Revue Porte Ouverte

50 ans de criminologie au Québec

Par Commission des libérations conditionnelles du Canada

La transparence et l'avenir du système de justice pénale

La Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) célébrait elle aussi ses 50 ans en février 2009. Cinquante ans de changements et d'évolution qui sont intimement liés aux transformations de notre société.

Faire un retour en arrière et raconter l’histoire du système de justice pénale c’est aussi raconter l’histoire du Québec et du Canada ainsi que l’évolution de ses valeurs profondes. Le droit et le système de justice se définissent à partir de ce que la société considère comme naturel ou raisonnable. Les valeurs derrière toute loi réaffirment ce que la société souhaite prohiber à un moment précis.

Le système de justice et les valeurs sociales évoluent en réponse au développement technologique, aux changements démographiques, aux crises que connaît une société. Après tout, le monde des valeurs est l’invisible chantier où se préparent les changements de décor du monde visible. Or, les modifications législatives des dernières années, les réponses politiques et sociales à la criminalité, sont des indices que de sérieux changements sociaux s’opèrent actuellement. Nous devons être attentifs et réagir.

Le système de justice pénale se transformera inévitablement. Il est donc important d’identifier quelles mesures seront nécessaires pour maintenir le fragile équilibre entre l’existence d’une société juste et la foi dans le potentiel de chacun à devenir un citoyen respectueux des lois. Une de ces mesures repose sur la transparence et la possibilité pour le public de comprendre et de connaître comment l’appareil public traite les questions relatives au système de justice pénale, quelles sont ses fonctions et quels sont ses objectifs fondamentaux.

La libération conditionnelle apparaît pour la première fois en Europe et particulièrement en Angleterre au début du XIXe siècle où le gouvernement cherche une façon de recruter la main-d'oeuvre nécessaire au développement des colonies outre-mer.

La Commission est un tribunal administratif indépendant qui, en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, a le pouvoir exclusif d’accorder, de refuser, d’annuler ou de révoquer la libération conditionnelle. La Commission rend également des décisions à l’égard des délinquants incarcérés dans les établissements correctionnels des provinces ou territoires qui n’ont pas leur propre commission. À l’heure actuelle, seules les provinces de l’Ontario et du Québec ont leur propre commission.

Il appartient aussi à la Commission d’octroyer, de refuser ou de révoquer un pardon en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. La Commission fait aussi des recommandations en matière de clémence en vertu de la prérogative royale de clémence. La Commission fait partie intégrante du système de justice pénale.

Le droit et le système de justice pénale qui en découle sont les moyens par lesquels la société réaffirme ses valeurs. Un changement dans les valeurs sociales entraîne un changement des types de conduite que la société souhaite prohiber. Le système et ses interdits évoluent ainsi en réponse à l'économie, au développement technologique, aux changements démographiques, aux changements politiques, aux crises que connaîtra une société. Lire l'histoire du système de justice pénale et de la Commission, c'est aussi retracer notre histoire collective.

La transparence impose la rigueur et le professionnalisme. En effet, l'oeil du public nous met au défi. Qualité, clarté des décisions, respect de la loi et des politiques, engagement envers la Mission, personnel compétent et qualifié sont les objectifs vers lesquels on doit tendre.

La libération conditionnelle apparaît pour la première fois en Europe et particulièrement en Angleterre au début du XIXe siècle où le gouvernement cherche une façon de recruter la main-d’oeuvre nécessaire au développement des colonies outre-mer. C’est par le «ticket of leave» que des centaines de détenus sont libérés des prisons surpeuplées d’Angleterre pour être envoyés aux Bermudes et en Tasmanie.

Le concept de la libération conditionnelle s’installa au Canada en 1899 au moment où la Loi sur la libération conditionnelle, votée sous le règne du Premier ministre Laurier, instaura le «ticket of leave». Loin des règles et principes de la loi actuelle, celle-ci visait tout de même l’objectif louable d’atténuer les disparités entre les peines de prison. La libération était accordée à la discrétion du ministre de la Justice.

