Revue Porte Ouverte

Une approche différente : la justice réparatrice / restaurative

Par Évelyne Leblanc,
Médiatrice, unité de Justice réparatrice, Service correctionnel Canada

Justice réparatrice et médiation entre victime et délinquant au sein du système correctionnel canadien

Cette publication est une belle occasion de faire connaître le Programme Possibilités de justice réparatrice du Service correctionnel du Canada (SCC), d'autant plus qu'elle coïncide avec la tenue du Symposium national de justice réparatrice, qui se tiendra à Québec du 15 au 17 novembre prochain.

Le Programme Possibilités de justice réparatrice du SCC offre aux personnes qui ont été touchées par un crime grave, directement ou indirectement, la possibilité de communiquer avec le délinquant qui leur a causé du tort. Il s'agit donc d'un programme accessible après le prononcé de la sentence, auquel toutes les personnes concernées peuvent participer volontairement. Il offre la possibilité de recourir à divers modèles de communication entre les victimes et les délinquants et de choisir celui qui convient le mieux aux participants, selon les désirs de ces derniers, avec l'aide d'un médiateur professionnel. En fait, ce programme donne un espace d'échange qui permet aux victimes et aux délinquants d'établir une communication par différents moyens, et ce, dans un contexte sécuritaire, respectueux et encadré.

La justice réparatrice, telle que définie au sein du SCC, se veut une approche non conflictuelle et non punitive qui s'intéresse tout particulièrement au rétablissement des victimes, à la responsabilisation des délinquants ainsi qu'à la collaboration des citoyens, de manière à créer des collectivités plus saines et plus sûres. Nous ne sommes plus à l'étape d'établir quelle loi a été enfreinte, ni qui est coupable, ni quelles sont les sanctions qui doivent être appliquées; le système de justice pénale a tranché la question et le délinquant purge sa peine. La justice réparatrice s'attarde davantage aux questions suivantes : qui est la victime? Quels sont ses besoins? Quels sont les torts qui ont été causés et qui doit en assumer la responsabilité?

Les raisons pour lesquelles les personnes choisissent de participer à un processus de médiation sont multiples. Plusieurs victimes ont besoin d'obtenir des réponses à leurs questions. D'autres ont besoin d'exprimer à l'auteur du délit l'impact du geste dans leur vie. Certaines veulent s'assurer que le délinquant comprenne toutes les conséquences de ses actes et qu'il se reconnaisse responsable du tort qu'il leur a causé. Les délinquants qui s'engagent dans un tel processus ont l'occasion de prendre la responsabilité de leurs actes, de reconnaitre les torts qu'ils ont causés, d'entendre directement de la victime ou de ses proches les conséquences de leur comportement. Le processus de justice réparatrice n'a pas pour objectif d'obtenir le pardon de la victime. Bien que cela puisse se produire dans certains cas, le pardon n'est pas abordé avec les participants si ces derniers n'en formulent pas le souhait au cours de l'étape de l'évaluation ou de la préparation. Le pardon n'est pas pour autant un concept qui est évacué : cette notion peut être abordée, à la discrétion des participants. Le pardon, souvent associé à tort à la justice réparatrice, ne constitue donc en rien une condition pour qu'une démarche de médiation puisse s'actualiser. Le pardon revêt un caractère très personnel et revêt différentes significations pour chacun; par conséquent, il n'est pas nécessaire à la véritable interaction entre les parties.

Le processus de justice réparatrice n'a pas pour objectif d'obtenir le pardon de la victime. Bien que cela puisse se produire dans certains cas, le pardon n'est pas abordé avec les participants si ces derniers n'en formulent pas le souhait.

Le processus de médiation s'inscrit dans une démarche organisée, structurée, qui met l'emphase sur le consentement des victimes et des délinquants, leur sécurité (physique et psychologique) de même qu'une préparation intensive de chacun. Ce processus n'est pas prescrit dans le temps ou soumis à une limite de temps : la démarche de médiation doit débuter lorsque le délinquant est sous mandat fédéral, qu'il soit en établissement ou en communauté. Ce processus est distinct du processus de gestion de la peine. En ce sens, il n'a pas pour but d'influer sur la peine d'un délinquant ou d'une décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

À partir du moment où une demande est acheminée à l'unité de justice réparatrice, les agents de l'unité se préoccupent d'y répondre en veillant à ce que les parties soient informées comme il se doit. Par la suite, c'est au médiateur que sera confiée la tâche d'évaluer la pertinence et la motivation des parties à se rencontrer ou à établir une communication. Plusieurs rencontres peuvent être nécessaires pour procéder à cette évaluation et elles doivent permettre d'assurer que les conditions minimales sont présentes pour poursuivre la démarche. Ces conditions minimales sont essentiellement l'assurance que les objectifs sont constructifs et positifs et ne menacent aucunement la sécurité des personnes.

Lorsqu'une demande émane de la victime, le médiateur rencontrera cette dernière, afin d'entendre sa demande et les motivations qui l'amènent à faire une démarche avec le délinquant. La victime est ainsi amenée à faire part de ses préoccupations, ses craintes, ses espoirs. Dans plusieurs cas, les objectifs de la victime sont clairs; pour d'autres, le médiateur les aidera à les préciser. Le médiateur s'assurera également que la personne est en mesure d'entreprendre une démarche en toute sécurité; c'est pourquoi la question du réseau de soutien de la personne est considérée. À la lumière des échanges avec le médiateur, il arrive que des victimes décident finalement de ne pas poursuivre la démarche, parce qu'elles réalisent que ce n'est pas le bon moment ou que le processus ne correspond pas à leurs attentes, par exemple. Il est aussi possible, à cette étape, que le médiateur évalue que la démarche ne soit pas indiquée, pour des raisons de sécurité ou d'objectifs irréalistes.

