Porte Ouverte Magazine

La semaine de la réhabilitation sociale

By Chantal Lessard ,
Directrice générale, Centre résidentiel communautaire Abitibi -Témiscamingue Nord -du Québec

PRÉVENIR LE RISQUE D’HOMICIDES CONJUGAUX/ INTRAFAMILIAUX

Chaque nouveau cas d’homicide conjugal soulève l’indignation, particulièrement lorsque le danger était ou aurait dû être connu des services sociaux, judiciaires et policiers. Ainsi, dans son rapport d’enquête publique sur un cas de familicide survenu à Baie-Comeau en 1996, le coroner Jacques Bérubé mettait en lumière « l’inefficacité des structures mises en place pour contrer la violence conjugale ». Le coroner soulignait aussi que l’évènement aurait pu être évité, « si les différents intervenants avaient joué leur rôle et s’étaient concertés ». Dans le cas étudié, de nombreux signes précurseurs annonçaient le double meurtre suivi du suicide de l’agresseur. Ce constat d’échec a mis en évidence les limites des modes d’intervention connus et soulevait plusieurs questions quant à ce qui pourrait être fait pour éviter la répétition de tels homicides. Les recommandations du coroner Bérubé ont motivé le législateur québécois à modifier les lois entourant la confidentialité et le secret professionnel dans les cas où la sécurité des personnes pourrait être compromise.

 

Par ailleurs, la recension des écrits (Drouin, C., Drolet, J., 2 004, et Drouin, C., Lindsay, J., Dubé, M., Trépanier, M. et Blanchette, D., 2012) concernant les homicides intrafamiliaux met l’accent sur certains éléments permettant de mieux cibler les situations comportant un tel risque et ainsi d’optimiser leur prévention. C’est le cas notamment de la violence conjugale qui se retrouve en filigrane dans plusieurs situations d’homicides intrafamiliaux, en particulier l’homicide conjugal et, dans une moindre mesure, le filicide et le familicide. Notons également que plus de la moitié des homicides intrafamiliaux se produisent dans un contexte de séparation conjugale, réelle ou appréhendée, plus particulièrement lorsque l’homme n’accepte pas la rupture définitive du couple. Également, le risque d’homicide intrafamilial augmente lorsque l’homme menace ou tente de se suicider. En effet, ce sont plus du tiers des homicides intrafamiliaux, plus des deux tiers dans le cas des familicides, qui sont suivis d’un suicide. Enfin, les recherches effectuées (Dubé, M. et Drouin, C., 2014 et Dawson, M., 2005) à ce jour, nous portent à croire que, dans la majorité des situations, il y a eu une période de planification. Il semble y avoir souvent une progression : les idéations d’un geste homicide surgissent, mûrissent et se cristallisent sous forme d’un plan déterminé, avant le passage à l’acte, le tout dans un processus plus ou moins long au cours duquel l’individu lance parfois des menaces de toutes sortes, incluant des menaces de mort, parfois des menaces de suicide, tantôt s’isole, tantôt adresse une demande d’aide plus ou moins claire, le plus souvent en lien avec la séparation ou des symptômes dépressifs. Cette période offre une fenêtre importante sur le plan des actions à poser pour prévenir le passage à l’acte. 

 

En 2014, Rouyn-Noranda en Abitibi-Téminscamingue, échappait de peu à un drame familial lorsqu’un ex-conjoint, dans le cadre d’un échange de garde d’enfant, avait planifier de tuer sa conjointe. C’est le nouveau conjoint qui fût poignardé et blessé gravement.  L’enfant qui se trouvait dans le véhicule n’a heureusement pas été touché pendant l’agression qui s’est déroulée près de lui, alors qu’il était confiné dans son siège. Suite à cet évènement, les partenaires concernés et d’autres partenaires touchés de près par l’intervention en violence conjugale se sont réunis pour comprendre ce qui s’était passé et pour trouver des stratégies afin d’éviter d’autres situations semblables. Cet évènement a été l’élément déclencheur pour entreprendre les travaux qui ont mené au projet RABASKA : modèle d’intervention rapide dans les cas de risque d’homicide conjugal/intrafamilial. Les objectifs de ce projet sont :

 - Améliorer la collaboration entre différents services en matière de violence conjugale lors d’une situation à risque d’homicide intrafamilial, sur le territoire de l’Abitibi-Témiscamingue;

- À partir d’un langage commun, intervenir rapidement;

- Rassembler les ressources et créer un filet de sécurité autour des personnes (hommes, femmes et enfants) vivant une situation à haut risque d’homicide intrafamilial;

- Assouplir certaines procédures;

-Mobiliser les partenaires régionaux et locaux afin d’intervenir efficacement sur le terrain.


Langage commun

Lorsque nous sommes confrontés à un risque d’homicide, le temps est compté et la coordination des services est essentielle pour sauver des vies. Ainsi, il est primordial que les partenaires parlent le même langage et s’entendent d’emblée sur la nature du risque et sur les étapes à suivre. Ainsi, suite à l’expérience de Laval notamment et des évènements connus sur notre territoire, l’outil d’appréciation du risque d’homicide conjugal et/ou familial2  est devenu le langage commun de Rabaska. Cet outil est validé et déjà plusieurs partenaires de la région y ont été formés. Il s’agit d’un outil simple et concret, qui peut être utilisé par multiples partenaires peu importe leur mandat et/ou clientèle. Cet outil permet également de baliser nos interventions, notamment en matière de confidentialité. 

