Porte Ouverte Magazine

Travaux compensatoires et pauvreté

By Jean-François Cusson ,
ASRSQ

Diane Picknell,
ROCRQ

and Nicole Raymond,
SACO et ROCRQ (1)

Le Programme de travaux compensatoires souffle 25 bougies!

En janvier 1983, l’Assemblée nationale du Québec votait un projet de loi qui introduisait le Programme de travaux compensatoires (PTC) au Québec. Cette année, le PTC fête donc 25 années d’existence.

Les objectifs du PTC sont multiples. En plus d’assurer le recouvrement des amendes (par la réalisation de travaux), le programme permet d’humaniser le système de justice en offrant une mesure adaptée aux personnes démunies tout en permettant d’éviter leur incarcération. Aussi, le programme a pour effet de les responsabiliser et de susciter l’intérêt de la participation de la société à l’administration de la justice.

Ce programme offre aux citoyens adultes dans l’incapacité de s’acquitter d’une amende la possibilité d’exécuter des travaux compensatoires au profit d’un organisme communautaire sans but lucratif. Il faut savoir que les travaux compensatoires sont et doivent être réservés aux personnes démunies et incapables de payer ou vivant une situation financière telle que le paiement peut avoir un impact négatif important sur les conditions de vie de l’individu ou de sa famille immédiate.

Les travaux compensatoires sont offerts par les percepteurs d’amende uniquement lorsqu’ils évaluent qu’il est impossible pour la personne de payer l’amende, et ce, malgré les possibilités prévues par le Code de procédure pénale : délai minimal de 30 jours pour payer, délais additionnels, paiements différés et saisie.

Le nombre d’heures de travail à effectuer est établi en fonction du montant de l’amende, à laquelle on ajoute les frais accumulés. Il est déterminé à partir d’une table d’équivalence établie par la loi.

L’engagement

Le citoyen qui accepte d’effectuer des travaux compensatoires doit respecter certaines modalités (2). Il doit d’abord s’engager par écrit à effectuer un nombre d’heures de travaux non rémunérés. Ensuite, il prendra contact avec un organisme communautaire de référence mandaté par le ministère de la Sécurité publique (MSP) pour administrer le PTC. Ces organismes sans but lucratif ont d’abord été recrutés par le MSP pour leur rayonnement et pour leur expertise auprès des clientèles démunies. Étant donné leurs expertises variées (santé mentale, action bénévole, réinsertion sociale, médiation, entraide, pauvreté, etc.), ces organismes peuvent intervenir adéquatement auprès des différentes clientèles qui leur sont référées.

C’est à leurs intervenants que reviendra la tâche de déterminer la nature et les modalités d’exécution du travail à effectuer. Dans la mise en place d’un plan d’action, ils auront à tenir compte de la capacité, des habilités et des intérêts des personnes référées, ainsi que des besoins des organismes d’accueil où elles effectueront les travaux.

Une fois que le plan d’action est déterminé et que la personne y consent, elle doit satisfaire aux exigences auxquelles elle s’est engagée. Lorsque les travaux sont complétés, la personne obtient un jugement de libération qui lui confirme que son amende a été acquittée. Il est à noter qu’à tout moment, une personne peut choisir de payer son amende en fonction des heures qu’il lui reste à effectuer. La personne qui refuse une offre de travaux compensatoires ou qui ne respecte pas son engagement peut être incarcérée.

Un appui important

Au cours des 25 dernières années, une des grandes réalisations des organismes de référence aura été d’avoir réussi à convaincre plus de 5 000 organismes de participer au PTC afin d’accueillir ceux qui vivent une situation financière précaire. Leur intérêt à participer au programme s’explique d’abord par le fait qu’ils peuvent ainsi bénéficier gratuitement de personnes (souvent compétentes) qui réaliseront divers travaux et ce, dans de nombreuses sphères d’activités. Évidemment, les personnes référées ne sont pas des employés de l’organisme. Leur participation permet simplement d’accomplir des tâches qui ne pourraient être autrement réalisées.

