Porte Ouverte Magazine

Employabilité et réinsertion sociale

By Propos recueillis par Jennifer Cartwright,
ASRSQ

Choisir la prison

Manon Vallières est responsable de l’atelier d’imprimerie de l’atelier d’imprimerie de l’Établissement de détention de Québec depuis environ 12 ans.Mathieu Giguère y est graphiste depuis 2005.

Pourquoi choisir d’exercer sa profession dans une prison plutôt que dans uneentreprise conventionnelle?

Manon Vallières : J’ai commencé à travailler ici un peu par hasard; c’est devenu un choix avec le temps. Avec les années, il y a une passion et un respect des gens qui se développent. Travailler ici, c’est aimer, essayer d’aider la société, Ça peut aller aussi loin que ça. J’élève mes enfants en leur disant de faire mieux que moi : de la même façon, je voudrais que ces gens-là évoluent,qu’ils aient une vie meilleure dans le futur.

Mathieu Giguère : Voir un poste annoncé dans un établissement de détention pique notre curiosité. Bien sûr, c’est notre métier, mais on n’imagine jamais l’exercer dans un établissement de détention! Comme l’a dit Manon, on commence à travailler ici par hasard, et on s’attache à cet emploi parce qu’il y a un réel désir d’aider qui fait intrinsèquement partie de nous. On reste parce qu’on a envie de contribuer à l’évolution des stagiaires.

Que connaissiez-vous de ce milieu avant d’arriver ici?

MV : Absolument rien! Mais j’étais une mère et cet instinct maternel, véritable force intérieure, m’a aidé à y rester.

MG : Rien non plus. Je suis parti de zéro et, une fois arrivé sur place, j’ai découvert le fonctionnement d’un tel endroit.

Comment est-ce, de travailler avec des détenus?

MV : Ce sont des gens comme tous les autres. Il ne faut vraiment pas se mettre de barrières et il faut savoir les respecter. Ce n’est pas donné à tout le monde de travailler dans un centre de détention. Il y a des gens qui ont essayé et qui ont quitté, il ne faut pas penser que c’est facile! Au cours des 10 ans passés ici, il m’est arrivé à quelques reprises de remettre mon travail en question. Mais la passion des gens et du métier a fait en sorte que je suis restée.

Ça ne me dérange pas de former des gens : pour faire ce travail, il faut aussi avoir un côté professeur. Ce qui est difficile, c’est de partager nos connaissances avec quelqu’un qu’on voit partir un mois ou deux plus tard.

MG : Pour être capable de travailler ici, il est impératif de ne pas avoir de préjugé, d’être ouvert et d’avoir une bonne capacité d’écoute. Ce n’est qu’à partir de là qu’on est en mesure de saisir ce qui se passe réellement.

Comment se passe la première journée?

MV : On est lancé dedans comme dans un jeu de quilles! Il faut avoir une sorte de force intérieure, voire de paix pour réussir, ce qui est impossible à quelqu’un qui arrive avec des préjugés...

MG : Si la première fois que la personne ouvre la porte elle n’est pas craintive ou ne se sent pas bousculée, elle pourra rester. En entrant ici la première fois, tu te rends compte que c’est, j’oserais dire, une place comme une autre à plusieurs niveaux, même s’il y a bien sûr des différences… En fait, je croyais que ma première journée serait plus impressionnante qu’elle ne l’a été en réalité.

MV : Les relations avec les hommes de ce milieu-là peuvent être plus difficiles pour une femme. L’approche est différente, et il a fallu que je travaille un peu plus qu’un homme pour obtenir le respect. J’ai toutefois réussi à m’adapter et à m’imposer, et c’est quelque chose que je suis vraiment contente d’avoir réalisé.

Le plus difficile, c’est quoi?

MV : Les courtes sentences. Pour exercer ce métier, il faut être bon pédagogue.J’aime former les gens; ce qui est difficile, c’est de partager nos connaissances avec quelqu’un qu’on voit partir un mois ou deux plus tard. Tout est sans cesse à refaire et les délais pendant lesquels on peut travailler avec eux sont courts.

MG : C’est un éternel recommencement. Des fois, on part de loin. Et une fois qu’ils ont acquis les connaissances nécessaires au travail, ils quittent et on recommence avec d’autres. Il faut aussi savoir rassurer les clients, ce qui peut parfois être une tâche difficile.

MV : Opérer une entreprise en détention est un défi en soi. Puisque nous devons nous autofinancer, un solide marketing est essentiel. Toutefois, vendre la réinsertion sociale dans le monde des affaires n’est pas une mince tâche!

