Porte Ouverte Magazine

Démystifier la santé mentale et la criminalité

By Paul Robitaille,
Directeur clinique, Maison l'Intervalle

and Catherine Gilbert,
adjointe clinique, Maison l'Intervalle

Santé mentale et justice : Portrait de la double stigmatisation

Démystifier la santé mentale est l’un des objectifs sous-jacents de la psychiatrie légale. Le nom de notre domaine l’indique, nous sommes à la jonction de deux mondes stigmatisés. Notre clientèle peut être qualifiée, comme le fait d’ailleurs le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS), de multiproblématique. À cette appellation s’ajoutent immédiatement certains critères permettant la différenciation de cette clientèle du reste du réseau, soit le fait qu’elle souffre au niveau de sa santé mentale et qu’on retrouve chez elle l’émergence de comportements graves pouvant mener à la violence et à la judiciarisation. Chez une population avec un passé délictuel ainsi que psychiatrique, la gestion de ce risque fait partie de notre quotidien et, pourtant, beaucoup plus est à l’œuvre lorsqu’il est question de travailler avec elle.

Maison l’Intervalle

Le Comité de la santé mentale du Québec a déclaré il y a de cela déjà une vingtaine d’années que les services suivant la désinstitutionnalisation n’étaient pas suffisants pour véritablement pallier à la demande. Ces manques ont été déclarés comme pouvant être à la source de situations d’itinérance, de judiciarisation et du syndrome de la porte tournante. Nous en sommes l’exemple puisqu’en psychiatrie légale, il n’existe que quelques ressources d’hébergement dans la région de Montréal. Il est évident aujourd’hui que c’est le cas et que les services, malheureusement, ne se multiplient pas à un rythme suffisant. Le résultat apparaît dans la Stratégie nationale de concertation en justice et santé mentale : notre clientèle possède un taux de criminalité et de victimisation supérieure à la population générale. Comme le réseau de la santé et des services sociaux, un besoin criant existe quant à l’adaptation de la prise en charge de ces personnes lors de leur judiciarisation. Heureusement, l’intérêt du Ministère de la Justice pour la santé mentale et ses ramifications jusque dans la sécurité publique est une preuve que le changement est en marche. D’entrée de jeu, il a été prouvé qu’un encadrement adéquat suivant une hospitalisation a un effet réducteur sur le risque que ces comportements de violence se produisent. Il s’agit exactement de ce que notre volet hébergement est en mesure de faire. Quinze ans avant même la déclaration du Comité de la santé mentale du Québec, nous répondions déjà à un besoin d’hébergement pour une population d’hommes qui correspondent à ces critères. Si aujourd’hui les critères d’exclusion sont plus facilement dressés par les programmes et services que ceux d’inclusion, nous demeurons une ressource mixte ouverte à travailler avec des individus psychiatrisés, judiciarisés, mais aussi aux prises avec un passé d’itinérance et de toxicomanie souvent en rémission plus que partielle. Pour tous ces gens, notre but est de leur permettre de vivre une réhabilitation en les réinsérant dans la société grâce à un cadre favorisant le rétablissement. Viser le rétablissement, c’est accueillir ces personnes à leur sortie des institutions pour évaluer, encadrer et orienter leurs démarches de changements vers ce qui les anime. Cette reprise de liberté et d’autonomie transit par l’élaboration d’un plan d’hébergement avec des objectifs clairs à poursuivre tout en demeurant en complémentarité avec le plan d’intervention de l’équipe traitante ou le plan d’intervention correctionnel (PIC). Leurs projets de vie ont une place centrale. Ils représentent ce dont ils ont été dépourvus, c’est-à-dire la perspective d’un avenir positif.

 

Pour certains individus ayant séjourné en détention ou ayant été pris en charge dans un milieu hospitalier depuis le début de l’âge adulte, les apprentissages que nous jugeons de base n’ont pas été faits à temps et demeurent incomplets. À titre d’exemple, la moyenne d’âge de notre clientèle est d’environ 35 ans et pourtant entretenir une chambre est parfois impossible pour une bonne partie d’entre eux.  Malheureusement, la toxicomanie est une comorbidité dont il est impossible de se défaire et que nous traitons selon l’approche de la réduction des méfaits. Pour certains clients qui ignorent leur diagnostic et ne comprennent pas les effets de la médication sur les symptômes positifs de leur trouble, une substance non prescrite est considérée de la même façon capable de modifier leur état mental. L’autocritique de personnes lourdement diagnostiquées n’est pas toujours existante. Leur réalité telle que nous la concevons nous apparaît déjà suffisamment intolérable, on peut comprendre qu’eux-mêmes soient dans le déni ou en alimentent une autre pour y échapper. Notre travail consiste aussi à les accompagner dans leur prise de conscience.