Il va sans dire que sans la collaboration de tous ces organismes sans but lucratif, il serait impossible d’offrir le PTC. En plus d’offrir une possibilité d’effectuer des travaux compensatoires, ils sont souvent en mesure d’offrir une grande variété de services (intervention en santé mentale, soupe populaire, loisirs, éducation, etc.) aux personnes référées.

Des témoignages percutants

Qu’ils proviennent des organismes d’accueil ou des personnes qui profitent du PTC, de nombreux témoignages permettent de constater l’importance du programme. En Outaouais, il y a la touchante histoire de Richard qui après avoir perdu son emploi songe sérieusement au suicide.

Les responsabilités financières (maison, famille, etc.) lui font vivre une dépression. Bénéficiant de travaux compensatoires, il a pu alors profiter d’un suivi et d’une occasion pour relancer sa vie. Sept ans plus tard, Richard est toujours à l’embauche de l’organisme d’accueil qui, une fois les travaux complétés, l’a recruté. Il supervise maintenant des personnes qui effectuent des travaux compensatoires.

Dans la région de Montréal, le chef de service en télérecrutement d’Héma-Québec a tenu a souligner la nécessité du PTC pour leur organisme. «La présence du programme de travaux compensatoires nous a aidés à poursuivre notre mandat qui est de sauver des vies. Sur le plan humanitaire, le partenariat qui unit nos organisations a permis de grandes choses. Plusieurs milliers d’unités de sang ont été recueillies grâce à l’implication de vos participants. En plus de sauver des vies, leur passage les aide à jeter un nouveau regard sur la communauté et contribue à leur responsabilisation.»

La création d’un regroupement Afin de soutenir l’action des ressources qui offrent les travaux compensatoires, le Regroupement des organismes communautaires de référence du Québec (ROCRQ) a été créé en 1990. Son mandat principal consiste à la promotion des mesures alternatives à l’incarcération par le biais de concertations entre les membres ainsi que par la création et l’harmonisation de services rendus à la clientèle de ce programme. Le ROCRQ supporte ses treize membres qui sont quotidiennement en interaction avec les organismes d’accueil et les personnes référées pour effectuer des travaux compensatoires (environ 15 000 dossiers par année).

En 2006, une collaboration entre le ministère de la Sécurité publique et le ROCRQ a mené à la publication d’un manuel de normes et de procédures qui venait remplacer un document désuet vieux de vingt ans qui ne reflétait plus la réalité.

Afin de démontrer le sérieux du travail effectué par le ROCRQ et de ses membres, le 28 février 2008, le Regroupement signait une entente globale de partenariat dictant les relations entre les Services correctionnels du Québec du ministère de la Sécurité publique et les organismes communautaires du domaine pénal. Par la signature de cette entente, le ministère reconnaît l’expertise et l’apport des organismes communautaires dans le système correctionnel puisqu’ils «jouent un rôle important dans la société québécoise et en ce sens, il convient de favoriser leur consolidation et encourager leur développement» (3). Cette entente permettra un meilleur partenariat entre le ROCRQ et les Services correctionnels du Québec.

Des modifications à la loi

En mai 2004, entrait en vigueur la Loi modifiant le Code de la sécurité routière et le Code de procédure pénale concernant la perception des amendes. Principalement, les modifications visaient la réduction de l’utilisation de l’incarcération pour nonpaiement d’amende et l’amélioration de la perception des sommes impayées. Tous convenaient alors qu’il n’était plus acceptable d’incarcérer des personnes n’ayant pas les moyens financiers de payer leurs amendes.

