Porte Ouverte Magazine

Repenser le SCC

By Carole Ménard,
Gestionnaire régionale, Commission nationale des libérations conditionnelles, Région du Québec

La Commission nationale des libérations conditionnelles a 50 ans

La Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) fêtera ses 50 ans en février 2009. Cinquante ans de changements et d’évolution qui ont transformé et façonné le travail quotidien de centaines d’employés et de commissaires qui oeuvrent pour la Commission depuis 1959.

La volonté de maintenir une société juste et paisible par le biais de décisions appropriées quant au moment de la mise en liberté des délinquants dans le but de favoriser leur réinsertion sociale représente l’engagement que maintiennent tous les employés et commissaires.

La Commission est un tribunal administratif indépendant qui, en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, a le pouvoir exclusif d’accorder, de refuser, d’annuler ou de révoquer la libération conditionnelle. La Commission rend également des décisions à l’égard des délinquants incarcérés dans les établissements correctionnels des provinces ou territoires qui n’ont pas leur propre commission. À l’heure actuelle, seules les provinces de l’Ontario et du Québec ont leur propre commission. Il appartient aussi à la Commission d’octroyer, de refuser ou de révoquer un pardon en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. La Commission fait aussi des recommandations en matière de clémence pour la prérogative royale de clémence.

Naissance de la libération conditionnelle

Historiquement, la libération conditionnelle apparaît pour la première fois en Europe et particulièrement en Angleterre au début du XIXe siècle où le gouvernement cherche une façon de recruter la main-d’oeuvre nécessaire au développement des colonies outre-mer. C’est par le « ticket of leave » que des centaines de détenus sont libérés des prisons surpeuplées d’Angleterre pour être envoyés aux Bermudes et en Tasmanie.

Au Canada, le concept de la libération conditionnelle existe depuis 1899 où la Loi sur la libération conditionnelle votée sous le règne du premier ministre Laurier instaura le « ticket of leave ». Loin des règles et principes de la loi actuelle, celle-ci visait tout de même l’objectif louable d’atténuer les disparités entre les peines de prison. La libération était accordée à la discrétion du ministre de la Justice.

Il fallut attendre la fin des années 50 et les recommandations du rapport Fauteux pour que le Parlement canadien abroge l’ancienne Loi sur les libérations conditionnelles et la remplace par la Loi sur la libération conditionnelle dans laquelle le principe de la réadaptation fut enfin consacré.

La nouvelle Commission créée en 1959 était alors composée d’un président et de cinq membres. Toutes les décisions étaient prises au bureau central d’Ottawa. L’anglais était la seule langue de travail et les commissaires avaient un pouvoir discrétionnaire absolu en ayant toute liberté sur le bien-fondé de chaque cas.

Le droit à l’audience et l’obtention écrite des motifs d’une décision coïncidèrent avec l’ouverture des bureaux régionaux de Montréal et Kingston au début des années 70. À cette même période, l’abolition du châtiment corporel pour les détenus releva les commissaires de la lourde tâche de prendre des décisions en cette matière.

L’année 1976 fut marquée par l’abolition de la peine de mort au Canada. En créant les catégories de meurtre au premier et deuxième degré, le Code criminel institua un nouveau groupe de détenus pour lesquels la CNLC devait dorénavant prendre des décisions sur la mise en liberté après 15, 20, et même 25 ans d’incarcération.

La Charte canadienne des droits et libertés de 1982 a pour sa part marqué profondément le travail de la CNLC ainsi que celui de toutes les institutions canadiennes. « Le devoir d’agir équitablement » a conduit à d’importants changements administratifs. À partir de ce jour, la Commission communiqua au délinquant tous les renseignements utilisés dans sa prise de décision et mit aussi en place une série de mesures assurant l’équité du processus décisionnel. Certains se souviendront d’ailleurs qu’avant 1982, une partie de l’audience se déroulait sans la présence du délinquant, ce qui aujourd’hui serait contraire à toutes les règles en matière d’équité.

