Porte Ouverte Magazine

Les femmes dans le système de justice pénale : Constats, défis et particularités

By Sénatrice Kim Pate,
C.M., B.A., B.Ed., J.D., D.U., LL.D. (honoris causa.), Professeure, Faculté de droit (droit coutumier), Université d'Ottawa et Conseillère spéciale auprès de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry

Abolir l'isolement et repenser la prison

J'ai eu le privilège et la responsabilité d'entrer et de sortir de prisons pour jeunes, pour hommes et pour femmes pendant 35 ans et, chaque fois, j'ai été confrontée péniblement aux incidences génocidaires de la colonisation. « Aidez-moi, je vous en prie, il faut que je sorte » ; voilà le plaidoyer que j'entends habituellement de la part de personnes qui survivent à la ségrégation et, de manière plus troublante encore, de celles qui ne survivent pas.

Tenter de composer avec la vie dans une cellule de la dimension d'une petite salle de bain fait en sorte que même des gens qui ne souffrent pas de troubles mentaux hallucinent que les murs se renferment sur eux. Nombre d'entre eux deviennent paranoïdes et imaginent que des fantômes ou que le personnel veut s'en prendre à eux. Ils décompensent et vivent des flashbacks. Ils se blessent de manières inimaginables et de nombreuses façons.

Il y a vingt ans, j'étais souvent appelée et invitée à aider, on me donnait même accès aux cellules d'isolement afin que je puisse fournir un peu de chaleur humaine et intervenir auprès de femmes qui s'automutilaient ou menaçaient de se suicider. Aujourd'hui, les choses ont changé et ce n'est que dans les cas les plus désespérés que je suis autorisée à plaider avec certaines femmes à travers les fentes servant au service de repas, alors que celles-ci se frappent la tête contre les murs, tentent de se crever les yeux ou de se maculer de sang ou de matières fécales ou de maculer leur entourage.

L'isolement est à la fois un statut et un endroit. Il a des effets physiologiques et psychologiques dommageables, des effets profonds et bien documentés en recherche. L'Association médicale canadienne a dit qu'il s'agissait d'une « peine cruelle et inusitée », soulignant que l'isolement social et le manque de stimulation engendrent trop souvent des sentiments d'anxiété, de dépression et de colère, augmentant de ce fait les risques d'automutilation et de suicide chez les prisonniers.

En 2011, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a demandé que soit absolument interdite l'imposition de tels traitements à des jeunes ou des personnes aux prises avec des troubles de santé mentale. Il a déclaré que l'isolement cellulaire allait à l'encontre de la réadaptation et de la réintégration réussie des prisonniers – une dimension qui nous tient tous à coeur.

L'an passé, Howard Sapers, notre enquêteur correctionnel rapportait que 14 des 30 suicides de prisonniers au cours des trois années précédentes s'étaient produits en isolement, ce qui contribue à élever les risques de suicide. La plupart des prisonniers morts en isolement avaient un historique de troubles mentaux; peu d'entre eux, s'il en était, avaient eu accès à une intervention thérapeutique.

Howard Sapers, Louise Arbour, la Commission canadienne des droits de la personne et celle de l'Ontario, de même que l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry (ACSEF) ont réclamé une abolition totale du recours à l'isolement dans le cas de femmes, notamment de femmes autochtones et de tous les jeunes ainsi que les personnes aux prises avec des troubles de santé mentale débilitants. Dans ce contexte, nous devrions tous demander pourquoi cette pratique a toujours cours. On nous explique que les cellules d'isolement et les cellules munies de caméras constituent les moyens les plus faciles pour le personnel carcéral de gérer les personnes dont le comportement est perçu comme problématique. Ce que cela signifie, en pratique, c'est que la plupart des détenus ayant des problèmes sur les plans intellectuels ou de la santé mentale se retrouvent en isolement. Cela se produit dans tout un éventail d'établissements et de circonstances. Les prisonniers peuvent être isolés sur une base individuelle de même qu'en groupes de 4 ou 5 – dix s'ils sont soumis à une double occupation de cellules. Quand, comment et pourquoi cela peut se produire de manière défendable est défini dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLSC). Mais le Service correctionnel du Canada peut souvent se soustraire aux exigences de réexamen périodique stipulées dans la Loi en désignant certaines unités à des fins de « besoins spéciaux », ou comme cellules « d'observation de la santé mentale » ou comme cellules affectées à des « soins psychiatriques intensifs ». Les réponses disciplinaires, souvent punitives, qui en découlent contribuent à exacerber les problèmes de santé mentale préexistants.

Les décès évitables de détenues, telles que Ashley Smith, Kinew James, Veronica Park, Camille Strickland-Murphy and Terry Baker, devraient à eux seuls galvaniser l'opposition à l'utilisation de l'isolement, particulièrement dans le cas de détenus autochtones et de détenus ayant des problèmes de santé mentale. Nous devrions avoir comme objectif d'éliminer le recours à l'isolement cellulaire. Au Canada, certains établissements carcéraux pour jeunes, pour hommes et pour femmes opèrent souvent pendant des mois, même des années, sans avoir recours à des cellules d'isolement. Mais ce dont on a vraiment besoin, c'est d'une conversation plus large au sujet du recours à l'incarcération de manière plus générale.

L'empressement à limiter l'appui de l'État pour les systèmes sociaux, de santé, et d'éducation, en abandonnant du même coup les plus marginalisés et les plus victimisés à un système de justice pénale en croissance constante est mu par une expansion des peines minimales obligatoires et d'autres mécanismes législatifs et réglementaires. Il s'agit de la mauvaise direction à suivre et nous disposons de données abondantes pour le prouver.

À la fin des années 1980, le Comité permanent de la justice et du Solliciteur général a procédé à une étude approfondie des systèmes de justice pénale et correctionnelle. Son rapport, « Des responsabilités à assumer », demandait qu'on mette un terme aux peines minimales obligatoires, qu'on réduise la longueur maximale des peines et qu'on fasse un usage accru des mesures de rechange à l'incarcération. De manière peut-être plus convaincante encore, au milieu des années 1990, l'ensemble des chefs des services correctionnels fédéraux, provinciaux et territoriaux, convenaient qu'une proportion aussi importante que 75 % des personnes incarcérées ne constituaient aucun danger significatif pour la sécurité publique.

En définitive, un trop grand nombre de prisonniers purgent leur peine complète en isolement et y meurent. Au même titre que l'isolement nuit à la capacité de personnes de s'ajuster à la vie au sein de la population carcérale générale, il nous faut repenser l'incarcération et l'utilisation que nous en faisons. Les femmes, les Autochtones et les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ne sont pas ceux que nous craignons lorsque nous marchons seul le soir et ne sont pas non plus ceux qui présentent la plus grande menace à la sécurité du public.

Alors, voulant signifier que les recommandations du jury d'enquête dans l'affaire Ashley Smith et celles de la Commission de vérité et réconciliation devaient être mises en oeuvre, notre Premier ministre demande aux membres de son cabinet de prévenir la criminalisation et l'incarcération, en plus de désincarcérer les personnes qui sont actuellement entassées dans nos prisons surpeuplées et isolantes – notamment les personnes souffrant des troubles mentaux, les Autochtones, les femmes et les jeunes.

Les prisons ne sont ni des refuges, ni des centres de traitement. Ce sont les non-réponses aux problèmes sociaux les moins efficaces et les plus coûteuses. Des États de partout sur la planète sont à revoir l'empressement à incarcérer. Nous devons faire de même.