Porte Ouverte Magazine

Employabilité et réinsertion sociale

By Propos recueillis par Jennifer Cartwright,
ASRSQ

Ne finalement plus les revoir - Entrevue avec Liz Brown et Hélène Gagnon

La Jonction a comme mission d’offrir des services d’aide spécialisés favorisant l’insertion, l’intégration à l’emploi et la formation, selon les besoins de la personne judiciarisée adulte. L’organisme offre deux grands types de services : la préparation, l’aide à la recherche active d’emploi, l’intégration et maintien en emploi et le processus d’orientation scolaire ou professionnelle en détention et en communauté.

Liz Brown, C.O., est conseillère en emploi à l’Établissement de détention de Québec (EDQ) depuis janvier 2007. Hélène Gagnon est directrice de La Jonction.

À quoi ressemble une journée de travail?

Liz Brown C’est difficile de décrire une journée type parce qu’il y a toujours beaucoup de changements et de réajustement. Normalement, c’est beaucoup de dossiers, de rencontres, trois ou quatre dans une journée (mais pas nécessairement celles que j’avais prévues!). On s’occupe de tout ce qui touche le counselling, la préparation aux entrevues, la rédaction de CV, la recherche d’emploi, les démarches d’orientation et beaucoup d’information scolaire. On parle du casier judiciaire, aussi, des impacts qu’il peut avoir sur l’employabilité d’une personne. Souvent, mes clients n’en sont pas conscients. Ils disent qu’ils sont capables d’en parler, mais ce qu’ils disent n’est pas nécessairement adéquat pour une entrevue...

Et la première journée?

La première journée en détention, c’est beaucoup de monde à connaître. À partir de l’heure du dîner, tu réalises que tu ne pourras pas retenir tous les noms. C’est une grande place, il faut que tu arrives à trouver ton chemin : ça prend au moins deux jours pour savoir comment te rendre à ton bureau! Et puis il faut t’adapter, faire ta place. C’est difficile, d’être nouvelle. Tu dois te faire connaître, tu te fais poser beaucoup de questions. Par contre, à l’ÉDQ il y a deux personnes de La Jonction, ce qui favorise l’intégration.

Je pense qu’il faut se satisfaire de petits pas chez cette clientèle-là. Si une intervention n’a rien donné, peut être que ce sera la prochaine fois, ou dans cinq ans...

Pourquoi avoir choisi ce milieu de travail?

C’est arrivé un peu par hasard. Je travaillais à Gestion Jeunesse avec une clientèle semblable, mais plus jeune. J’avais déjà manifesté un intérêt pour travailler ici; la clientèle judiciarisée m’intéressait beaucoup. J’ai d’ailleurs fait mon stage de fin de maîtrise à la Maison Painchaud.

Qu’est-ce que ça apporte, de travailler avec eux?

Ça apporte une variété de problématiques. Des histoires de vie différentes, lourdes. Souvent je me dis si j’étais passée par où ils sont passés, je ne serais pas ici aujourd’hui. Ça apporte aussi beaucoup de compréhension et d’apprentissage. Même si la problématique est la même, l’histoire de vie diffère. C’est ce que j’apprécie de cette clientèle-là.

Qu’est-ce que ça prend pour faire ce métier?

Il faut croire qu’ils peuvent s’en sortir, sinon ça ne donne rien d’être là. Ça prend une bonne capacité d’adaptation, la capacité d’intervenir au niveau de différentes problématiques, ce qui nécessite beaucoup de formation. Et il faut savoir garder ses commentaires pour soi! Même s’il y a des choses qui nous dérangent, il ne faut pas que ça paraisse. Des fois je me sens comme Ally McBeal, je passe mes commentaires dans ma tête! Il faut être diplomate, ça prend beaucoup de doigté.

L’université prépare-t-elle à travailler avec cette clientèle?

Pas vraiment. Quand on fait un choix de stage, on a un cours qui s’appelle réadaptation, mais il touche différentes clientèles. On n’est pas très outillés, notamment en ce qui a trait à la santé mentale. Les apprentissages, on les fait en milieu de travail, à travers les formations qu’on y reçoit et nos interventions. La formation continue est très importante.

Quels défis supplémentaires y a-t-il à travailler avec cette clientèle?