Il fallut attendre les années 1950, les changements sociaux d’après-guerre et les recom-mandations du rapport Fauteux pour que le Parlement canadien abroge l’ancienne Loi sur les libérations conditionnelles et la remplace par la Loi sur la libération conditionnelle dans laquelle le principe de la réadaptation fut enfin consacré.

La nouvelle Commission créée en 1959 était alors composée d’un président et de cinq membres. Toutes les décisions étaient prises au bureau central d’Ottawa. L’anglais était la seule langue de travail et les commissaires avaient un pouvoir discrétionnaire absolu et total en ayant toute liberté sur le bien-fondé de chaque cas.

Le droit à l’audience et l’obtention écrite des motifs d’une décision coïncidèrent avec l’ouverture des bureaux régionaux de Montréal et Kingston au début des années 1970. À cette même période, l’abolition du châtiment corporel pour les détenus releva les commissaires de la lourde tâche de prendre des décisions en cette matière.

L’année 1976 fut marquée par l’abolition de la peine de mort au Canada. En créant les catégories de meurtre au premier et deuxième degré, le Code criminel institua un nouveau groupe de détenus pour lesquels la CLCC devrait dorénavant prendre des décisions sur la mise en liberté après 15, 20 et même 25 ans d’incarcération.

La Charte canadienne des droits et libertés de 1982 marqua profondément le travail de la CLCC ainsi que celui de toutes les institutions canadiennes. «Le devoir d’agir équitablement» a conduit à d’importants changements administratifs. À partir de ce jour, la Commission communiqua au délinquant tous les renseignements utilisés dans sa prise de décision et mit aussi en place une série de mesures assurant l’équité du processus décisionnel. Certains se souviendront d’ailleurs qu’avant 1982 une partie de l’audience se déroulait sans la présence du délinquant ce qui aujourd’hui serait contraire à toutes les règles en matière d’équité.

Des récidives majeures au début des années 1980 mobilisèrent l’opinion publique et conduisirent à l’adoption du projet C-67 sur le maintien en incarcération en 1985. La loi fut modifiée l’année suivante, en 1986. Suite à un renvoi du cas par les Services correctionnels, la Commission pouvait maintenant ordonner le maintien en détention de certains cas au-delà de la période de surveillance obligatoire aux deux tiers de la peine. Les cas visés par cette nouvelle mesure étaient ceux pour lesquels la Commission avait des motifs raisonnables de croire qu’ils commettraient une infraction causant un dommage grave ou une infraction sexuelle à l’égard d’un enfant avant l’expiration légale de leur peine.

Un processus de structuration et de réorganisation interne prit forme à la fin des années 1980. L’énoncé de mission en 1986 et les premières politiques décisionnelles de 1988 encadraient maintenant le travail des commissaires et mobilisaient les ressources vers un objectif commun et des méthodes plus uniformes à la grandeur du pays. Une attention particulière commença à se développer en matière de formation des commissaires. On mit en place divers programmes de formation afin d’aider les commissaires à bien s’acquitter de leur tâche dans un environnement de plus en plus complexe.

La promulgation de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) en 1992 plaça le Canada à l’avantgarde. La recherche dans le domaine correctionnel est alors suffisamment avancée pour que le texte de loi y reprenne les éléments d’évaluation et de gestion du risque. Cette nouvelle loi contient de nombreuses mesures où prime la sécurité publique. L’importance de réunir des renseignements fiables sur le délinquant, la circulation de l’information, le but de la semi-liberté, la procédure d’examen expéditif, l’admissibilité à la moitié de la sentence pour certains cas, l’imposition de l’assignation en résidence comme condition spéciale aux deux tiers de la peine et la liste des infractions avec violence ou relatives aux drogues qui sert de critère pour le renvoi en vue du maintien en incarcération sont autant de nouvelles mesures qui viennent supporter l’objectif de la sécurité publique.

