Revue Porte Ouverte

Une approche différente : la justice réparatrice / restaurative

Par Catherine Rossi,
Professeure, programme de Criminologie, École de service social, Université Laval

Des rencontres détenus-victimes à Victoriaville et à Trois-Rivières : À propos d'une expérience pluridisciplinaire inédite

Au printemps 2015, une initiative de justice réparatrice bien particulière a pris place dans la ville de Victoriaville au Québec. L'organisme Unis-Vers-Elle, Centre d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (membre du regroupement québécois des CALACS) a démarché le Centre de services de justice réparatrice (CSJR) de Montréal afin d'obtenir une formation. En juillet 2015, ce même organisme s'entourait de partenaires ad hoc, puis tentait de procéder à l'organisation, à compter de l'automne 2015, de premières rencontres détenus-victimes dans la région de Trois-Rivières (sous la responsabilité du CSJR). Ces offres de services visaient particulièrement des victimes et des auteurs d'agression sexuelle ou d'inceste.

Les rencontres détenus-victimes (ou RDV) sont des rencontres en milieu carcéral ou en communauté, à l'étape post-sentenciam, de 3 à 5 détenus ou ex-détenus, ainsi que de 3 à 5 victimes. Toutes ces personnes ont été victimes ou auteurs d'un crime apparenté et ne sont pas liées les unes aux autres par un même événement. Un groupe de parole est ainsi créé, supervisé par deux animateurs et flanqué de deux membres bénévoles de la communauté. Ce programme est décliné en plusieurs versions, qui s'adaptent sans cesse aux demandes des usagers ou encore aux contraintes géographiques et régionales : ainsi, il n'est pas rare que soient organisées de simples « face-à-face » réunissant un seul détenu ou ex-détenu, une seule personne victime ainsi qu'un seul membre de la communauté.

Ces services n'ont pas été créés pour promouvoir une nouvelle manière de traiter ou guérir, ou pour lancer la mode d'une nouvelle approche d'intervention. Ces programmes n'ont même jamais eu la prétention de « réparer » des crimes que l'on qualifie souvent d'irréparables. Par ailleurs, le fait que les animateurs et le service ne soient en aucun cas rémunérés en dit long : jamais un tel programme n'a prétendu se développer sur une base mercantile. Ce bénévolat n'offre cependant pas le moindre compromis concernant la préparation, l'encadrement, la protection et le suivi des participants : le programme répond désormais à des exigences strictes et empiriquement fondées, parfaitement encadrées. Même si le tout reste bénévole, chaque détail, chaque étape est animée, dirigée et encadrée en tout temps, et en tous points, par des professionnels.

Le CALACS de Victoriaville a manifesté un intérêt à développer des activités de justice réparatrice.
Ce programme existe car les victimes et les détenus réclament le droit de pouvoir s'exprimer, de pouvoir connaître et contrôler les faits relatifs à leur propre histoire, le droit de poser des questions et d'obtenir de vraies réponses. Ce programme existe aussi parce qu'il se trouve particulièrement adapté aux laissés pour compte de la justice : ceux dont les agresseurs sont introuvables ou n'ont jamais été dénoncés, ceux dont le crime remonte à si loin que la preuve matérielle des faits n'existe plus; ceux dont les victimes ont disparu ou dont l'entourage s'est dématérialisé, ou dont les chances de réinsertion sont compromises.

Si elle n'est toujours pas soutenue officiellement au Québec, la pratique des RDV a, depuis longtemps, franchi les frontières de la ville de Montréal et des établissements fédéraux qui l'entourent. Dans la région de Granby en Estrie, un partenariat fort riche s'est développé avec plusieurs organismes communautaires de la région où le service est désormais disponible. C'est néanmoins à la France que l'on doit les plus fulgurants développements en la matière (voir le texte de Robert Cario en p. 21), puisque grâce à une initiative conjointe de l'Institut Nationale d'Aide aux Victimes et de Médiation (INAVEM) et de l'Institut Français pour la Justice Restaurative (IFJR) et sur la base des enseignements des pratiques québécoises (ceux du CSJR, inventeur et concepteur des RDV, comme ceux du Regroupement des organismes de justice alternative du Québec ou ROJAQ, ingénieur de l'approche relationnelle sur laquelle s'appuie la pratique), les RDV feront désormais partie, en France, de l'éventail des services offerts gratuitement, et en tout temps, aux victimes : la pratique est en développement à l'heure actuelle et a été enchâssée officiellement dans le Code de procédure pénal français.

