Porte Ouverte Magazine

Travaux compensatoires et pauvreté

By Me Lise Ferland,
Coalition pour l’accès à l’aide juridique

L’aide juridique, une histoire de reculs : Même les pauvres n’y ont plus accès!

L’accès à la justice est un concept qui recoupe bien des réalités sociales et qui est en constante évolution. À travers les années, plusieurs moyens ont été mis en place pour rendre ce concept concret dans notre société. On peut parler de moyens pour contrer les barrières économiques pour avoir accès aux avocats et avocates ainsi qu’aux tribunaux. On peut aussi parler de mécanismes pour améliorer le système judiciaire en lui-même eut égard à sa complexité. Les changements apportés à certaines lois, les mécanismes alternatifs, le droit préventif sont aussi d’autres volets de l’accès à la justice.

Qu’en est-il du régime québécois d’aide juridique dans cette réflexion sur l’accès à la justice? La Loi sur l’aide juridique a été adoptée en 19 721 dans la foulée de l’adoption de plusieurs lois à caractère social telles que la Loi sur l’assurance maladie, la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels et la Loi sur la protection des consommateurs.

Force est de constater que 35 ans après la création du régime de l’aide juridique, les personnes démunies au Québec ont de moins en m oins accès à l ’aide juridique. Elles font face à un système fondamentalement injuste!

Était ainsi créé tout un réseau, déployé à travers les différentes régions du Québec, permettant aux personnes économiquement défavorisées d’avoir accès à des services juridiques. Ce réseau d’avocats et avocates avait comme mandat de répondre aux besoins fondamentaux des personnes confrontées à la pauvreté. On reconnaissait donc les problèmes particuliers vécus par ces personnes et la nécessité d’une réponse spécifique pour un réel accès à la justice.

L’aide juridique était offerte aux personnes dont les revenus étaient inférieurs au salaire minimum (barème personne seule). L’évaluation du revenu était faite sur une base hebdomadaire et la loi permettait une certaine discrétion à l’avocat dans les cas d’injustice grave ou de tort irréparable causés par la situation vécue par la personne requérante. Quant aux services, la couverture était presque totale. Les barèmes d’admissibilité ont d’ailleurs été indexés jusqu’en 1981.

Par la suite, à la demande des différents gouvernements qui se sont succédés, des études ont été réalisées sous des angles différents allant de l’accès à la justice dans une vision large (ex : la Commission MacDonald en 1991) 2, à des analyses axées sur la capacité de payer de l’État (3).

1996 : une réforme majeure

En 1995, le ministre de la Justice de l’époque, Paul Bégin, dépose le projet de loi 87 qui vise à modifier substantiellement le régime québécois d’aide juridique. Le tollé de protestation est tel que le ministre retire son projet et crée un comité de travail présidé par Me Schabas. Le comité recommande une augmentation des seuils d’admissibilité et une réduction des services couverts pour tenir compte de la capacité financière de l’État. Malgré la forte contestation, le projet de loi 20 est adopté en 1996.

Des changements importants vont ainsi affecter tous les aspects du régime. Avoir accès à l’aide juridique pour défendre ses droits était jusqu’alors reconnu comme un droit, mais devient alors un privilège accordé en fonction des chances de succès de son dossier et de la situation financière de l’État, pour certains services seulement et à partir d’une évaluation très serrée des revenus des requérant(e)s.

La diminution des services couverts est majeure. En matière criminelle ou pénale, une personne ne peut avoir accès à l’aide juridique, même si elle est financièrement admissible, lorsqu’elle fait face à une accusation punissable sur déclaration sommaire de culpabilité. En matière civile, la loi indique que les services sont offerts «pour toute affaire dont un tribunal est ou sera saisi4», entres autres, dans les affaires familiales, alimentaires, de protection de la jeunesse, de droit administratif. Dans les autres cas, il faudra démontrer que cette affaire met en cause ou mettra vraisemblablement en cause soit la sécurité physique ou psychologique d’une personne, soit ses moyens de subsistance, soit ses besoins essentiels et ceux de sa famille (5).

On ne parle plus de personnes économiquement défavorisées mais bien de personnes admissibles financièrement. Le test d’admissibilité financière se fait dorénavant sur une base annuelle, comprend l’analyse des biens et liquidités de la personne. C’est aussi avec cette réforme que sont créées deux catégories d’aide juridique : le volet gratuit et le volet avec contribution.

On prétendait ainsi augmenter le nombre de personnes qui pourraient avoir droit à des services juridiques mais les résultats de la réforme ont démontré une diminution d’environ 30 % du volume des dossiers traités via l’aide juridique. Un recul sans précédent.

2005 : une réforme manquée

En 2004, sous la gouverne du ministre Marc Bellemare, le ministère de la Justice met en place un comité de travail, présidé par le député Pierre Moreau avec un mandat très large, celui de revoir l’ensemble du régime de l’aide juridique.