Lorsque la victime décide de continuer le processus, en accord avec le médiateur, il s'agira alors de convenir avec elle du message qu'elle souhaite que le médiateur livre au délinquant, afin que ce dernier saisisse bien la demande de la victime et accepte d'y participer.

Dans ce cas, le médiateur rencontrera le délinquant et lui présentera la demande de la victime. Il pourra ainsi déterminer l'intérêt de ce dernier et ses dispositions personnelles d'entreprendre ou non la démarche. Dans le cas où la réception du délinquant est positive et que le médiateur évalue qu'il soit possible de poursuivre la démarche, il communiquera la décision à la victime.

Dès lors, des rencontres individuelles avec la victime et le délinquant seront entreprises et permettront à chacun d'identifier les éléments importants qu'ils souhaitent aborder avec l'autre. Chacun est emmené à approfondir et explorer les éléments de leur histoire qui pourraient être abordés et qui pourraient avoir un impact dans leur communication à l'autre et dans leur vie personnelle. Ces rencontres peuvent être nombreuses et s'échelonner sur plusieurs mois. Il y a tellement d'éléments qui peuvent influencer sur la démarche qu'il est difficile d'établir une moyenne de temps mais on peut dire sans se tromper que la démarche entreprise par l'une ou l'autre des parties demande plusieurs mois et une bonne préparation.

Il existe plusieurs formes de communication ou d'échange entre les victimes et les délinquants. Nous pensons souvent à la rencontre en face à face, mais il existe également d'autres moyens pouvant servir d'interaction entre les deux, par exemple, la vidéo, une communication écrite ou par enregistrement audio. Dans le cas où une rencontre en face à face est prévue, le médiateur doit fournir un cadre de discussion sécuritaire et confidentiel; si les rencontres ont lieu en établissement, le médiateur aura pris soin que la victime se soit approprié les lieux avant le début de la médiation. Le pénitencier n'étant pas un lieu connu habituellement des victimes, une attention particulière est portée à la connaissance du lieu pour favoriser la meilleure disposition de la victime, dans les circonstances. Ces rencontres de médiation peuvent durer plusieurs heures; le médiateur est toujours présent et demeure en soutien.

Un moment de « débriefing » est prévu tout de suite après la rencontre, avec chacun. Quelque temps après, des rencontres individuelles ont lieu avec la victime et le délinquant. C'est l'occasion pour eux d'évaluer les répercussions de la rencontre sur eux, de vérifier leurs perceptions et de réexaminer de nouvelles impressions ou d'anciennes inquiétudes. C'est également le moment pour eux d'évaluer s'ils ont atteint leur objectif.

Il importe de faire des distinctions selon la provenance des demandes qui seront acheminées à l'unité de justice réparatrice. Il faut savoir qu'un détenu ne peut présenter une demande de médiation lui-même. Sa demande doit être appuyée par au moins un membre du personnel correctionnel, qui verra à acheminer celle-ci à l'unité de justice réparatrice. Dans ce cas, le médiateur portera une attention particulière sur les objectifs du délinquant dans la démarche qu'il souhaite entreprendre envers la victime, ou la famille de la victime. Plusieurs rencontres ont habituellement lieu avec le délinquant avant de décider si nous poursuivrons les démarches. Les mêmes critères quant à la sécurité et aux objectifs constructifs s'appliquent ici aussi.

Dans l'éventualité où la demande du délinquant est jugée positive et constructive, les communications avec la victime prennent ici une forme particulière. Le médiateur ne peut entrer directement en communication avec la victime. Certaines victimes ne sont pas inscrites au SCC; il nous est alors impossible d'avoir quelque information que ce soit à leur sujet. Il serait inapproprié de les contacter directement, sans connaître leur réalité, leur parcours depuis le crime. Que la victime soit enregistrée ou non au SCC, le médiateur doit entrer en contact avec un tiers qui est en lien avec la victime. Le tiers (il peut s'agir de l'agent des services aux victimes du SCC, de l'enquêteur au dossier, du procureur) doit bien comprendre la démarche afin de transmettre les renseignements à la victime, afin que cette dernière accepte d'entrer en contact avec le médiateur. La victime n'ayant pas initié la démarche, cela demande une sensibilité et une approche empreinte de respect et d'écoute de la part du tiers et du médiateur.

Les raisons pour lesquelles une personne choisit de participer au processus de médiation sont multiples, comme nous l'avons vu précédemment. Certaines personnes décident d'y participer après des mois ou des années de réflexion. Il s'agit d'un processus exigeant, qui ne convient pas à toutes les victimes ni à tous les délinquants. Mais pour ceux et celles qui se posent des questions à ce sujet, qui y trouvent là un espoir d'un rétablissement, une opportunité de dire ce qu'elles ont fait et/ou ont vécu, le Programme Possibilités de justice réparatrice prend tout son sens. Il appartient à tous les intervenants qui gravitent autour d'eux, de ne pas fermer la porte et d'avoir l'esprit ouvert à entendre la souffrance et le besoin de chacun.

Pour plus de renseignements sur la Justice réparatrice au sein du SCC, nous vous invitons à consulter le site Web : www.csc-scc.gc.ca/justice-repa... ou communiquer avec l'unité de la Justice réparatrice par courriel à l'adresse suivante : justicereparatrice@csc-scc.gc.ca.