Revue Porte Ouverte

50 ans de criminologie au Québec

Par Samir Rizkalla,
Ph. D. criminologue

La Société de criminologie du Québec : Un passé fécond, un avenir prometteur

«Vingt ans de criminologie québécoise, bilan et perspectives.» Déjà plus de trente ans se sont écoulés depuis ce congrès où l'on évoquait les anniversaires du Département et de l'École de criminologie, de la Société de criminologie du Québec (SCQ), du Centre international de criminologie comparée (CICC) et de l'Association professionnelle des criminologues du Québec (APCQ), en plus de célébrer l'introduction, en 1969, de l'enseignement de la criminologie dans le programme de formation des futurs policiers au niveau collégial. Vingt ans, au cours desquels professeurs, étudiants doctorants et personnel du département et de l'école s'étaient dévoués pour porter le flambeau de la Société de criminologie au Québec, lui attirant l'adhésion et la collaboration de nombreux intervenants de la justice pénale. Vingt ans d'action en vue de la promotion des principes scientifiques les plus modernes pour faire évoluer les perceptions, les convictions ancrées et l'intervention. Permettez-moi de citer ici un texte de Denis Szabo, très éloquent à cet effet, figurant dans sa préface des Actes du 1er Congrès de criminologie du Québec, tenu les 15 et 16 avril 1966.

[...] Un véritable dialogue s'est engagé, à l'échelle de la province, entre juges et policiers, éducateurs et surveillants, spécialistes des sciences sociales et administrateurs de la justice et des peines, personnes relevant des services publics et des agences privées… Voici quelques années seulement, il aurait semblé presque impensable que, sous l'autorité de leur ministre, des hauts fonctionnaires exposent leurs projets, leur philosophie et les soumettent à une critique constructive, aux recommandations et aux suggestions de la communauté criminologique québécoise… (Ce dialogue) est une condition sine qua non d'une justice incarnée et vraiment démocratique1. En commençant la rédaction de cet article, je ne puis m'empêcher de rendre un vibrant hommage à tous ces pionniers qui ont aussi été mes professeurs et mes maîtres à penser.

La criminologie québécoise a poursuivi sur cette lancée. Ce congrès de 1980 constituait cependant un tournant dans l'histoire de la SCQ. Elle, qui comptait presque exclusivement sur les professeurs et le personnel de l'École pour son organisation et son fonctionnement, venait de se doter d'une permanence lui permettant, entre autres, d'avoir son propre secrétariat et ses propres locaux. Cette première équipe était principalement constituée par Jean-Paul Gilbert, ancien chef de la police de Montréal et enseignant à l'École de criminologie, comme président; Robert Sacchitelle, avocat à l'aide juridique, comme trésorie; José Rico, professeur à l'École de criminologie, et Claude Labelle, ancien policier de Montréal, attaché au ministère de la Justice du Québec, comme membres, et le soussigné, criminologue et enseignant, comme secrétaire général et directeur de l'équipe exécutive. Élue lors du congrès de 1979, cette équipe, malgré l'absence totale de fonds de roulement, s'était fixé comme l'une de ses priorités de donner à la SCQ pignon sur rue, comme le disait Robert Sacchitelle. En même temps, la Société adoptait, en plus de sa vocation scientifique, une vision communautaire se voulant plus accessible, plus proche des intervenants sur le terrain, et davantage axée sur le partenariat et la collaboration avec les organisations communautaires ayant des objectifs compatibles avec les siens.

Les paragraphes qui suivent relateront quelques faits de la petite histoire de la SCQ avec une brève description du contexte de certaines activités. Celles-ci ont été sélectionnées parmi les innombrables réalisations qui ont marqué l'évolution de la Société depuis son vingtième jusqu'à son quarantième anniversaire.

La petite histoire du secrétariat permanent et des locaux
Pignon sur rue! Mais où trouver les fonds et où trouver un local? Une chance : j'avais alors obtenu, à titre personnel, en 1979, un contrat du ministère de la Justice du Canada. Mon mandat consistait à évaluer la procédure de communication de la preuve à la Cour des sessions de la paix de Montréal, un projet pilote implanté à l'initiative de MM. Yves Mayrand, alors juge en chef de ladite cour, et le juge Jacques Lessard. Ce dernier accueillait les plaideurs dans une salle d'audience où ils étaient invités à dévoiler leurs preuves et à susciter des admissions. Le but en était de réduire, autant que faire se peut, l'assignation de témoins.