Dans les secteurs que je dessers, ce sont des récidivistes. C’est des gars qui reviennent régulièrement, qui ont 25-30 antécédents… On voudrait qu’ils s’en sortent, ça peut être décevant de les recroiser dans le corridor. Mais je pense qu’il faut se satisfaire de petits pas chez cette clientèle-là. Si ça n’a rien donné, peut être que ce sera la prochaine fois, ou dans cinq ans… Il ne faut pas s’attendre à des résultats la première fois. Pour quelqu’un qui vend de la drogue et qui touche des milliers de dollars par mois, c’est difficile d’aller travailler au salaire minimum, de travailler légalement ou même de voir qu’ils peuvent s’en sortir en faisant des choses légales.

Hélène Gagnon : Par contre, s’ils divisaient leurs revenus par le temps passé en détention, ils verraient que leur salaire horaire diminue!

Comment arrivez-vous à les convaincre?

LB : Ce n’est pas facile. Je travaille beaucoup sur les désavantages que leur mode de vie leur apporte. Perdre sa liberté, sa famille, ses enfants, ses proches, son conjoint, est-ce que ça vaut le coût? Souvent, ils nous disent que non, mais une fois dehors, c’est difficile de changer, même s’ils ont la volonté de le faire. D’où l’importance de leur faire voir ce que seront leurs outils une fois à l’extérieur. Il faut les motiver à continuer à utiliser les ressources une fois la détention terminée.

HG : À La Jonction, on a toujours parlé de counselling dans le temps. Ce n’est pas parce qu’un client est venu nous voir une fois, que ce soit en détention ou dans la communauté qu’on se dit qu’il ne reviendra pas. Quand la personne revient, on fait un autre bout de chemin avec elle, en espérant que cette fois soit la bonne. On essaie de voir les facteurs qui ont favorisé la récidive et ce qui peut être ajusté au niveau de l’employabilité de l’individu.

En quoi le travail est-il bénéfique à une démarche de réinsertion sociale?

HG : La meilleure réinsertion sociale c’est quelqu’un qui est capable de travailler et de se maintenir en emploi. Avant d’arriver là, il y a beaucoup d’étapes à franchir, de problématiques à régler. C’est ce qu’on appelle développer l’employabilité d’une personne; c’est une démarche à long terme. Quand quelqu’un est dans un emploi qui lui convient, ça favorise le maintien et l’intérêt à rester. Ça dépasse le simple salaire. Oui, l’argent c’est important et tout le monde en veut, mais il y a autre chose qu’on peut aller chercher dans le travail. Souvent, ils le découvrent petit à petit parce qu’ils n’ont pas eu de modèle.

LB : Je les entends souvent dire qu’ils n’ont aimé aucun de leurs emplois. Plusieurs ne se sont jamais arrêtés à se demander ce qu’ils aimeraient faire. Ils prennent la première chose qui passe et comme ils n’aiment pas ça, ils lâchent. Ils font deux semaines à un endroit, deux semaines à un autre.

HG : Il y a souvent trop de pression sur l’individu pour qu’il se trouve un emploi alors qu’il est en libération conditionnelle, ce qui ne favorise pas un temps de réflexion. Et dès qu’il se trouve un emploi, on considère que son problème est réglé, ce qui n’est pas vrai. Le marché de l’emploi est tellement bon actuellement que c’est facile de se trouver un emploi rapidement. Sauf que les gens ne restent pas.

LB : Plusieurs pensent que s’ils trouvent un emploi tout va bien aller. Mais nombre d’entre eux vivent plusieurs problématiques. Il y en a beaucoup qui renoncent à leur libération conditionnelle et choisissent de faire le deux tiers de leur sentence plutôt que d’avoir des conditions, ce qui fait qu’une fois libérés leurs problèmes ne sont pas réglés. Notre travail ne consiste pas seulement à les aider à se trouver un emploi. Par exemple, même si nous ne traitons pas la toxicomanie, on peut les sensibiliser à leur problème, identifier les obstacles qui les attendent. On les réfère à des services, on leur donne les ressources nécessaires. On n’a pas un rôle de contrôle, on a un rôle d’aide, ce qui fait qu’on est perçu différemment du personnel de la Sécurité publique et qui favorise l’ouverture de la personne.

HG : Il peut arriver que la question de l’emploi ne soit pas du tout appropriée. Surtout quand un détenu fait une requête qui ne passe pas par les titulaires ou un agent de probation. On peut alors s’apercevoir que ce n’est pas le moment et conseiller d’autres services. Actuellement, il y a une difficulté à reconnaître que quelqu’un peut ne jamais être capable de travailler. Avec les toutes les mesures, les programmes mis en place depuis quelques années, on dirait que ça ne se dit plus. Mais je pense que ça existe dans la vraie vie, quelqu’un qui ne peut pas travailler.