De l’approche basée sur le bien-être collectif du Conseil de la Nation Atikamekw en passant par l’unité mobile d’intervention mise en place à Stockholm et le modèle finlandais de «Dialogue ouvert», les alternatives existent, appliquons-les! Plus près de chez nous, n’oublions pas les services d’aide en situation de crise tels que PECH qui visent à éviter la judiciarisation, mais ces derniers ne sont pas implantés dans tout le Québec.

 

L’autorisation judiciaire de soins

L’autorisation judiciaire de soins (AJS) - aussi appelée ordonnance de traitement ou ordonnance de soins- vise à contraindre une personne à subir un traitement (médicaments, électrochocs, gavage, etc.) et/ou à être hébergée contre son gré si  elle est déclarée inapte à consentir et si elle continue de refuser catégoriquement de recevoir des soins. Il s’agit aussi d’un mécanisme d’exception puisqu’il contrevient au droit à l’intégrité de la personne.

 

En vertu de l’article 16 du Code civil du Québec, l’AJS peut être demandée à la Cour supérieure par un établissement ou par un médecin.

 

Depuis 2000, il y a une utilisation croissante de cette procédure d’exception. Les AJS sont accordées presque systématiquement, assez souvent sans que la personne en soit informée. Lorsqu’elle l’apprend, il est habituellement trop tard pour la contester, le jugement ayant été rendu et les recours sont, somme toute, inexistants. De plus, il est excessivement difficile, voire impossible, de trouver un avocat dans le délai imparti. Enfin, la personne est fréquemment absente à la Cour, ce qui est questionnable puisque le juge doit statuer sur son aptitude à consentir. De plus, l’AJS est de plus en plus assortie d’une ordonnance d’hébergement. Le milieu de la recherche, le Barreau du Québec, les membres et partenaires de l’AGIDD-SMQ et l’Association elle-même ont produit plusieurs études depuis une dizaine d’années sur ce mécanisme d’exception à peine utilisé dans les années 1990 à 2000.

 

Au nombre des constats, notons que la durée moyenne de l’AJS est passée de deux à trois ans et que les ordonnances de cinq ans ne sont plus une rareté. Le renouvellement de l’autorisation judiciaire de soins, sans que la personne soit convenablement informée, est assez courant. Une personne peut alors rester de cinq à neuf ans sous AJS. Le suivi de la requête exercé par le Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) est confidentiel, ce qui implique que même la personne concernée ne peut y accéder. De plus, il est impossible de savoir quelle forme de suivi le CMDP réalise. Le processus de révision juridique ou de réévaluation médicale reste très limité : cinq jours après le jugement pour en appeler sur la base que le juge a erré en fait ou en droit. Le Code de procédure civile permet aussi depuis peu une démarche de révocation de l’AJS sur la base de faits nouveaux.

 

Les données pour 2017 nous disent que plus de 2500 personnes ont été contraintes à se soumettre à des traitements forcés. Ce nombre augmente systématiquement depuis 2008 et cette situation se reflète dans les demandes faites aux groupes régionaux de promotion et défense de droits en santé mentale. Et pourtant, il y a des alternatives comme le démontre la  Norvège avec son hôpital qui offre un service sans médicaments2 ou encore le programme québécois de réduction d’antipsychotiques dans les CHSLD.3

De l’influence des mythes

En introduction, nous nous interrogions sur les causes de ces dénis de droits et soumettions l’idée que le manque de connaissances sur les mythes en santé mentale et sur leurs impacts psychosociaux agit sur le traitement des personnes  vivant un problème de santé mentale lorsqu’elles sont confrontées à l’appareil judiciaire.

 

Le grand mythe fondateur est celui du tout biologique. 4

La psychiatrie n’est pas une science exacte. À preuve, quand un psychiatre émet un diagnostic, il se base sur des symptômes répertoriés dans le DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders); aucun test physique ne pouvant confirmer le diagnostic psychiatrique. Mais l’idée, soutenue par moult psychiatres et professionnels de la santé que les problèmes de santé mentale ont une origine biologique est largement répandue, bien qu’il ne s’agisse que d’une hypothèse.