 

On pourrait croire à juste titre que la maladie mentale ne fait pas de discrimination, car elle attaque toutes les classes sociales, hommes et femmes confondus. Il ne faut pas nier non plus sa grande représentativité chez les personnes ayant un niveau socio-économique bas. Il en va de même d’ailleurs que pour le taux de criminalité des individus des mêmes milieux. Ces milieux sont souvent dépourvus de facteurs de protection. Ces facteurs, comme le fait d’avoir une famille stable capable de donner un cadre sécurisant et de combler les besoins à l’enfance, des pairs positifs évoluant dans un milieu sain, sont capables de changer beaucoup la vie d’une personne. Chez notre clientèle, beaucoup n’ont pas eu cette chance.

 

Hébergement dans la communauté

La supervision des résidents est assurée par une présence en continu par des intervenants qualifiés motivés par le souci de les aider, de les protéger et les guider dans leur cheminement. La sécurité de notre établissement se base principalement sur la connaissance des dossiers, la qualité du lien qui est établi avec chacun et l’habileté à effectuer une gestion du risque, mais en dosant l’intensité des interventions. Le respect est indéniablement la prémisse d’une intervention réussie.

 

Maison l’Intervalle dispose également d’appartements partagés qui permettent à nos clients de bénéficier d’une colocation supervisée qui représente aussi un moyen de briser l’isolement. En effet, nombreux sont les appartements supervisés souvent proposés aujourd’hui qui sont construits de façon individuelle. Nous croyons qu’en vivant en compagnie d’autres personnes, nous permettons des interactions dynamiques ou parallèles, mais dans tous les cas aidantes. Cela permet de créer des exemples bénéfiques au sein même des individus, les motivant à eux aussi atteindre le rétablissement comme ceux qu’ils côtoient.

 

Notre volet hébergement se veut aussi une période d’évaluation allant jusqu’à la durée de deux ans. Certains de nos clients retourneront en établissement ou en détention, d’autres auront la chance d’être réorientés vers d’autres ressources n’appartenant pas au réseau de la psychiatrie légale. Nous concevons leur passage chez nous comme le moment de retirer l’étiquette de la judiciarisation pour leur permettre de bénéficier de ces services et même, dans certains cas, retrouver un logement autonome.

Suivi communautaire

Pour sa part, le suivi communautaire se compose d’une clientèle issue de parcours de vie similaires à ceux des gens que nous recevons à l’hébergement. Nous avons une gestion de cas complexe qui encore une fois est traversé de dossiers aux multiples problématiques. En raison des difficultés que rencontrent ces personnes, nous devons ajuster nos attentes et adapter les objectifs figurant au plan d’intervention correctionnel (PIC). Nous ne pouvons demander la même performance que celle exigée aux personnes contrevenantes provenant du réseau régulier pour des raisons évidentes. Nous devons transiger avec les symptômes négatifs de la maladie, des médicaments en cours de réajustement ou aux effets secondaires définitivement handicapants. La majeure partie des clients ne reconnait pas encore avoir besoin de l’aide que nous prodiguons et la perçoit comme une forme de contrôle supplémentaire. Heureusement, nous assistons aussi à de belles réussites.

 

Un des mandats que nous avons est d’amener les personnes contrevenantes ayant une maladie mentale à poursuivre ou obtenir pour la toute première fois un suivi psychiatrique. Si ce n’est pas déjà le cas, elle devra obtenir un diagnostic et rencontrer un médecin qui fort probablement lui prescrira une médication à prendre avec rigueur. L’organisation de tous ces rendez-vous et du respect de la posologie demande une constance que la plupart de nos clients ne sont pas en mesure de maintenir au long cours. C’est ce qui explique en partie le parcours parfois sinueux de notre clientèle. Ainsi, nous devons nous montrer compréhensifs plutôt que tolérants. Du milieu carcéral, nous nous retrouvons parfois en face d’individus qui vivent avec des croyances délirantes et des hallucinations et que nous devrons accompagner dans le processus de traitement et amener à comprendre la nature de ce qu’ils vivent. Entrer de plein fouet dans la psychiatrie peut représenter un trauma que nous nous devons d’atténuer dans la mesure du possible.

 

À la fin de la mesure, les personnes contrevenantes ont en leur possession un certain nombre d’outils, dont des références d’organismes communautaires en mesure de les aider à combler un certain nombre de besoins. Comme nous le savons, la dangerosité fluctue en fonction de la relation entre la personne et son milieu. Si elle ne tente pas de bénéficier des services qui lui sont proposés par des organismes spécialisés, ils se retrouvent plus régulièrement à l’hôpital ou derrière les barreaux. Il est intéressant toutefois de constater que les personnes atteintes d’un trouble mental seraient moins souvent à l’origine des crimes les plus graves.

