Porte Ouverte Magazine

Travaux compensatoires et pauvreté

By Jennifer Cartwright,
ASRSQ

Depuis les travaux, tout commence à bien aller!

À mon arrivée chez SACO, je suis accueillie par quelqu’un de calme et souriant. Pourtant, plus il me raconte son histoire et plus je réalise à quel point la personne qui est devant moi a dû changer pendant les derniers mois. Retour en arrière : Mario est gérant dans une grande surface se spécialisant dans les travaux de rénovation. Avec un seul salaire pour lui, sa conjointe et leur petite fille, il arrive difficilement à joindre les deux bouts. Puis il perd son travail. Il accepte des contrats de rénovation ici et là. Jusqu’au jour où il écope d’une contravention qu’il n’a pas les moyens de payer, qui sera suivie par une deuxième… et plusieurs autres. On lui révoque son permis de conduire. «C’était comme un cercle vicieux. J’étais toujours dans le rouge. Et j’avais absolument besoin de mon auto pour aller travailler. Je viens de la campagne : prendre l’autobus, c’était presque impossible. J’avais des outils à transporter, du matériel.» Arrivent de nouvelles contraventions : rouler sans permis coûte cher. Et la dette s’alourdit…

Suit une période noire pour Mario qui doit dorénavant compter sur l’aide sociale. Sa conjointe le quitte, et emporte avec elle presque tout ce qu’il possède. Après cette «grosse débarque», il décide de se reprendre en main et de faire une entente de paiements. De son chèque de 550 $, il en verse 100 $ tous les mois pour payer les contraventions accumulées.

Tout va bien pendant trois ou quatre mois, jusqu’à ce que — parce qu’il est chambreur chez sa mère — on ampute son chèque d’aide sociale de 100 $ : exactement le montant qu’il versait à la ville. Incapable d’assurer ses paiements mensuels, il se rend au bureau du percepteur. «Je leur ai dit “Écoutez, j’essaie de payer, mais je ne suis pas capable. J’ai déjà deux paiements en retard et je ne vois pas comment je pourrais faire mieux”. C’est là que je leur ai demandé s’il était toujours possible de faire des travaux compensatoires. Je dois avouer qu’il a fallu que ce soit moi qui en parle, la perceptrice ne me l’avait pas offert du tout, malgré le fait que j’avais des paiements en retard et du mal à payer. Je pense qu’ils préfèrent l’argent… Elle m’a dit que si j’étais sur l’aide sociale, j’étais éligible à certaines conditions. On a donc conclu une entente et elle m’a donné le numéro de SACO (Service Action Communautaire Outaouais), que je devais appeler dans les 72 heures.» 

Le premier contact se passe bien. Mario parle à la conseillère qui le réfère à la Maison du vélo. Il s’y rend le lendemain et pendant deux mois, il y effectue divers travaux. À la fermeture annuelle du commerce, à l’automne, il est transféré au SACO, l’organisme qui gère sa période de travaux compensatoires. «Il me restait au moins 220 heures sur les 306 octroyées au début. Vers la fin de ces heures-là, ils m’ont trouvé un autre ticket impayé et m’ont ajouté 73 heures. J’ai donc fait 379 heures en tout, en 5 mois.» Et maintenant? «Ça fait plus d’un mois que j’ai terminé. À la fin de mes travaux, la directrice m’a offert un emploi. Je continue à faire ce que je faisais, mais je suis rémunéré. C’est 100 fois mieux que l’aide sociale!

Ça me donne beaucoup plus d’opportunités. Je vais ravoir mon véhicule, ce qui n’était pas envisageable avec l’aide sociale. À 460 $ par mois, une fois le loyer et la nourriture payés, il ne me restait pas de lousse pantoute!»

Participer au programme de travaux compensatoires aura apporté beaucoup plus à Mario que de voir sa dette effacée : «Ça m’a fait sortir de la maison. Je n’avais pas une grande estime de moi, je ne voulais pas sortir de chez nous. Maintenant, tout commence à aller bien alors qu’au moment où j’ai commencé, j’étais anéanti. Pour rencontrer du nouveau monde, comme les employés qui travaillent ici, il a fallu que je passe par-dessus mon orgueil. Je n’avais pas le choix, c’était ça ou je restais avec une facture de 7300 $! Travailler ici m’a beaucoup aidé au niveau du revenu, de l’estime, de la sociabilité, aussi. À force de te faire dire que tu n’es pas bon, tu finis par te demander si c’est vrai… Après un certain temps chez SACO, j’ai réalisé que personne ne me jugeait, les filles m’ont même encouragé et complimenté!»