MG : Une des difficultés réside dans le fait de devoir composer avec les préjugés. Il n’est pas rare, quand on dit qu’on fait travailler des personnes incarcérées, de se faire demander pourquoi ne pas plutôt choisir d’employer des gens de l’extérieur. On doit alors expliquer ce qu’est la réinsertion sociale et les bienfaits du travail pour les détenus, ce à quoi on se fait souvent répondre que ces contrats pourraient aider des familles dans le besoin. Et puis il faut toujours rester politically correct

MV : L’aspect politique fait aussi partie des difficultés. Être bien avec les stagiaires permet d’aller loin avec eux mais il y a toujours les aspects marketing et politique qui sont omniprésents, et un peu agaçants. Parfois, on a l’impression que la réinsertion sociale est mise de côté parce que c’est une business qui doit être rentable.

Comment ça se passe avec les entreprises de l’extérieur?

MV : On nous accuse de compétition déloyale. Par contre, ma réponse est simple: deux stagiaires sont nécessaires pour effectuer le travail qui peut être réalisé par un civil.

MG : Étant donné ce que nous sommes, il nous faut toujours offrir un travail de grande qualité. Parfois, les gens ont tendance à penser que puisque le travail est effectué par des personnes incarcérées, il va être bâclé, ce qui n’est pas la réalité. Toutefois, pour atteindre des standards de qualité, nous devons surveiller davantage ce qui sort d’ici. Du temps supplémentaire doit donc être mis sur le contrôle de qualité, ce qui augmente les frais et qui fait, en bout de ligne, que nos prix sont semblables à ceux de la concurrence.

Les détenus se plaignent-ils de gagner moins cher qu’à l’extérieur?

MV : Non. Ils savent que c’est une grande chance qu’ils ont de pouvoir travailler aux ateliers. Je vois ça comme une école : quand on étudie, on n’est pas payé pour le faire…

MG : Ce n’est pas tout le monde qui peut venir travailler aux ateliers, les stagiaires sont sélectionnés. Ceux qui travaillent sont contents parce que le temps est beaucoup plus agréable ici qu’entre les murs d’une cellule. On veut rendre leur séjour agréable non pas pour leur faciliter la tâche mais pour favoriser leur réinsertion sociale, leur montrer que travailler de 9 à 5 peut être agréable. Même si leur salaire est moindre, ils sont choyés comparativement aux autres détenus. Après avoir travaillé à l’atelier, un stagiaire pourra-t-il suivre le rythme des entreprises à l’extérieur?

MV : Il y a beaucoup d’encadrement ici. Si un stagiaire se trouve un travail à l’extérieur, il est possible qu’il soit un peu déstabilisé les premiers temps.Il finira toutefois par s’adapter après avoir été secondé par son nouvel employeur pendant quelques jours.

MG : Il manquera peut-être d’un peu d’expérience, mais les réflexes nécessaires vont être présents et il aura une base lui permettant de fonctionner.

MV : Il sera capable de se lever le matin.

MG : D’être à l’heure!

On peut être en retard en prison?!

MG : Oui! Si tu sors des murs en te traînant les pieds, qu’en arrivant tu vas aux toilettes, tu te fais un café et qu’à 8h20 tu es toujours en train de bavarder avec tes collègues, tu es en retard.

Qu’est-ce que ça apporte de travailler avec ces gens?

MV : Ça me permet de m’ouvrir à la société. Je ne juge plus les gens, je sais que tout le monde a un coeur. Travailler ici nous montre différentes facettes de la société et permet une meilleure compréhension du monde. Je ne m’apitoie pas sur leur sort mais je les respecte. En outre, quand je me promène dans la rue,je ne vois plus que des êtres humains.

MG : D’un point de vue social, c’est intéressant. De plus, ça m’a appris à moins juger les gens et à comprendre d’autres points de vue, à voir une réalité qui n’est pas la mienne. Même si comprendre ne veut pas dire être d’accord ou approuver les gestes qu’ils ont posés, on apprend à les écouter. Et même s’il arrive que je grimace intérieurement devant ce qu’ils ont fait, je ne les juge pas.

Que connaissez-vous des stagiaires à leur arrivée?

MV : Absolument rien. Ce sont des gens qui ont été sélectionnés, on se fie au jugement de ceux qui décident. On finit par les connaître parce qu’ils nous parlent, on est par moments un peu psychologues… En fait, c’est bien parce qu’on n’étiquette pas les gens au départ.

Qu’est-ce que ça leur apporte de travailler ici?

MV : On dit souvent qu’ils font du « bon temps » au lieu de faire du « mauvais temps ». Mais je pense que c’est plus que ça. On les voit arriver avec les épaules voûtées. À la fin de leur sentence, ils se tiennent droit : ils ont acquis de l’assurance, de l’estime d’eux-mêmes. Passer par les ateliers leur apporte la fierté du travail bien fait.