Le comité a rendu public son rapport en juin 2005 et recommande le maintien de la structure du réseau de l’aide juridique ainsi que le maintien du panier de services tel qu’il l’est depuis 1996, tout en insistant sur la nécessité de hausser les seuils d’admissibilité à l’aide juridique. Les seuils d’admissibilité n’ont pas été revus pendant une période de 10 ans et sont devenus un facteur d’exclusion majeur.

Conséquemment, en octobre 2005 le ministre de la Justice Yvon Marcoux annonce des modifications aux seuils d’admissibilité étalées sur cinq ans (2006-2010), alléguant vouloir «offrir une justice plus accessible6» et ainsi permettre à 900 000 personnes de plus d’avoir accès à l’aide juridique. Il s’engage à injecter 6 M$ par année durant les cinq années de la réforme (30 $ M récurrents) pour permettre au réseau de l’aide juridique de répondre à cette hausse de services prévue.

Dès son annonce, cette réforme est décriée par de nombreux groupes et intervenant(e)s en matière de justice car les montants proposés par le Ministre n’atteignent même pas, à la fin des cinq années, les seuils suggérés par le rapport Moreau et encore moins les seuils suggérés par les intervenant(e)s qui s’alignent avec le salaire minimum.

Les résultats actuels7 démontrent que les cibles ne sont aucunement atteintes. Il n’y a eu aucune augmentation du volume des dossiers (alors qu’on promettait 900 000 personnes de plus ayant accès à l’aide juridique au bout de 5 ans!) et l’argent promis n’a pas été utilisé.

Qui plus est, le ministre de la Justice aligne l’orientation du régime d’aide juridique avec les prestations d’aide de dernier recours. Il permet la gratuité des services uniquement aux personnes seules dont les revenus sont équivalents aux montants versés aux personnes recevant des prestations de solidarité sociale. Pourtant, les personnes travaillant au salaire minimum et les aîné(e)s ne recevant que les prestations gouvernementales sont des personnes pauvres.

Comment peut-on alors parler d’accès à la justice lorsque les citoyennes et citoyens sont confronté(e)s quotidiennement, à travers divers aspects de leur vie, à des questions ayant un lien avec la justice et que ces personnes sont trop souvent laissées à elles-mêmes?

Force est de constater que 35 ans après la création du régime de l’aide juridique, les personnes démunies au Québec ont de moins en moins accès à l’aide juridique. Elles font face à un système fondamentalement injuste!

Même les pauvres n’ont pas accès à l’aide juridique!

C’est face à ce constat qu’à l’automne 2007 des organismes communautaires et syndicaux, des avocats, des avocates et des regroupements ont formé la Coalition pour l’accès à l’aide juridique.

Encore une fois, les groupes de défense des personnes démunies doivent prendre les moyens pour dénoncer et mettre sur la place publique l’inaction du gouvernement québécois face à cette importante question de l’accès à la justice.

La Coalition compte maintenant plus de 40 membres (organismes, regroupements, syndicats, individus). Plus de 225 associations et groupes de toutes les régions du Québec et de tous les secteurs de la société civile 8 ont d’ailleurs manifesté leur appui aux revendications suivantes :

  • que les personnes seules travaillant au salaire minimum (40h/sem.) aient accès gratuitement à l’aide juridique;
  • que les seuils d’admissibilité des autres catégories de requérants, incluant le volet avec contribution, soient augmentés en conséquence;
  • que l’admissibilité à l’aide juridique soit déterminée en fonction du revenu mensuel des requérants;
  • et que l’indexation annuelle des seuils d’admissibilité soit maintenue.

Au moment d’écrire ces lignes, le ministre Dupuis continue de faire la sourde oreille aux appels, messages, lettres et actions de la Coalition ainsi que de tous les autres acteurs de la société québécoise qui l’ont interpellé. Pourtant, le message est on ne peut plus clair!

La Coalition entend poursuivre ses actions et invite toutes les personnes et groupes qui ne l’ont pas encore fait à joindre sa voix en envoyant un message au ministre de la Justice ainsi qu’à son député local. Les informations sur les actions faites et à venir sont disponibles sur le site internet : www.servicesjuridiques.org.


(1) L.Q. 1972, c. 14.

(2) Rapport du groupe de travail sur l’accessibilité à la justice. Jalons pour une plus grande accessibilité à la justice, juin 1991.

(3) L’aide juridique au Québec : une question de choix, une question de moyens (1993), Rapport Schabas (1995), Rapport Moreau (2004).

(4) Loi sur l’aide juridique, L.R.Q., chapitre A-14, art. 4.7.

(5) Loi sur l’aide juridique, L.R.Q., chapitre A-14, art. 4.7 (9)

(6) Conférence de presse du ministre de la Justice de l’époque, Yvon Marcoux, 21-10-2005.

(7) Commission des services juridiques, Rapport annuel de gestion 2006-2007, www.csj.qc.ca.

(8) Pour la liste complète des membres de la Coalition pour l’accès à l’aide juridique, des appuis aux revendications ainsi que des documents de la campagne en cours, voir le site internet : www.servicesjuridiques.org.