La notion de responsabilité criminelle est aussi particulièrement intéressante en psychiatrie légale. Suite à une évaluation psychiatrique perpétrée à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal, une personne peut se voir reconnue non responsable à cause de son état mental au moment de délit. Pourtant, certaines personnes jugées responsables et ressortissantes du système judiciaire peuvent être envahies d’idées délirantes sans qu’il ne s’agisse d’hallucinations comme des voix mandataires, par exemple. De la même façon, une personne jugée non responsable pourrait avoir vécu une psychose causée par une hygiène de vie comportant la consommation de drogues. Dans tous les cas, nous devons recevoir les acteurs de ces actes avec une attitude d’ouverture. Il faut garder en tête qu’ils ont déjà payé pour ce qu’ils ont fait.

 

Suivi communautaire spécialisé

D’autres problématiques font de plus en plus partie de la clientèle que nous desservons. Ces problématiques ont règle générale meilleure presse, notamment le trouble du spectre de l’autisme (TSA) qui suscite beaucoup de mobilisation surtout par rapport aux enfants atteints et leur famille. Il en va de même avec la déficience intellectuelle (DI). Seulement lorsque ces personnes deviennent adultes et développent des troubles de comportement graves, elles peuvent tout autant que les autres devenir auteurs d’actes criminels. Pourtant, il n’existe pas de services aussi adaptés que pour les personnes atteintes d’un trouble mental qui commettraient le même délit.

 

Depuis deux ans, nous avons développé un programme en collaboration avec la Sécurité publique, spécialisé pour cette clientèle. Depuis le début du suivi communautaire en 2007, nous avons eu plusieurs dossiers présentant un profil de DI ou de TSA.  C’est dans ce contexte que nous avons élaboré un document qui a été présenté et retenu à la Sécurité publique au terme d’une attente de plus de 4 ans.  Le ministère a été en mesure de financer la tenue de 10 dossiers spécialisés pour cette clientèle plus que marginalisée. Afin de mieux structurer le développement de notre projet, nous avons recours aux services de M. Guillaume Ouellet, chercheur pour le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et trouble envahissant du développement de Montréal (CRDI-TED MTL).  M. Ouellet et son équipe ont été en mesure d’aller chercher des fonds au Centre de recherche des sciences humaines du Canada (CRSH) qui ont souligné la pertinence d’une telle démarche. 

 

Nous avons établi que les rencontres avec les personnes contrevenantes se faisaient exclusivement à l’extérieur du bureau et plus précisément dans leur milieu de vie, incluant les plateaux de travail et l’hébergement.  S’adressant à une clientèle mixte, pour faire partie du programme, une agente de probation a été désignée pour sélectionner les dossiers.  Elle doit s’assurer que le client ait un diagnostic, qu’il ait ou non une équipe traitante.

 

Dans un avenir rapproché, il serait souhaitable que le nombre de dossiers augmente, car nous avons observé une augmentation des cas présentant un profil de DI ou de TSA dans le milieu carcéral et communautaire.  Les besoins sont de plus en plus grandissants et malheureusement, il y a peu de services adaptés à leur réalité.  Le programme vise également à identifier l’absence des services qui demeurent inexistants, mais qui mériteraient d’être développés.

 

Perspectives d’avenir

Bien qu’il y ait des campagnes publicitaires pour présenter les multiples visages de la santé mentale, nous sommes d’avis qu’il y a beaucoup de visages qui demeurent dans l’ombre. Il faut savoir que notre clientèle judiciarisée a besoin également d’une tribune pour se faire connaître et favoriser leur intégration dans notre société.  Il est évident qu’il y a des organismes communautaires qui tentent de promouvoir les bienfaits de l’intégration sociale, mais notre clientèle fait régulièrement mauvaise presse à la réinsertion sociale, laissant planer dans l’opinion publique la pertinence de sévir au lieu de guérir.

 

Dans l’avenir, nous espérons que notre mission de réinsertion et de réhabilitation sociales demeurera.  Pour ce faire, nous devons faire la promotion de nos services notamment grâce à notre représentation au travers de l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec. En définitive, nous allons devoir faire preuve de créativité pour développer des services spécialisés de qualités et adaptés à la réalité des personnes composants la diversité de notre communauté. Nous demeurons confiants que la double stigmatisation que vivent nos clients sur le plan de leur santé mentale s’atténuera dans un futur proche.

 
Stratégie nationale de concertation en justice et en santé mentale. (2018). Gouvernement du Québec.
 
Dorvil, H., Guttman, H., Ricard, N. et Villeneuve, A. (1997). Défis de la reconfiguration des services de santé mentale. Montréal, Québec : Gouvernement du Québec.
 
Lamboley, M. (2009). Vers un réseau intégré : la criminalisation des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Montréal, Québec : Sécurité publique Canada.
 
Moreau, I. & Léveillée, S. (2018). Les principales caractéristiques d’une clientèle dite « multiproblématique » au sein du rsss au québec. Revue québécoise de psychologie, 39(2), 49–64. https:// doi.org/10.7202/1051221ar.