De nombreux éléments favorisant la réinsertion sociale et la réadaptation des délinquants viennent d’autre part équilibrer les objectifs de cette nouvelle loi. Des dispositions à l’égard des programmes, des femmes et des autochtones font leur apparition. Enfin, le concept de transparence est là et viendra fondamentalement transformer l’approche en matière correctionnelle. Des observateurs peuvent maintenant assister aux audiences. Des victimes, des journalistes, des étudiants, des groupes d’intérêt sont maintenant présents lors des audiences. Toujours sous l’angle de la transparence, la LSCMLC oblige la Commission à tenir un registre des décisions et à mettre celles-ci à la disposition des gens qui en font la demande par écrit.

Basé en partie sur ce principe, le texte législatif tient aussi compte du rôle et des droits des victimes. Les victimes peuvent maintenant être officiellement reconnues par le biais de la LSCMLC et obtenir de l’information sur le délinquant. Cette mesure ouvre la voie à un changement de politique en 2001, permettant aux victimes de présenter une déclaration en personne ou sur audio dans le cadre de l’audience de libération conditionnelle

La transparence impose la rigueur et le professionnalisme. En effet, l’oeil du public nous met au défi. Qualité, clarté des décisions, respect de la loi et des politiques, engagement envers la Mission, personnel compétent et qualifi  sont les objectifs vers lesquels on doit tendre.

Au quotidien, toutefois, le concept n’est pas toujours simple dans son application. Nous vivons actuellement dans une société où justement le public exige la transparence des institutions. La rapidité des communications, le phénomène de la téléréalité où on veut tout connaître en temps réel, le jugement facile et rapide, la peur du crime, l’intolérance face à l’erreur, font partie des pressions exercées sur l’appareil public. Ces pressions sont d’autant plus exacerbées quand il s’agit de sécurité et de protection publiques.

Après l’introduction de la LSCMLC en 1992 et le début des années 2000, des observateurs étaient présents lors des audiences de la Commission, mais de façon plutôt ponctuelle. Victimes, journalistes, étudiants se présentaient à l’occasion à titre individuel. Même chose en ce qui concerne le registre des décisions de la Commission. Encore peu de gens connaissaient la possibilité de demander des décisions pour un cas particulier.

Il fallut quelques cas suscitant intensément l’opinion publique au milieu des années 2000 pour que la Commission soit confrontée à de profondes questions sur la définition et les impacts de la transparence. On se souviendra de ce cas où, du jour au lendemain, 45 journalistes demandaient à être présents à une audience, où le périmètre de l’établissement où se trouvait le détenu était envahi par les voitures de reportage. Que faire? Louer un amphithéâtre ou interdire la présence de tous ces journalistes? La loi était claire. Toute personne qui en fait la demande peut observer une audience dans la mesure où certaines conditions sont remplies. Le choix final fut le bon. Permettre et faciliter la présence d’observateurs dans la mesure du raisonnable. Faire tout en son possible pour agir avec équité et transparence envers le public.

Même chose avec des demandes massives du registre des décisions pour certains cas hautement médiatisés. Faire tout en son pouvoir pour répondre dans un délai de quelques heures à des centaines de demandes.

Le défiest de taille. Le public veut connaître en temps réel ce que nous faisons. Il n’a pas le temps d’attendre. Il veut savoir tout de suite. Fini l’époque lointaine où un cycle médiatique de nouvelles était de 24 heures. Ce cycle se compte maintenant en secondes. En même temps, quelle belle occasion de donner un message clair sur la rigueur et la qualité des processus! D’expliquer aux Canadiens que leur système de justice pénale est un des meilleurs au monde. Cette pression extérieure au niveau de la transparence devient la force du système. Nous permettons au public de mieux comprendre que chaque cas est traité selon les principes de justice et d’équité.

En d’autres mots, l’avenir du système de justice pénale canadien et de ses valeurs profondes reposera sur l’exercice d’une transparence appliquée judicieusement. La survie des principes de réadaptation et la foi en la capacité de l’être humain à changer se feront au prix du maintien d’un processus rigoureux apte à être partagé en tout temps avec le public. À tout moment, nous devrons être prêts à expliquer aux citoyens canadiens que le système de justice pénale a pour objectif de créer une société juste et équitable où chacun a la chance et les moyens de s’engager comme citoyen respectueux des lois.