Revue Porte Ouverte

Année internationale des bénévoles

Par Marc Latrémoille

Que peuvent faire les citoyens?

Chaque jour, avec une béate indifférence, nous assistons en témoins impuissants aux écarts grandissants qui déchirent nos sociétés. Bien sûr, il y a nos gouvernements dont il est plus facile de condamner l’inaction ou les gestes qui, soit disant, ne sont pas à la hauteur de nos attentes.

Mais, nous sommes-nous déjà posé la question à savoir comment, de droit et par devoir, nous pouvions, individuellement et collectivement, y contribuer? Il y aura bientôt quarante ans, il avait suffi de la tribune d’un discours inaugural pour cristalliser dans la mémoire du peuple américain le mot du président Kennedy à l’occasion de son investiture : «Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous; mais, demandez plutôt ce que vous pouvez faire pour votre pays.»

Ce morceau brillant de pensée altruiste a fait le tour du monde et contribué à forger dans les mentalités une manière renouvelée de concevoir notre rôle de citoyens.

Le bénévolat existait déjà depuis longtemps, Dieu merci! Et l’auditoire habituel de Porte ouverte étant déjà gagné à la cause, je veux rejoindre ceux et celles qui, au hasard de cette lecture, songeraient à s’impliquer dans leur milieu. L’on sait que toute activité, qu’elle soit sociale, culturelle ou sportive, comporte une certaine forme de bénévolat, qu’il s’agisse d’animer des soirées de loisirs dans un foyer d’accueil pour personnes âgées, d’aider à monter des décors de théâtre ou d’assurer les déplacements de la jeune équipe locale de hockey.

Mais, le bénévolat va plus loin et recèle d’autres aspects plus fondamentaux qui mènent à l’action communautaire, soit au cœur même de ce qui forme le tissu social, avec ses erreurs de trame, ses bouts effilochés et dont chacun de nous en constitue pourtant la fibre.

Le bénévolat peut s’entendre comme étant un juste retour des choses. Il comporte la notion de reconnaissance ou de gratitude. Nous avons, pour une bonne part d’entre nous, vécu dans un milieu familial adéquat, reçu une éducation convenable, trouvé un emploi satisfaisant. Et nous menons notre train-train quotidien avec une apparente quiétude. Pourtant, trop nombreux encore sont ceux et celles qui affichent l’attitude du «j’ai déjà donné» et qui croient que le fait de payer des taxes, de verser son écot à l’État ou encore de donner plus ou moins généreusement à une institution charitable suffit pour les exempter de toute autre obligation.

Il en va de même que pour une sentence que l’on aurait purgée : on a payé sa dette envers la société! Rien ne saurait être plus éloigné de la réalité.

Car, en rendant à la communauté ce que l’on en a reçu, ne rejoint-on pas là le sens même de l’action bénévole? N’y a t-il pas, par exemple, une sorte de devoir moral à veiller à ce que sa communauté soit un lieu sécuritaire pour soi-même, ses enfants et petits-enfants? Penser dans ces termes est déjà une disposition de l’esprit qui mènera progressivement à l’action communautaire.

Il y a cinq ans, je fus invité par un ancien collègue, devenu directeur d’un centre de résidence communautaire, à faire partie de son conseil d’administration. Jusqu’alors, j’avais passé le plus clair de ma vie professionnelle dans le domaine du développement international. Et j’étais de ceux qui se considèrent satisfaits de se «dévouer» pour la cause des plus démunis du reste de la planète, une manière de se soustraire en toute bonne conscience à une implication dans leur propre milieu. Bref, j’ai accepté l’invitation et depuis ce jour s’est ouvert à moi le monde de la réhabilitation sociale par laquelle nous reconnaissons que les délinquants ou anciens contrevenants ont le potentiel nécessaire pour devenir des citoyens respectueux des lois et jouer un rôle utile dans la collectivité.

Au fond, cela signifie, contrairement à ce que pourrait en penser la majorité des citoyens, que le délinquant n’est pas irrécupérable et que si la délinquance est un phénomène social, la responsabilité nous incombe collectivement de tenter d’en amoindrir les effets en aidant ces personnes à se réhabiliter ou, encore, à se réinsérer dans la société.

L’action communautaire auprès d’anciens contrevenants est probablement la dernière chose qui viendrait à l’esprit de quiconque envisage sérieusement le bénévolat. En fait, l’on peut se désintéresser de la question tout en sachant que le contrevenant reviendra un jour dans la société. L’on peut aussi agir d’une manière altruiste auprès du contrevenant en étant conscient de son potentiel de réhabilitation. On aura beau dire que ce n’est la faute de personne si les délinquants sont ce qu’ils sont… Mais, d’autre part, ne pas agir nous rend aussi coupable de perpétuer cet état de fait. Et par notre inaction, nous contribuons à la récidive.

Pratiquer le bénévolat, c’est occuper son temps utilement; c’est poser des gestes qui feront toute la différence. Récemment, lors d’une rencontre entre bénévoles faisant partie de comités consultatifs de citoyens, j’ai été particulièrement frappé par le témoignage de personnes de tous âges et de toute provenance, particulièrement des jeunes, hommes et femmes qui font régulièrement la visite de centres de détention, en manière de partage avec les détenus, une façon de les accompagner dans leur isolement, comme une préparation lointaine à leur future remise en liberté, enfin, une manière de leur faire comprendre qu’ils ne sont pas seuls. Ce geste de compassion s’apparente à l’ultime don de soi et ne peut que contribuer à ranimer une faible lueur d’espoir.