Afin de me faciliter la tâche, ils m'avaient accordé un local au palais de justice, le 5.03, avec tout l'équipement de secrétariat et, en prime, une secrétaire. La réputation de la Société de criminologie aidant, j'ai réussi à convaincre Messieurs les Juges de m'autoriser, dès ce moment-là et même après la fin de l'étude, à donner l'adresse de ce local comme étant celui de la Société de criminologie du Québec. Nous y sommes restés quelques années... (Histoire à suivre.)

Puis ce fut le temps de prendre le bâton du pèlerin et d'aller – avec un projet en main bien ficelé – solliciter une première subvention de soutien pour se payer une secrétaire permanente. MM. Gilbert, Sacchitelle et moi-même sommes alors allés rencontrer le ministre Marc-André Bédard dont le gouvernement venait d'adopter la nouvelle Loi sur la protection de la jeunesse.

Les grands penseurs de ce monde, autant que les praticiens et les justiciables ont toujours rêvé d'une justice qui satisfasse à la fois les victimes et le public, qui oeuvre pour la réinsertion sociale des contrevenants et qui réponde aux plus hauts standards d'équité, d'impartialité et d'humanisme.
La protection des droits des mineurs
C'est, en effet, en janvier 1979 qu'entrait en vigueur cette nouvelle législation qui mettait l'accent sur les droits de la jeunesse et prônait une approche multidisciplinaire à leur égard impliquant des citoyens dans la décision concernant les dossiers des jeunes. Ces citoyens avaient reçu pour titre les PDMJ (personnes désignées par le ministre de la Justice). Très belle occasion, vu cette nouvelle orientation communautaire de la SCQ, de montrer sa capacité à apporter sa collaboration à faire connaître les principes mis de l'avant par cette intéressante Loi qui plaçait au premier rang les droits et les intérêts des mineurs. Ce fut notre première subvention. Elle nous permit d'organiser trois colloques régionaux à Montréal, Québec et Sherbrooke sous le titre : La communauté et la Loi face au comportement délictueux des mineurs.

Toujours dans le domaine de la jeunesse, en 1984, lorsque la Loi fédérale sur les jeunes contrevenants faisait son entrée, la SCQ, qui avait rédigé des mémoires lors des consultations, a alors entrepris d'organiser un colloque sur les modalités de son application ; puis, en collaboration avec le Conseil québécois pour l'enfance et la jeunesse, nous avons organisé une journée d'étude sur La garde en milieu fermé et ses alternatives.

Promotion de l'implication communautaire

Au début des années 1980, deux phénomènes marquaient l'actualité en matière de justice : la rareté des ressources et l'appel à l'implication communautaire. Dans un des trois colloques organisés sur ce thème, le ministre Bédard déclarait que «le temps de l'État providence (était) révolu» et que la communauté devait se prendre en main et apporter sa contribution à la justice pénale. C'est d'ailleurs dans ces années que furent effectués plusieurs travaux prônant la limitation des peines d'emprisonnement : Rapport du Comité d'études sur les mesures de rechange à l'incarcération (Landreville, 1986) et Rapport de la Commission canadienne sur la détermination de la peine (Archambault, 1987). Comme contribution de la SCQ, trois colloques régionaux ont été organisés sur La communauté face au crime : une participation à développer et Les sentences de travaux communautaires : leur passé, leur présent et leur futur (1982). Plusieurs autres activités ont eu lieu sur ce même thème en 1986, 1995 et 19972.

L'aide aux victimes

Les victimes retenaient l'attention des scientifiques depuis la fin des années 1940, mais l'approche en était une de recherche sur leur possible contribution au processus de passage à l'acte. «La victime estelle coupable3?» se demandait-on. À mesure que les années 1970 avançaient, on vit se développer une volonté de légiférer en matière d'aide aux victimes d'actes criminels. La première Loi sur l'aide aux victimes d'actes criminels, bien timide, il faut le dire, remonte à 1972. Micheline Baril, comme membre du conseil d'administration de la SCQ et professeure à l'École de criminologie, nous a amenés à organiser, en 1982, un congrès intitulé Crime, victimes et communauté qui a tenté d'aborder les différentes facettes de cette importante problématique. Un projet de Charte des droits des victimes y avait été soumis par l'un des participants. Deux centres d'aide aux victimes d'actes criminels, financés par le Solliciteur général du Canada, ont aussi vu le jour, de façon expérimentale, dans le cadre de la SCQ et ce, à l'initiative de Micheline Baril : l'un dans Hochelaga Maisonneuve, le Centre AVI, et l'autre à Chandler, en Gaspésie, le Centre Recours victimes. Suite à ces expériences, la Société a soumis, en janvier 1984, un mémoire et des recommandations à la Commission parlementaire chargée d'examiner les amendements proposés à la Loi de 1972 sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (IVAC).

