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Libération conditionnelle : tout le monde dehors... vraiment?

By Propos recueillis par Jean-François Cusson

Problèmes aux libérations conditionnelles : Ce n’est qu’une question de volonté politique

Le 6 avril dernier, Yves Thériault participait à une discussion dans le cadre d’une activité organisée par le Centre international de criminologie comparée. Auteur du livre Tout le monde dehors! (inspiré de la série Enquêtes sur les libérations conditionnelles diffusée au Canal D et produite par Sovimage), il a profité de l’occasion pour partager ses réflexions concernant l’encadrement des détenus et le fonctionnement des services correctionnels.

D’étonnantes révélations

Il y deux ans, Sovimage qui avait déjà produit, entre autres, les séries Des Crimes et des Hommes et Mission secrète (série sur l’espionnage au Canada) cherchait de nouveaux sujets de documentaires. Après avoir eu une discussion avec le journaliste de La Presse André Cédilot qui suivait attentivement les travaux des commissions des libérations conditionnelles, il était clair qu’il y avait là assez de matériel pour faire une série. Finalement, ce sont 8 émissions d’une heure qu’a produit Sovimage.

C’est en tant que journaliste et scénariste (il a écrit deux émissions) que Yves Thériault s’est joint à la série. Il a commencé par faire de la recherche et il a eu l’opportunité de recueillir les confidences, à micro fermé, d’intervenants qui travaillent dans le système correctionnel.
«Ces gens-là ne pouvaient pas parler devant les caméras, mais ils avaient beaucoup de choses à raconter. Suite à ces témoignages et en fouillant un peu plus, on voyait des choses qui nous interpellaient. Il y avait des choses qui ne faisaient pas de sens».

Rapidement, l’équipe de production s’est rendu compte qu’il était impossible de tout inclure dans la série qui allait être télédiffusée à Canal D. «C’est là que l’idée du livre est venue. Je pense qu’on a visé juste, car, depuis la publication, il y a eu de nombreuses réactions».

Tout le monde dehors?

Il va de soi que le choix d’un titre aussi cinglant que Tout le monde dehors! ne pouvait pas laisser le Québec indifférent et a sûrement contribué au succès de l’ouvrage et de la série. «Je sais bien que ce n’est pas vrai que tout le monde sort de prison aussi facilement, mais le titre permettait de soulever les aberrations que nous avons constatées au sein des services correctionnels».

«Je crois qu’on a trop dévalué la libération conditionnelle. Il est maintenant temps qu’on fasse en sorte qu’elle soit vraiment accordée au mérite.»

Au départ, le livre devait présenter autant d’espace pour le système fédéral et provincial. L’affaire Bastien, à elle seule, occupe le tiers du livre. «Je pense qu’on a quand même réussi à vulgariser certains concepts et à montrer la distinction entre le provincial et le fédéral. Quand j’explique aux gens la différence entre ces deux systèmes, j’ai tendance à leur expliquer que le fédéral est comme la ligue nationale de hockey et que le provincial ressemble à une ligue de garage».

Yves Thériault explique qu’il entretient plus de respect pour toutes les initiatives que l’on retrouve dans le système fédéral. Il prend le soin de rappeler qu’on y retrouve des spécialistes et des individus qui font un travail sérieux. «Au provincial, on refuse de faire des évaluations psychologiques parce que ça coûte trop cher».

L’affaire Bastien

Toutefois, en approfondissant l’histoire entourant le meurtre d’Alexandre Livernoche, l’équipe de production a réalisé que cette histoire illustrait tout ce qui clochait avec le système des libérations conditionnelles. «Également, cette histoire dramatique permettait de démontrer le manque de volonté du gouvernement québécois d’assumer son rôle de protection du public».

Yves Thériault soutient que pour quiconque examine le moindrement la feuille de route des décisions politiques au cours des dernières années, les carences des services correctionnels québécois ne sont pas surprenantes. Les Services correctionnels du Québec ont connu de nombreuses réductions budgétaires, des prisons ont été fermées aggravant les problèmes de surpopulation. Considérant que les programmes sont quasi inexistants, les difficultés informatiques, le manque de sérieux dans les évaluations et le manque de suivi lors de la période d’incarcération, il est presque surprenant qu’il n’y ait pas eu plus de situations dramatiques.

Trop mous?

Pour le documentariste, il est nécessaire de questionner notre philosophie carcérale. Quand on le compare à d’autres systèmes, le Canada est très permissif, peut-être trop. «C’est certain qu’il ne faut pas en arriver à ce que l’on observe aux États-Unis. Par contre, je remarque que les Canadiens arrêtés en sol américain ont bien hâte d’être rapatriés au pays. J’ai l’impression qu’ici on donne beaucoup de chance à des gens qui n’en méritent peut-être pas».

Yves Thériault considère que le système de libération conditionnelle canadien présente de grandes aberrations. Par exemple, il dénonce la procédure d’examen expéditif qui permet de libérer certains détenus de façon automatique au 1/6 de leur sentence et la libération d’office (au 2/3 de la peine) de détenus qui ne méritent pas toujours une libération. D’ailleurs, il se dit préoccupé par la faible utilisation du maintien en incarcération.

Jeter les clés ou réinsérer?

La réhabilitation sociale, Yves Thériault y croit. «J’achète les principes de base du système canadien et je comprends l’importance de libérer avant la fin de la peine. Le problème c’est qu’on a souvent l’impression que la libération conditionnelle est un droit plutôt qu’un privilège».