Des récidives majeures au début des années 80 mobilisèrent l’opinion publique et conduisirent à l’adoption du projet de loi C-67 sur le maintien en incarcération en 1985; la loi fut amendée l’année suivante. À la suite d’un renvoi du cas par le Service correctionnel, la Commission pouvait maintenant ordonner le maintien en détention de certains cas au-delà de la période de surveillance obligatoire aux deux tiers de la peine. Les cas visés par cette nouvelle mesure étaient ceux pour lesquels la Commission avait des motifs raisonnables de croire qu’ils commettraient une infraction causant un dommage grave ou une infraction sexuelle à l’égard d’un enfant avant l’expiration légale de leur peine.

Repenser la CNLC

Un processus de structuration et de réorganisation interne prit forme à la fin des années 80. L’énoncé de mission en 1986 et les premières politiques décisionnelles de 1988 encadraient maintenant le travail des commissaires et mobilisaient les ressources vers un objectif commun et des méthodes plus uniformes à la grandeur du pays. Une attention très particulière commença à se développer en matière de formation des commissaires. On mit en place divers programmes de formation afin d’aider les commissaires à bien s’acquitter de leur tâche dans un environnement de plus en plus complexe.

La promulgation de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) en 1992 plaça le Canada à l’avant-garde. La recherche dans le domaine correctionnel est alors suffisamment avancée pour que le texte de loi y reprenne les éléments d’évaluation et de gestion du risque. Cette nouvelle loi contient de nombreuses mesures où prime la sécurité publique. L’importance de réunir des renseignements fiables sur le délinquant, la circulation de l’information, le but de la semi-liberté, la procédure d’examen expéditif, l’admissibilité à la moitié de la peine pour certains cas, l’imposition de l’assignation en résidence comme condition spéciale aux deux tiers de la peine et la liste des infractions avec violence ou relatives aux drogues qui sert de critère pour le renvoi en vue du maintien en incarcération sont autant de nouvelles mesures qui viennent supporter l’objectif de la sécurité publique.

De nombreux éléments favorisant la réinsertion sociale et la réadaptation des délinquants viennent d’autre part équilibrer les objectifs de la nouvelle loi. Des dispositions à l’égard des programmes, des femmes et des Autochtones font leur apparition.

La transparence fait partie des nouveaux concepts de cette loi et vient transformer le travail de la Commission. Des observateurs peuvent maintenant assister aux audiences. Des victimes, des journalistes, des étudiants, des groupes d’intérêt sont maintenant présents dans bon nombre d’audiences. Toujours sous l’angle de la transparence, la nouvelle loi oblige la Commission à tenir un registre des décisions et à mettre celles-ci à la disposition des gens qui en font la demande par écrit.

Enfin, pour la première fois le texte législatif tient compte du rôle et des droits des victimes. Les victimes peuvent maintenant être officiellement reconnues par le biais de la LSCMLC et obtenir de l’information sur le délinquant. Cette mesure ouvre la voie à un changement de politique en 2001, permettant aux victimes de présenter une déclaration en personne ou sur cassette dans le cadre de l’audience de libération conditionnelle. De plus en plus de victimes sont maintenant présentes et se font entendre.

Le vieillissement de la population, le développement de la technologie, la diversité canadienne, la représentation croissante des Autochtones ainsi que des changements au niveau du profil des délinquants sont autant de facteurs qui viendront complexifier le travail de la Commission au cours des années à venir.

50 ans de transformation et d’évolution

Environ 70 commissaires et 350 employés sont répartis dans cinq bureaux régionaux et un bureau national à Ottawa. Ce sont des hommes et des femmes qui ont la lourde tâche d’évaluer le risque que représentent d’autres hommes et d’autres femmes ayant eu des parcours plus difficiles, et qui font preuve d’un constant engagement envers la population canadienne.

Le vieillissement de la population, le développement de la technologie, la diversité canadienne, la représentation croissante des Autochtones ainsi que des changements au niveau du profil des délinquants sont autant de facteurs qui viendront complexifier le travail de la Commission au cours des années à venir.

Prendre une décision à l’égard de la mise en liberté ne relève pas d’une science exacte. Ce processus appartient au domaine des comportements humains et de la prédiction du risque. La plus grande évolution et la plus fondamentale aura donc été dans l’utilisation des résultats de la recherche correctionnelle pour développer des outils de prédiction du risque, pour améliorer la formation des commissaires et développer des programmes répondant aux besoins des délinquants.

Considérée aujourd’hui comme un modèle au plan international, la Commission nationale des libérations conditionnelles visera, pour les années à venir, à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.