 

Bien sûr, les neurotransmetteurs du système nerveux central sont de plus en plus étudiés, mais la relation entre ces derniers et les problèmes de santé mentale n’est pas clairement établie. De même, plusieurs médicaments psychotropes sont utilisés sans que leurs modes d’action soient complètement élucidés et leurs effets à moyen et à long terme sur le système nerveux central sont peu ou pas connus. 

 

Ainsi, la compréhension des problèmes de santé mentale est trop souvent réduite à des symptômes qu’il faut traiter alors qu’il y aurait lieu de s’attaquer aux conditions de vie des personnes. Renforcée par la prémisse du tout biologique, la médication apparaît trop souvent comme la seule réponse à la souffrance d’autant plus que dans l’imaginaire collectif, cette dernière est perçue comme étant très efficace. L’introduction de nouvelles molécules dites «plus performantes» renforce particulièrement ce dernier aspect; les effets secondaires sont perçus comme étant un moindre mal.

Mais dans les faits, les personnes vivant un problème de santé mentale rapportent que les médicaments psychotropes ne diminuent pas toujours les symptômes qu’ils sont censés traiter et qu’ils ont de nombreux effets indésirables qui nécessitent à leur tour la prise d’autres médicaments. Un cercle vicieux difficile d’autant plus que l’on dénote un manque flagrant d’informations sur la médication consommée; les critères du consentement libre et éclairé, au sens où l’entend le Code civil, sont rarement satisfaits.

L’expérience sur le terrain de groupes d’entraide et de défense des droits met aussi en lumière la tendance à juger « aptes à consentir » les personnes utilisatrices qui acceptent leur traitement, sans jamais le remettre en cause. En contrepartie, les personnes qui refusent leur traitement, le questionnent, le contestent, ou qui cherchent à faire valoir leurs droits, sont davantage susceptibles d’être jugées « inaptes » donc de subir une autorisation judiciaire de soins. Enfin, le préjugé le plus persistant envers les personnes vivant un problème de santé mentale est celui qu’elles sont potentiellement violentes. Ce mythe est particulièrement lourd envers les personnes ayant reçu un diagnostic de schizophrénie et celles ayant traversé des épisodes psychotiques. Il y a trop souvent présomption de dangerosité sur la base du diagnostic. En réalité, les personnes vivant un problème de santé mentale sont plus susceptibles d’être les victimes de gestes violents que leurs auteurs.


Coercition intériorisée

Triste constat, nous avons intériorisé l’idée que la coercition est indissociable de la psychiatrie. Certains psychiatres disent même publiquement avoir fait la paix avec cette notion. Ici, il ne s’agit pas de démoniser les soignants, ces derniers sont clairement en manque de moyens et parfois, d’imagination.

 

À ces derniers, mais aussi à l’ensemble des acteurs impliqués dans l’application de la Loi P-38.001 et des autorisations judiciaires de soins, nous recommandons trois rapports spéciaux provenant de l’Organisation des Nations Unies en lien avec la santé mentale.

 

Ces trois rapports remettent en question l’approche essentiellement biomédicale du système psychiatrique. Ils proposent l’abolition des mécanismes d’exception sur la base de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, refusent le statu quo, revendiquent un changement de pratique et proposent des moyens aux États afin de respecter, protéger et promouvoir les droits et libertés de la personne.

Partageons en conclusion les recommandations préliminaires de Dainius Pūras, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, à la suite de sa visite au Canada en novembre 2018. « L’objectif principal est de parvenir à la parité entre la santé mentale et la santé physique dans la prestation des services de santé. Mais pour que cela se produise, des décisions politiques doivent être prises afin de donner la priorité aux investissements dans les services qui sont conformes à l'approche fondée sur les droits de la personne et qui n'alimentent pas le cercle vicieux de la discrimination, de la stigmatisation, de l'exclusion et de l'utilisation abusive du modèle biomédical.»7▪