Étant donné le court séjour des détenus dans les prisons provinciales, plusieurs soulèvent qu’il est difficile pour les services correctionnels du Québec de mettre en place des programmes pertinents. Pourtant, Yves Thériault avertit que c’est souvent pour ceux-ci qu’il est important de faire quelque chose. D’ailleurs, ce n’est pas parce qu’ils ont une peine de moins de deux ans qu’ils ne sont pas dangereux. «Plusieurs de ces détenus sont au début de leur carrière criminelle, c’est là qu’il faut agir. Il n’est pas acceptable d’accepter l’oisiveté à l’intérieur de nos prisons. Que ce soit en prison ou dehors, il faut faire quelque chose».

Yves Thériault admet que le taux d’octroi des libérations conditionnelles ait pu diminuer au cours des dernières années, mais il rappelle, qu’il n’y a pas si longtemps : «on se pétait les bretelles en mettant en évidence des taux d’octroi élevé».

La valeur de la libération conditionnelle

En ce qui concerne la libération d’office, Yves Thériault avoue avoir un véritable problème avec cette forme de mise en liberté. «Quand un individu n’est pas libéré plus tôt parce qu’il représente un risque, j’ai du mal à comprendre qu’on lui ouvre les portes. D’ailleurs, on le voit, ce sont ceux qui sont les plus problématiques qui récidivent le plus».

Il avoue aussi entretenir certains doutes par rapport à l’encadrement que l’on peut offrir en communauté. Quelle protection peut-on offrir quand un individu passe toute la journée à l’extérieur de la maison de transition? «Lorsqu’un individu ne réintègre pas la maison de transition à l’heure prévue, c’est sûr qu’on appelle la police, mais il y a bien des chances que le mal soit déjà fait».

Yves Thériault considère qu’une des raisons pour lesquelles la mesure de libération conditionnelle est questionnée, c’est qu’elle ne semble plus avoir grande valeur. «Quand tout le monde peut être libéré avant la fin de sa peine et que la Loi prévoit même des mesures automatiques pour sortir les cas plus problématiques, il faut se questionner. Quel message envoie-t-on quand on libère ainsi? Je crois qu’on a trop dévalué la libération conditionnelle. Il est maintenant temps qu’on fasse en sorte qu’elle soit vraiment accordée au mérite». Il en profite aussi pour remettre en question les libérations à répétition. Il faut admettre, selon le journaliste, que certains individus ne sont pas récupérables.

Une question de volonté

Comme suite au meurtre d’Alexandre Livernoche, le rapport Corbo, qu’il qualifie d’exceptionnel, a permis de vraiment comprendre le fonctionnement du système correctionnel. «Il s’agit d’un travail complet et lucide». Pour corriger les lacunes dénoncées par ce rapport, le gouvernement a voté une loi à l’unanimité. Yves Thériault dénonce l’inaction du gouvernement qui réclamait, alors qu’il siégeait à l’opposition, la mise en vigueur de cette loi. Pour Yves Thériault, tout est une question de volonté politique.

«Autant au provincial qu’au fédéral, il va falloir comprendre que tout l’argent qu’on met au niveau de l’encadrement et des programmes», c’est de l’investissement plutôt que des dépenses». Selon lui, si Québec ne se sent pas concerné par l’importance des programmes et qu’il ne veut rien faire, il n’a qu’à mandater le fédéral de s’occuper des détenus. Pour les détenus jugés problématiques, pourquoi ne pas examiner l’utilisation du bracelet électronique?

Malgré toutes les anomalies qu’il a constatées au sein des différents services correctionnels et des organismes qui y sont associés, Yves Thériault assure qu’en aucun temps il ne désire critiquer le travail des intervenants.

«Être agent de libération conditionnelle, c’est le dernier emploi que je voudrais détenir. Ils ont des “case load” très élevés, ils doivent bien souvent couvrir un grand territoire et on remarque un haut taux d’absentéisme. En plus, ils ont tellement de travail, qu’ils sont incapables de rencontrer leurs détenus à une fréquence satisfaisante».

Cependant, il n’est pas logique, selon lui, d’espérer que tous les détenus puissent être réhabilitables. Il constate aussi que certains intervenants perdent beaucoup d’énergie à jouer aux missionnaires avec des individus dont le potentiel de réinsertion est très faible.

Malgré tout, les intervenants professionnels ne sont pas responsables des ratés du système. D’ailleurs, leur présence et leur formation sont un atout essentiel. Les évaluations et les diagnostics ne peuvent pas, selon lui, se faire par des gardiens de prison. Le problème, c’est que ces professionnels vivent des conditions difficiles, et ce, surtout dans le système provincial.

«Sur le terrain, les intervenants n’ont d’autres choix que de travailler avec les outils qu’on veut bien leur donner. Tant et aussi longtemps que Québec refuse de mettre en vigueur la loi qu’on a votée, on peut malheureusement s’attendre à ce qu’il y ait d’autres événements dramatiques. Le projet de loi dort sur les tablettes. La mise en place coûterait 10 millions, et on vient d’apprendre que le gouvernement doit couper 500 millions. Où va-t-il prendre tout cet argent? Encore une fois connaîtrons nous des coupures importantes au niveau des services correctionnels?»