S’il n’est maintenant plus possible d’emprisonner ceux qui ne paient par leurs amendes, il est possible de poursuivre les mauvais payeurs qui refusent de collaborer et de se soumettre aux ententes de paiement différés ou aux travaux compensatoires afin de les accuser d’une nouvelle infraction. Le Code de procédure pénale prévoit que lorsque le «défendeur ne respecte pas son engagement de se présenter devant le percepteur, lorsque des travaux compensatoires n’ont pu être offerts ou lorsque le défendeur refuse ou néglige d’exécuter de tels travaux, le percepteur peut demander à un juge d’imposer une peine d’emprisonnement et de délivrer un mandat pour l’emprisonnement du défendeur si les sommes dues n’ont pas été payées (4)».

Cette nouvelle infraction passible d’une peine d’incarcération n’excédant pas deux ans moins un jour ne libère pas le contrevenant de sa dette qui doit payer les sommes dues une fois la fin de sa sentence d’incarcération. Ce changement important venait rassurer ceux qui s’inquiétaient qu’une minorité de contrevenants puissent préférer attendre l’incarcération au lieu de régler leurs contraventions. Toutefois, pour l’ASRSQ et le ROCRQ l’incarcération, qui est la peine la plus importante de notre système pénal, devrait «libérer» le contrevenant des dettes qui l’ont mené en prison, et ce, même s’il a été reconnu coupable de ne pas vouloir collaborer au recouvrement de ses amendes. Sinon, une fois libéré, que ferons-nous s’il présente encore le même entêtement? Devronsnous le réincarcérer à nouveau? Et pour combien de fois?

La pauvreté

Si l’ASRSQ et le ROCRQ appuyaient les principes énoncés par le projet de loi, ils émettaient plusieurs réserves et recommandations concernant les sanctions administratives, la création d’une nouvelle infraction et la référence aux travaux compensatoires. Presque cinq après l’adoption des modifications, ces préoccupations demeurent. Il est à noter qu’à la fin de l’année financière 2008 — 2009, le gouvernement évaluera les impacts des changements législatifs introduits en 2004. D’ailleurs, pour l’année 2007-2008, on devrait y retrouver un profil plus précis des personnes qui bénéficient du PTC.

Dans leur mémoire qui avait été déposé lors de l’étude du projet de loi, l’ASRSQ et le ROCRQ regrettaient que la hausse importante des amendes et des différents frais qui s’y rattachent n’ait jamais été discutée. En 1999, le Journal de Montréal annonçait qu’en six ans, certains frais judiciaires avaient été augmentés jusqu’à 2080 %! Tout récemment, les amendes prévues au Code de la sécurité routière ont été considérablement haussées pour les infractions de vitesse excessives. Un peu partout, les amendes et les frais qui s’y rattachent sont de plus en plus salés alors que le revenu des personnes démunies n’a pas connu une augmentation aussi importante.

Au Québec, un grand nombre de personnes vivent une situation financière précaire. Plusieurs d’entre elles ne sont pas, où ne seraient pas en mesure, de régler certaines amendes. Cette réalité est encore plus vraie qu’il est possible de constater que d’autres dettes accompagnent généralement des dossiers d’amendes impayées. De plus, leur précarité financière pourra les punir plus sévèrement que ceux qui sont financièrement à l’aise, puisque leur incapacité de payer amènera des sanctions administratives qui s’ajouteront à la peine (suspension du permis de conduire, par exemple). D’ailleurs, l’ASRSQ et le ROCRQ considèrent toujours que les sanctions administratives devraient être levées lorsque le contrevenant entreprend des démarches de remboursement par entente de paiement différé ou par des travaux compensatoires. De telles ententes témoignent de sa bonne volonté et la possibilité de voir son permis suspendu, par exemple, deviendrait un incitatif à poursuivre la réalisation de l’entente.

Le pouvoir discrétionnaire des percepteurs

Pour l’ASRSQ et le ROCRQ, il est dommage de constater que le PTC n’est pas utilisé à son plein potentiel : il serait possible de l’étendre à ceux qui vivent une situation financière précaire. S’ils reconnaissent l’importance pour tout citoyen de respecter la loi et de s’acquitter des amendes reçues, ils remarquent que malgré la possibilité de recourir à des ententes de paiement plusieurs contrevenants se retrouvent à vivre des situations financières précaires.

