Revue Porte Ouverte

Les 40 ans de l’ASRSQ

Par Jean-François Cusson,
Criminologue, ASRSQ

Regards sur l’ASRSQ : comprendre le passé pour mieux définir l’avenir...

C’est en 1987 que fut engagée Johanne Vallée comme directrice générale de l’ASRSQ. Jusqu’alors contractuelle au sein de l’Association, elle succédait au premier directeur général, M. Reneault Tremblay.

La fin des années «80»

À ce moment, la situation des membres au sein de l’ASRSQ différait puisque contrairement à aujourd’hui, ils n’étaient pas tous sur un même pied d’égalité. C’était donc pour assurer une représentativité démocratique équivalente pour tous les membres que l’ASRSQ a choisi d’amener des modifications à son membership.

«Cette restructuration de l’association, note la directrice générale, a permis d’assurer une meilleure représentativité régionale et de permettre aux bénévoles une participation active au sein du conseil d’administration. L’implication accrue de ces bénévoles était et demeure encore nécessaire. On est beaucoup plus pris au sérieux par les décideurs lorsqu’on est accompagné par ces personnes.»

Au même moment, l’ASRSQ venait de terminer, avec ses partenaires, une campagne mouvementée sur le retour de la peine de mort. On assistait aussi à un débat important sur les mesures de rechange à l’incarcération et à l’éclosion d’un mouvement répressif visant, par exemple, à abolir les libérations conditionnelles.

Un retour à la présidence pour Guy Dalphond

Guy Dalphond effectue un retour à la présidence de l’Association depuis mai dernier (il a aussi été président de 1989 à 1993). Directeur général de la Maison Radisson pendant 20 ans et également présent dans plusieurs comités au sein de l’ASRSQ, M. Dalphond est un témoin privilégié de son évolution. Il explique qu’un tournant de l’ASRSQ fut intimement lié au développement de son secrétariat :

«On a vu le secrétariat de l’ASRSQ devenir de plus en plus professionnel. Avant, le travail qui s’y faisait était de grande qualité, mais on avait l’impression que tout se faisait à bout de bras. Il y a présentement un beau travail d’équipe, et on sent qu’il est possible de se répartir les tâches. Si l’Association est devenue ce qu’elle est aujourd’hui, c’est probablement dû à cette importante structuration qui a permis une plus grande implication des membres dans différents comités.»

Un rôle de rassembleur

Mme Vallée explique que l’Association a toujours eu comme préoccupation d’assurer un soutien auprès des organismes membres dans le développement et le maintien de leurs activités, et d’assurer la sensibilisation de la population sur les questions de réinsertion sociale. Ce rôle d’appui auprès des membres est également souligné par M. Dalphond, qui ajoute que l’ASRSQ représente une belle opportunité pour ceux-ci : «Comme nous sommes impliqués dans un secteur d’activités isolé, explique-t-il, le regroupement de ces organismes permet de soutenir un certain consensus dans le développement et la consolidation des activités, tout en permettant de partager plus facilement nos préoccupations communes.

» Si le rôle de l’ASRSQ envers ses membres est sensiblement demeuré le même, les stratégies ont cependant changé. L’arrivée au pouvoir du Parti conservateur a, en quelque sorte, été un point tournant pour l’Association. C’est à ce moment là qu’a commencé l’effritement de la libération conditionnelle qui, jusqu’aux années «80, était perçue comme une mesure méritoire pleine de sens.