 

Travailler ensemble

Travailler ensemble, c’est ramer tous vers UN objectif commun : protéger des personnes. Chaque intervenant autour de la table dans une cellule de crise (ou plan d’intervention concerté) doit avoir à cœur la sécurité de :

 • Victimes potentielles

• Agresseur potentiel

Les cellules de crise ne sont pas un lieu pour débattre des idéologies ou définitions de la violence conjugale. La violence à l’intérieur d’un couple est un des facteurs pour apprécier le risque d’homicide. Il faut voir le grand portrait. Les partenaires doivent aussi respecter les limites personnelles des autres membres de la cellule dans leur capacité à tolérer le risque. À cet effet, la gestion de la cellule est faite par les coordonnateurs régionaux, à partir d’une grille d’évaluation (langage commun) validée, afin d’aider et de soutenir les membres de la cellule à prendre les bonnes décisions en temps opportun. Pour ce faire, les partenaires dans une cellule doivent adopter une attitude positive, l’une des conditions de réussite énoncées dans les travaux du Comité pour l’élaboration d’un guide d’implantation pour une pratique concertée en violence conjugale et maltraitance : « L’attitude positive qu’ont les autres intervenants facilite grandement le déroulement des rencontres. Cette attitude positive est démontrée à travers les échanges, le soutien que les intervenants s’apportent mutuellement et leur implication dans le processus de concertation. En général, les intervenants ont apprécié l’ouverture de leurs collègues aux échanges, leur écoute, le respect dont ils ont fait preuve, leur esprit de collaboration, leur enthousiasme ainsi que leur professionnalisme. En outre, ils ont aimé que leur propre expertise soit reconnue et respectée des autres, que leurs collègues leur fassent confiance (…) »

 

Financement et pérennité

 

Suite aux évènements de 2014, le SATAS (service d’aide et de traitement en apprentissage social), un organisme venant en aide aux personnes qui présentent des comportements violents en contexte conjugal, a fait une demande de financement à CFC. Dans le dépôt de projet, SATAS devait déposer des lettres d’engagement des partenaires du milieu.  La réponse a été instantanée! Maisons d’hébergement pour femmes violentées, la direction des poursuites criminelles et pénale (DPCP), la Sûreté du Québec, le CAVAC-AT et la Direction de la protection de la jeunesse, sans compter les lettres d’appui des Tables locales et régionales de concertation et d’autres partenaires, ont emboîté le pas et démontrer leur engagement. Un comité de coordination a rapidement été mis sur pied pour assurer le déploiement du projet et assurer la pérennité du modèle. Ce dernier est composé de la SQ, le DPCP, la DPJ, SATAS, le CAVAC-AT et la maison d’hébergement pour femmes violentées Alternative pour Elles. Le financement de CFC nous a permis de construire ce projet sur trois ans avec une phase d’implantation et d’évaluation.

 

Le projet a débuté par une journée de consultation le 25 octobre 2015 pour se conclure le 2 novembre 2018. Lors de la journée de consultation, plus de 100 partenaires touchés de près par la violence conjugale et intrafamiliale étaient présents. La grande majorité se sont engagés face au projet. Depuis ce lancement, le comité de suivi du projet assure la nomination et la formation des répondants institutionnels, acteur névralgique du modèle Rabaska. Le financement a pris fin le 2 novembre 2018 mais le comité de suivi mis en place pendant le projet, assurera la pérennité du Rabaska et la formation notamment. Grâce également à l’engagement des partenaires, le comité peut compter sur le travail d’une chargée de projet pour poursuivre les travaux durant la prochaine année.

  

À venir 

En février 2019, le comité de suivi rassemblera à nouveau les partenaires en violence conjugale et/ou les organisations où des répondants institutionnels ont été formés afin de signer une entente de collaboration. Cette entente prévoit l’engagement des partenaires aux valeurs portées par le Rabaska et leur motivation à maintenir le projet vivant et actif au sein de leur organisation. Parmi les signataires, les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence, les groupes qui viennent en aide aux hommes, la Sûreté du Québec, le CISSS-AT, les Centres de prévention du suicide de la région, la direction des poursuites criminelles et pénales, les ressources communautaires en santé mentale, les CAVAC pour ne nommer que ceux-là.

 

Le RABASKA est une grande embarcation rapide et robuste. Il suppose plusieurs rameurs (plusieurs partenaires) qui travaillent dans le même sens, vers un même but. Mené par un barreur expérimenté (coordonnateur régional), il représente le travail des partenaires rassemblés lors d’une situation de crise où le temps est compté. Au niveau visuel, le RABASKA est divisé en 5 morceaux pour représenter les 5 MRC de notre région. Il représente également le territoire qui est composé de millier de lacs et rivières. Chaque rame représente un partenaire et son expertise. Finalement, il nous ramène à nos racines autochtones et à nos bâtisseurs.