D’ailleurs, les deux organisations se sont toujours montrées préoccupées concernant la façon dont les percepteurs évaluent la situation financière des contrevenants, d’autant plus que cette évaluation se fonde uniquement sur leurs jugements. L’ASRSQ et le ROCRQ continuent de croire qu’il serait pertinent d’offrir des outils aux percepteurs afin de les aider dans leur travail. Ceci aurait pour effet d’uniformiser les pratiques à l’échelle du Québec, ce qui éviterait certaines situations problématiques. Par exemple, une personne peut se voir refuser des travaux compensatoires dans une municipalité donnée alors que dans une autre (après un déménagement) on lui offre la possibilité d’en faire.

D’ailleurs, les deux organisations se sont toujours montrées préoccupées concernant la façon dont les percepteurs évaluent la situation financière des contrevenants, d’autant plus que cette évaluation se fonde uniquement sur leurs jugements. L’ASRSQ et le ROCRQ continuent de croire qu’il serait pertinent d’offrir des outils aux percepteurs afin de les aider dans leur travail. Ceci aurait pour effet d’uniformiser les pratiques à l’échelle du Québec, ce qui éviterait certaines situations problématiques. Par exemple, une personne peut se voir refuser des travaux compensatoires dans une municipalité donnée alors que dans une autre (après un déménagement) on lui offre la possibilité d’en faire.

Il ne s’agit pas ici de remettre en question la qualité du travail de l’ensemble des percepteurs qui évaluent la situation financière des contrevenants. Cependant, compte tenu de l’impact de cette évaluation sur le contrevenant et ses proches, il apparaît important de pouvoir les informer des critères que les percepteurs utilisent lors de leur évaluation.

Il n’y a pas que l’argent

Évidemment, en matière d’amendes impayées, plusieurs situations reflètent aussi de la négligence de la part des contrevenants. Une étude publiée en 2002 explique que la situation précaire de plusieurs d’entre eux laisse voir une certaine «inaptitude à prendre les bonnes décisions (…) et à envisager les conséquences et les inconvénients qu’entraînent leurs gestes illégaux. (…) À partir de cette réflexion, il devient pertinent de privilégier des mesures favorisant la responsabilité des contrevenants, afin de permettre aux personnes à faibles revenus de s’acquitter de leurs amendes dignement (5)».

Une véritable aubaine

Au cours des dix dernières années, le programme de travaux compensatoires a permis à plus de 166 000 personnes de rembourser leur dette à la société. En 2006-2007, au-delà de 5 000 organismes communautaires ont reçu environ 15 000 participants qui ont effectué plus de 1 012 713 heures de travaux dans la communauté. Certains participants ont même trouvé un emploi suite aux travaux compensatoires ou demeurent bénévoles dans les organismes qui les ont accueillis. Pour plusieurs, le PTC redonne le goût au travail, contribue à développer des aptitudes et des habilités qui favoriseront leur retour sur le marché du travail et permet de solidifier leur estime de soi. Également, plusieurs découvrent de nouvelles ressources qui peuvent leur venir en aide et les soutenir en fonction des difficultés qu’ils vivent. En 2007-2008, le programme a coûté 1,8 million de $. Il s’agit là d’un programme qui a fait ses preuves et qui contribue à solidifier la société québécoise.


(1) Nous tenons à remercier Mme Louise Couture (Conseillère, Service des programmes à la Direction du développement et du conseil en services correctionnels, Ministère de la Sécurité publique du Québec) que nous avons rencontrée lors de la réalisation de cet article.

(2) Ministère de la Sécurité publique du Québec

(3) Vers une collaboration renouvelée et innovatrice : Entente globale de collaboration entre les organismes communautaires et les Services correctionnels du Québec, 2008.

(4) Article 346 du Code de procédure pénale

(5) Lemire, Guy, (2002), Un modèle intégré d’intervention différentielle pour les contrevenants en milieu ouvert, Montréal, 16 pages.