«Aujourd’hui, note la directrice générale, il y a encore de plus en plus de tentatives pour réduire l’accès à la libération conditionnelle, et sur le terrain, ça se vit difficilement. Alors qu’avant, l’Association misait surtout sur des campagnes de sensibilisation auprès du public, elle est devenue plus agressive sur le plan politique. Il faut dire qu’on n’avait pas le choix parce qu’il y a eu de plus en plus de projets de loi et de modifications au niveau pénal. On s’est vite rendu compte que si nous n’étions pas davantage présents sur la scène publique, nous ne pourrions pas faire comprendre aux politiciens les enjeux qui nous tiennent à cœur. On a compris que si nous ne le faisions pas, personne d’autre ne le ferait. «

Des besoins qui évoluent

Les années «80 ont été importantes pour le milieu communautaire œuvrant en justice pénale. Mme Vallée rappelle que c’est à cette époque que plusieurs programmes novateurs se sont développés : «Tout ce qu’on connaît du communautaire vient des années 70 et 80. On parle notamment des programmes d’employabilité, des travaux compensatoires… À ce moment, il y avait beaucoup plus d’argent disponible pour les projets novateurs. Maintenant, c’est plus difficile de mettre ces projets de l’avant.

«Le développement de nouvelles initiatives est maintenant intimement lié à l’évolution des besoins remarqués chez les contrevenants adultes. Selon Mme Vallée, il y a eu des changements importants à ce niveau au cours des 10 dernières années : «Au début des années “90, on remarquait une grosse différence entre la clientèle provinciale et fédérale. Cette dernière présentait alors un profil plus lourd. Maintenant, c’est beaucoup moins évident et on a l’impression que les deux clientèles se rejoignent en terme de besoins. Le communautaire est donc appelé à mettre en place de nouvelles façons de faire pour vraiment répondre aux besoins des individus sinon il n’aura plus sa place. “

La reconnaissance des organismes communautaires

La question de la reconnaissance des organismes communautaires par les instances gouvernementales est toujours actuelle. Même s’il y a eu d’importants gains au cours des dernières années, plusieurs considèrent qu’elle se fait du bout des lèvres. La directrice générale partage aussi cet avis :

” Quand on parle de l’implication de nos bénévoles, on sent qu’ils sont perçus comme marginaux ou comme des personnes aux prises avec des excès de sensibilité qui défendent des détenus plutôt que des victimes qui, elles, sont négligées “, explique-t-elle. ” J’ai parfois l’impression qu’on critique leur choix d’accompagner les contrevenants plutôt qu’un autre groupe. C’est frustrant de voir qu’il y a une méconnaissance et une mauvaise perception de ce qu’ils font. C’est pas parce qu’on choisit de s’impliquer auprès des contrevenants qu’on n’est pas sensible à la situation des victimes.

“Pour la directrice générale, tant et aussi longtemps que cette forme d’engagement des citoyens continuera a être considérée marginale, le débat sur la reconnaissance des organismes communautaires ne sera pas réglé.

Elle ajoute qu’il existe un faux débat par rapport aux organismes communautaires en justice pénale. ” Certains remettent en cause l’aspect communautaire de nos organismes parce qu’ils reçoivent une clientèle non-volontaire. Si on attend que les contrevenants viennent d’eux-mêmes, il n’y aura jamais d’engagement communautaire dans notre champ d’activités, ce qui revient à nier la capacité des citoyens à s’impliquer dans l’accompagnement de ces personnes. “

Les défis de l’ASRSQ

Pour plusieurs, la force principale de l’ASRSQ constitue sa mission, qui vise à promouvoir et à supporter la participation des citoyens et des organismes communautaires à l’administration de la justice, la prévention du crime, la réhabilitation, la réinsertion et la réintégration sociale des délinquants adultes. Il faut retenir l’importance de l’engagement de la communauté, puisqu’il donne toute la force à l’ASRSQ.

