Porte Ouverte Magazine

Employabilité et réinsertion sociale

By Jennifer Cartwright,
ASRSQ

Prendre l’air

Stef a 32 ans. Il a passé presque le tiers de sa vie en détention, soit une dizaine d’années qui ont été rythmées par les procès, la prison, le pénitencier, les transferts, les maisons de transition, les libérations, les retours en incarcération. « Depuis 1994, je n’ai pas fait 12 mois consécutifs à l’extérieur. J’ai quelques fois gardé mon travail sept ou huit mois consécutifs, jamais plus. J’ai perdu tous mes emplois parce que j’étais à nouveau arrêté. »

Incarcéré à l’Établissement de détention de Québec (EDQ) il y a six ans pour la première fois, il commence à travailler à l’imprimerie. « On nous donnait l’opportunité d’aller à l’école ou de travailler : il fallait qu’on s’occupe. J’ai donc suivi la formation de base portant sur la sécurité au travail avec Gilles. À ce moment, je ne connaissais absolument rien des ateliers. » Puis un poste se libère à l’imprimerie. « Au début, je m’occupais du ménage. Même si on considère souvent que c’est un emploi “bas de gamme”, je me donnais quand même, j’aimais ça. Ça me permettait de bouger, de me promener, de prendre l’air en sortant les poubelles, par exemple. J’ai appris à connaître Gilles, développé une certaine affinité avec lui. Puis il a commencé à m’offrir de l’aider quand il y avait de gros contrats qui rentraient. À ce moment-là, Manon avait déjà commencé à me mettre sur des petites jobs quand je n’avais pas de ménage à faire. »

Il apprend à faire fonctionner les presses. Sa relation avec Gilles se consolide, et il apprend à connaître les autres civils de l’atelier. Le travail lui plaît : au fil du temps, il fait de moins en moins de ménage et travaille de plus en plus sur les presses. « Je me suis tout le temps impliqué dans ce que je faisais. Je n’ai pas beaucoup d’expérience d’emploi, je faisais des jobines à gauche à droite dans le passé, parfois au noir. Je n’avais pas de métier spécifique. Ici, j’ai appris énormément. Dernièrement, j’ai commencé à travailler sur d’autres machines. »

Lors de son premier séjour à l’EDQ, Stef travaille à l’imprimerie pendant environ six mois, ce qui lui permet de mettre un peu d’argent de côté pour préparer sa sortie. Incarcéré à nouveau en février dernier, il revient y travailler. « Il me reste environ quatre mois à faire: chose certaine, cet emploi à l’atelier sera ma plus longue expérience de travail. » Bien sûr, les ateliers permettent une formation de base et l’occasion de faire quelques économies. Mais pour Stef, c’est beaucoup plus que ça.

« Beaucoup se plaignent du salaire. Moi je ne m’occupe pas de ça, je ne viens pas ici pour l’argent. Quand je viens aux ateliers, c’est l’fun. Ça me fait sortir de prison. Je me sens utile, je fais des farces avec tout le monde. J’en retire une satisfaction personnelle et je vois que les autres sont contents. J’ai acquis de la confiance en moi. Quand je viens ici, j’ai l’impression d’ôter un masque.» Les stagiaires travaillent de 8 h à 11 h 30 et de 13 h à 15 h 25, cinq jours par semaine. Il arrive qu’ils fassent du temps supplémentaire, lorsqu’il y a de gros contrats. À taux et demi? « Non! », s’exclame-t-il en faisant la moue. « Sans farce, je ne viens pas pour le salaire. S’il n’en tenait qu’à moi, je travaillerais jusqu’à 23 h chaque soir, j’irais me coucher puis je reviendrais travailler. Le temps passe vite, ici. » Assez pour avoir envie de continuer dans ce domaine en sortant? « C’est une question que je me pose. Je trouve ça bien, mais je ne retrouverais pas la même gang. Serais-je capable d’être à la hauteur? En même temps, une imprimerie c’est une imprimerie… Peut-être. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à me brancher sur un métier que j’aimerais faire une fois libéré. ». Et si tu trouvais une baguette magique? « Paf! J’aurais ma maison, ma femme, mes enfants, mon quatre roues, mon char et le bois qui m’entoure. ». Pas de travail? « J’ai peut-être sauté une couple d’étapes!, s’exclame-t-il en riant. En fait, je pense que la meilleure job que je pourrais avoir, ce serait la rénovation ou la construction. T’es dehors. Ici, on est enfermés. J’aimerais ça prendre l’air! »