C'est donc à la fin du printemps 2015 que le CALACS de Victoriaville a manifesté un intérêt à développer des activités de justice réparatrice, sur la base de la demande d'une citoyenne, ancienne cliente du CALACS, et grâce au soutien d'une chargée de cours de l'Université de Montréal. L'équipe du CALACS a finalement décidé de faire appel au CSJR qui, de son gré, a pris contact avec la Maison Radisson de Trois-Rivières (qui offre un programme pour les délinquants sexuels). Une rencontre entre les responsables des trois organismes a eu lieu le 9 avril 2015. Cette rencontre était suivie, au mois de juillet suivant, d'une formation complète donnée par l'Université Laval et le CSJR à l'intention des intervenants du CALACS et de la Maison Radisson, tandis que s'y joignaient de nouveaux partenaires : bénévoles, citoyens, mais également une intervenante de l'organisme de justice alternative Aux trois pivots à Trois-Rivières, cette dernière étant également l'une des rares médiatrices accréditées du Québec pratiquant la médiation dans les cas de crimes graves pour le Service correctionnel du Canada (voir le texte d'Évelyne Leblanc en p.10). Un projet couvait encore… mais un partenariat était né.

Une telle initiative est admirable et mérite d'être soulignée pour deux raisons. La première : elle a été initiée par la seule force de volonté de quelques femmes, certaines ayant été victimisées sexuellement dans leur enfance. Ces femmes se sont regroupées autour d'un conseil d'administration et ont porté leur projet de déploiement d'un service de justice réparatrice au sein d'un centre d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, brisant une vieille tradition de résistance de la part de ces organismes. L'appel ainsi lancé n'est en aucun cas celui du militantisme, en aucun celui de la provocation : il est un appel à l'ouverture, à la collaboration et à la discussion, un appel au ralliement entre plusieurs organisations communautaires qui, jusqu'ici, travaillaient « en silo ». Ce sont bien des personnes victimes à qui l'on doit l'idée d'impliquer le CALACS dans l'expérience, et c'est bien au CSJR que l'on doit d'en porter la responsabilité. Mais le CALACS de Victoriaville a le mérite, plutôt que de s'en être dissocié, d'avoir offert sa collaboration à l'ouverture de l'offre de service : ce faisant, il promet, et garantit pour l'avenir, que la sécurité et le suivi des personnes victimes fait l'objet d'un suivi étroit et professionnel constant, et que la volonté réelle des victimes est respectée en tout temps. 

La seconde : une telle initiative respecte en tout point le sens véritable de l'existence des RDV, créés pour être une offre de service qui nécessite une réappropriation du programme par des organismes professionnels et une permanente collaboration entre partenaires aux spécialités différentes. Dans l'exemple de Victoriaville/Trois-Rivières, il revient au CALACS le soin de découvrir auxquelles de ses victimes un tel service serait profitable, puis il lui revient de les orienter et de les soutenir. À la maison de transition revient le soin de découvrir qui, de ses ex-détenus, pourra participer à un tel programme, et d'en effectuer le suivi. Aux médiateurs pénaux ou animateurs responsables incombent la garantie de la qualité du service fourni, celle de la préparation des participants et celle de leur accompagnement dans le processus. Le CSJR quant à lui, reste responsable, de la première à la dernière étape, de la formation et de la sécurité de tous : il garantit la qualité du service offert et des règles éthiques intraitables qui le gouvernent, ainsi que le respect de ses normes et fondements.

Si les suites de cette première expérience sont encore incertaines, il n'en reste pas moins que l'historique de collaboration, lui, est réel et très effectif à ce jour. Il a réuni autour d'une même table, depuis l'été 2015, la collaboration entièrement bénévole de directrices, directeurs et coordonnateurs d'organismes (CALACS, maison de transition, organisme de justice alternative, CSJR), d'intervenants et de travailleurs sociaux, de médiateurs pénaux pour le Service correctionnel du Canada, de professeurs d'université, chargés de cours et étudiants, mais aussi de citoyens et citoyennes (ex-détenus ou ex-victimes), aux missions et obédiences différentes et provenant de tout le territoire. Ces personnes travaillent désormais ensemble afin de permettre un meilleur accès à la Justice. Parions que cette initiative, qui marche dans les pas de celle créée en Estrie auparavant, n'est pas la dernière, et qu'elle augure de la force de rayonnement du courant de la justice réparatrice et des racines profondes qu'elle possède au Québec. Parions enfin qu'elle saura démontrer que la justice réparatrice, si elle ne doit jamais prendre toute la place, parviendra pour autant à trouver sa place dans le réseau de l'aide aux victimes au Québec.


Références

1 Pour une description complète de ce programme, voir Rossi, C. (2012a), Le modèle québécois des rencontres détenusvictimes. Les Cahiers de la Justice, Dalloz, 2012-2, pp. 107-126. Pour une description du rôle des membres de la communauté, autrefois appelés «représentants de la communauté», voir également Rossi, C. (2012b), Les rencontres agresseurs-victimes dans le cas de crimes graves au Québec, dans Cario, R., (Dir.), Les rencontres détenus-victimes, L'humanité retrouvée, (166p.), L'Harmattan, coll. Controverses. 

2 Voir Rossi (2012a) et Rossi (2012b), op. cit. note 1

3 http://www.csjr.org/

4 http://www.inavem.org/

5 http://www.justicerestaurative...

6 http://www.csjr.org/

7 http://www.rojaq.qc.ca/

8 Art. 10.1 CPP, en ligne : http://www.legifrance.gouv.fr/...