Plusieurs études, recherches, sondages de policiers et colloques s'en sont suivi, notamment sur la violence intrafamiliale. Et Micheline Baril poursuit son militantisme, à travers notamment l'Association québécoise Plaidoyer victimes, pour que soit adoptée une législation québécoise qui établisse clairement les droits des victimes de crimes et rende possible l'ouverture de centres d'aide pour toutes ces personnes ainsi que pour leurs proches. Ce qui fut fait en 1988 avec la création des CAVAC.

L'humanisation de la justice et le traitement des délinquants

La justice pénale et l'intervention auprès des délinquants ont retenu l'attention de plusieurs recherches, colloques et congrès. Ces activités ont permis d'aborder des sujets tels : la problématique des femmes contrevenantes (1986), colloque organisé en collaboration avec l'Association des services de réhabilitation sociale (ASRSQ), les programmes de réinsertion sociale des contrevenants (1990), les divers problèmes du système de justice pénale, ses incohérences et les moyens d'y remédier (1990), l'incarcération et les mesures substitutives (1995) et bien d'autres. Un premier congrès conjoint avec l'Association canadienne de justice pénale (ACJP) nous a permis de tenter de définir «Une justice au visage humain» (1993).

Visage humain, disons-nous? Les grands penseurs de ce monde, autant que les praticiens et les justiciables ont toujours rêvé d'une justice qui satisfasse à la fois les victimes et le public, qui oeuvre pour la réinsertion sociale des contrevenants et qui réponde aux plus hauts standards d'équité, d'impartialité et d'humanisme. Punir, traiter, abolir ou dédommager et réparer les torts, autant de moyens préconisés par les auteurs et les écoles de pensée. Ne voulant pas être laissée en marge du débat, la SCQ a invité trois célèbres scientifiques à soutenir respectivement l'un de ces points de vue : Maurice Cusson, professeur à l'École de criminologie, Cécile Toutant, criminologue à l'Institut Philippe Pinel, et Louk Hulsman, professeur à l'Université de Rotterdam. On imagine facilement les débats qui ont suivi les présentations et je souris encore en me remémorant la réaction des juges, des avocats et des intervenants correctionnels quand on a parlé d'abolitionnisme. La justice pénale est-elle donc un «système éclaté»? En tous cas, la question a été posée à quelques centaines de congressistes réunis par la SCQ auxquels, en guise d'introduction, nous avions présenté une petite pièce de théâtre concoctée par l'équipe avec l'intense collaboration d'une troupe professionnelle «le Théâtre Parminou». Parfois osée, parfois sérieuse et parfois réaliste, la pièce n'a laissé personne indifférent. Les délais judiciaires injustifiables, la disparité des sentences, les condamnations à l'incarcération d'itinérants qui ne demandent pas mieux que de trouver refuge en prison, le harcèlement policier des toxicomanes, des sans-abri et des prostituées, tout y a passé… Mais aussi (juste pour rire) un juge somnolent sur le banc pendant que les plaideurs s'évertuent à le convaincre, et des avocats qui avaient failli se prendre aux cheveux, en tant qu'adversaires en cour, fraternisant le soir au bar en fumant… un drôle de gazonnn (comme dirait R. Charlebois.)

… la petite histoire (suite)

Comme on le voit, les années 1980 et le tout début des années 1990 furent des périodes fastes. Les Services correctionnels du Québec avaient pris en main le dossier de la SCQ, une intense collaboration s'était établie entre nous. Nous avions fait pour eux une évaluation de leur clientèle et avions pu embaucher plusieurs étudiants pour effectuer des entrevues dans les prisons et parmi les probationnaires. De leur côté, ils avaient des locaux disponibles sur la rue Viger. Ils nous ont gracieusement offert d'y emménager, à titre de contribution au financement de nos projets conjoints. Notre équipe stable était alors de quatre ou cinq personnes en plus de dizaines d'étudiants contractuels.

Nous soumettions aussi annuellement au secrétariat régional du Solliciteur général du Canada des projets de recherche, d'animation et de préparation de congrès et colloques qui nous ont permis d'embaucher d'autres groupes d'étudiants, pendant l'été. De son côté, la Direction de la Sécurité publique de Justice Québec les hébergeait gracieusement dans ses locaux.