” Si on ne représente pas des citoyens, explique la directrice générale, et si nous ne nous assurons pas qu’ils tiennent une place active au sein de l’Association, nous deviendrons une corporation à but non lucratif qui représente des travailleurs payés, et ce n’est pas l’objectif de l’ASRSQ. “

Il apparaît important pour M. Dalphond que l’ASRSQ puisse continuer à s’ouvrir sur l’extérieur, autant pour apprendre et observer les expériences et les pratiques des autres que pour transmettre les nôtres : ‘N’étant plus impliqué dans les activités quotidiennes d’un centre résidentiel communautaire, j’ai maintenant une vision davantage extérieure, et je me rends compte combien ce milieu est hermétique. Depuis que le réseau correctionnel a vécu un virage à droite, les différents services correctionnels se sont refermés sur eux-mêmes et beaucoup d’initiatives novatrices ont disparu. L’ASRSQ a tenté de résister avec un certain succès à cette tendance et doit continuer à jouer un rôle de leadership pour permettre d’ouvrir la justice pénale et correctionnelle à la communauté. ’

Devenir un incontournable

Au cours des dernières années, l’ASRSQ a travaillé très fort afin de devenir un incontournable au niveau de la justice au Québec. Johanne Vallée et Guy Dalphond considèrent que l’ASRSQ a réussi à devenir un point de référence non seulement au Québec, mais de plus en plus à travers le Canada.

” La plus grande force de l’ASRSQ, selon le président, réside en sa capacité de ralliement. L’Association sait combiner adéquatement une force intellectuelle, une expérience pratique et une capacité de représentation autant auprès de la collectivité que des décideurs.

“Selon Mme Vallée, cette réussite peut s’expliquer par l’équilibre que l’Association a su conserver dans les positions qu’elle a défendues. ” Les gens nous disent qu’on réussit à maintenir un équilibre entre les besoins des contrevenants, des victimes et de la communauté. Les solutions qu’on propose sont pratiques et bien enracinées dans le quotidien des personnes concernées.

“S’il apparaît clairement que l’ASRSQ a su s’imposer au Québec, il ressort qu’il reste beaucoup à faire afin de rejoindre le reste du Canada. Puisqu’une grande partie du leadership en matière pénale et correctionnelle se retrouve au niveau fédéral, il est nécessaire de développer davantage de liens avec le reste du pays.

Mme Vallée souligne ce nouveau défi ainsi : ‘Quand vient le temps d’aller à Ottawa pour comparaître devant les comités parlementaires, la difficulté n’est pas de parler avec les députés du Québec, mais de développer des alliances avec les autres groupes. Si on ne réussit pas à développer ce genre de liens, on nous rappelle facilement que le Québec n’est qu’une province parmi les autres. On est alors pris avec des politiques qui correspondent moins à nos aspirations et on doit les appliquer quand même.’

Cependant, il n’en demeure pas moins que le dynamisme de l’ASRSQ réside dans l’action et l’engagement de ses membres et de toutes les personnes qui s’y impliquent. C’est dans la qualité de leur travail et de leur implication que la directrice générale trouve sa principale motivation : ‘Quand je vois le dévouement de ces bénévoles et de ces professionnels dans leurs activités quotidiennes, je n’ai pas d’autres choix que d’entretenir beaucoup de respect pour ces gens. Ça devient une grande motivation de travailler pour eux. ’ Pour la directrice générale, la proximité du secrétariat et des membres est une condition essentielle au succès même de l’ASRSQ. ” Compte tenu de la diversité des services qu’ils offrent, il est important de bien saisir leurs particularités pour pouvoir devenir un porte-parole crédible “, déclare Mme Vallée.

Et demain?

En regardant où est rendue l’ASRSQ, explique M. Dalphond, nous avons maintenant deux choix devant nous. On peut se dire satisfait de ce que nous sommes devenus, et décider de continuer à travailler de la même façon afin de maintenir nos acquis. Cependant, nous pouvons aussi décider d’aller plus loin et explorer de nouvelles avenues. ”

Sans vouloir se prononcer sur ce choix à faire, le président suggère qu’il serait peut-être intéressant que l’ASRSQ tente d’être davantage proactive dans ses interventions et dans le développement d’initiatives.

N’oublions pas que sa mission souligne l’importance de la prévention du crime et que cet aspect a été un peu mis à l’écart au cours des dernières années en faveur d’une consolidation des activités de réinsertion sociale.