Porte Ouverte Magazine

Libération conditionnelle : tout le monde dehors... vraiment?

By Johanne Vallée,
Directrice générale ASRSQ

Le merdier de la remise en liberté : Quand la chaîne n’est plus assez longue

Avouons-le, la controverse entourant la remise en liberté des détenus, tant fédéraux que provinciaux, semble être là pour un bon moment et on se demande comment on va s’en sortir. On entend tellement de choses sur la remise en liberté des détenus que le grand public doit vraiment être complètement perdu. Depuis la publication du livre Tout le monde dehors!, tout le monde pense que les détenus sont libérés comme ça! Une petite visite de courtoisie devant les commissaires aux libérations conditionnelles, on ouvre la porte de la prison puis ça y est, ils sont dehors! Bonjour la visite, la vie vous appartient! Ce genre d’ouvrage est une véritable mine d’or pour les tenants de la droite et pour tous ceux qui n’ont jamais voulu croire à la réhabilitation sociale.

Yves Thérriault a été sévère dans son jugement. Et à certains égards il a raison. Mais son livre passe par dessus plusieurs réalités, dont celles des absences temporaires qui ne sont plus ce qu’elles étaient à l’époque de l’affaire Bastien et de la surpopulation carcérale qui n’est plus la même et qui ne sert plus de motifs raisonnables à la remise en liberté. En conséquence, le public, certains politiciens et journalistes sont toujours persuadés que la situation demeure inchangée.

«Parce que le système de justice a échoué dans le cas de Karla Homolka, on demande maintenant au système correctionnel et de remise en liberté de sauver la mise.»

M. Thérriault tente de se faire rassurant en disant qu’il croit à la réinsertion sociale et qu’il faut simplement, pour être crédible, faire quelques modifications. Notamment, on doit éviter les mesures non discrétionnaires, telles que l’examen expéditif et la libération d’office. En principe il a raison. Nous sommes même très réticents face à l’examen expéditif. Mais l’abolition de la libération d’office pose un sérieux problème. Si on l’abolit, cela va contribuer à faire augmenter le nombre de remises en liberté à la fin de la sentence. Monsieur et madame tout le monde auront l’impression que justice aura été rendue. Mais le problème c’est que personne ne sera là pour encadrer ce délinquant sorti sans ressources et sans supervision qui risque alors encore de trébucher ou de récidiver.

Le cas de Karla Homolka est, à ce sujet, très éloquent. Elle a fait l’objet d’un maintien en incarcération et elle sortira à la toute fin de sa sentence. Cette mesure a permis de satisfaire la droite tout en réconfortant ceux et celles choqués du jugement rendu à l’époque du procès. Maintenant que sa libération fin mandat arrive, certains proposent de recourir à l’article 810 du code criminel pour lui imposer une surveillance et d’autres souhaitent convaincre le ministre de la Justice fédéral d’adopter une nouvelle législation rétroactive permettant de revenir pour modifier d’une certaine manière la sentence. Bref, certains sont disposés à remettre en question des principes fondamentaux de justice pour corriger les lacunes du système de justice dans le cas Homolka. Bref, ce cas illustre la consternation qui prévaut dans certains milieux.

Qui va maintenant la surveiller? Hellooooo, pourquoi pensez-vous que la libération conditionnelle existe? Bien pour surveiller, encadrer et accompagner! Ce n’est pas un cadeau de fin de sentence mais une mesure de protection sociale. Ce n’est tellement pas un cadeau que plusieurs détenus y renoncent. Ils font leur temps et attendent bien patiemment la fin de la sentence. Comme ça pas de compte à rendre à personne, pas de test d’urine, pas de permission à demander à son agent, pas de rencontre disciplinaire, ni de perte de privilège.

Le cas Homolka illustre également d’autres problèmes. C’est le système de justice qui a échoué et c’est maintenant le système correctionnel et de remise en liberté qui sera modifié. D’où l’expression: Bad cases make bads policies!

Sur la rue, des personnes qui me croisent, sachant que ce que je fais, viennent me voir en me disant bien gentiment : «vous savez, Madame Vallée, je crois à la réhabilitation sociale et je voudrais pas qu’on se retrouve comme aux États-Unis». Malheureusement, dans l’univers actuel où les politiciens s’enflamment rapidement autour d’enjeux émotifs comme celui de la récidive, où ce genre de situation fait les choux gras de plusieurs médias, j’ai bien peur que la voie soit toute tracée vers une justice pénale à l’américaine et ce, malgré le fait que nous connaissons les embûches de ce système.

Je sais que mes propos sont pessimistes et j’espère avoir tort. En fait, j’espère que des solutions aux problèmes dénoncés seront apportées. J’espère toujours que le gouvernement du Québec mettra en place la réforme qui accompagne la Loi sur le système correctionnel du Québec. J’espère également que le gouvernement fédéral résistera à la pression qui veut abolir la libération d’office et revoir de fond en comble le système correctionnel fédéral. Les solutions au Service correctionnel du Canada ne passent pas par des mesures législatives mais plutôt par une révision de l’organisation du travail qui doit favoriser des contacts plus fréquents et plus productifs entre les délinquants et les agents. On doit revaloriser le jugement professionnel des intervenants et réduire les attentes bureaucratiques qui ont transformé, bien involontairement, le travail des professionnels en travail de techniciens de système d’information. On doit mettre en place toutes ces mesures en informant également le public que le risque zéro de récidive est un mythe. Même si on met en place des mesures très répressives, il y aura autant de récidive. On doit plutôt travailler à réduire le risque car punir ne suffit pas.