Et puis vint une période de disette. Les budgets des ministères rétrécissent, les subventions tardent à rentrer, les Services correctionnels du Québec se départissent des locaux qu'ils nous avaient consentis, l'équipe du tonnerre s'effrite, le bénévolat reprend ses lettres de noblesse et des efforts considérables sont faits pour joindre les deux bouts. Réduits à l'itinérance, nous sollicitons le Service correctionnel du Canada qui consent à nous héberger dans ses locaux du 3, place Laval.

Aide-toi et le ciel t'aidera, dit le proverbe. La ténacité et le travail acharné, même dans des conditions difficiles, ont eu raison des difficultés. Jamais la SCQ n'a manqué d'idées et de projets crédibles qui ont continué à susciter l'intérêt des partenaires, des membres et des dirigeants. Et la vie a continué, encore plus belle qu'avant, avec des locaux indépendants, en colocation avec l'ASRSQ… et, quelques années plus tard, une relève enthousiaste et dynamique.

Jamais la SCQ n'a manqué d'idées et de projets crédibles qui ont continué à susciter l'intérêt des partenaires, des membres et des dirigeants.

Le secret de la renaissance : la collaboration et le partenariat

En fait, dès sa création et tout au long de ses cinquante années d'existence, la Société de criminologie du Québec a déployé ses énergies au service de l'avancement de la justice pénale. Ses activités de recherche, de rayonnement et d'échanges ont porté sur toutes les composantes et sur tous les aspects de la justice pénale au Canada et, plus particulièrement, au Québec. Sa mission a rejoint les ministères de la Justice, de la Sécurité publique, des Affaires sociales (Santé, Services sociaux) et les universités. Elle a intéressé des juges, des avocats, des policiers, des enseignants, des criminologues et des intervenants oeuvrant dans les organismes publics, privés et communautaires, bref tous ceux qui s'intéressent à la promotion de la justice pénale - pour les jeunes et pour les adultes. Le rassemblement de personnalités, provenant de tous ces horizons, dans un contexte informel, a été considéré par la SCQ comme étant essentiel non seulement pour alimenter ses propres projets, mais aussi pour susciter un dialogue et une plus grande compréhension mutuelle entre les participants. Le conseil consultatif, créé en 1980, a été l'une de ces initiatives dont nous pouvons légitimement nous enorgueillir. Il a pleinement réalisé cet objectif de rassemblement comme l'a démontré le très haut niveau des quelque cinquante membres qui le constituent et la teneur des discussions qui y ont lieu. Il a effectivement offert annuellement une occasion privilégiée de favoriser des partenariats qui se sont avérés très productifs pour tous.

… et maintenant

La société de criminologie du 21e siècle n'a rien à envier à celle que je viens de décrire. Grâce au dévouement et au travail de ses dirigeants actuels, elle continue d'accomplir sa mission avec vigueur et détermination. Le congrès 2011, organisé en partenariat avec l'Association canadienne de justice pénale, près de dix-huit ans après le premier congrès conjoint, en est la preuve vivante. L'implication communautaire, la collaboration avec tous les secteurs de la justice, le rayonnement, la recherche, les forums et le dynamisme extraordinaire de ses dirigeants et de ses équipes de travail, tout cela caractérise le présent de la Société de criminologie du Québec : un présent garant de l'avenir.


1 SZABO, Denis. (1966). «Préface», Actes du 1er congrès de criminologie du Québec.

2 Criminologie, justice et intervention: un quart de siècle et scénarios d'avenir (1986) ; Le système pénal à l'heure des compressions budgétaires : comment s'en sortir ? (1995) ; enfin, un congrès sur L'orientation communautaire en justice pénale : un virage sans dérapage ? (1997).

3 Fattah, Ezzat Abdel (1971). La victime est-elle coupable? : le rôle de la victime dans le meurtre en vue de vol, Montréal : Presses de l'Université de Montréal, 259 p.

Références

LANDREVILLE, Pierre (Président) (1986). Rapport du Comité d'études sur les solutions de rechange à l'incarcération. Québec, Ministère du Solliciteur général du Québec, Direction des communications, 182 p

ARCHAMBAULT, O.J.R. (Prés.) (1987). Réformer la sentence. Une approche canadienne. Rapport de la Commission canadienne sur la détermination de la peine. Ottawa, ministère des Approvisionnements