Revue Porte Ouverte

Une approche différente : la justice réparatrice / restaurative

Par David Henry,
Coordonnateur aux programmes et aux communications, ASRSQ

Sortir du cercle de la victimisation

Le Centre de services de justice réparatrice (CSJR) organise depuis plus d'une douzaine d'années des Rencontres Détenus-Victimes (inceste ou autres crimes), en milieu carcéral ou communautaire, dans la grande région de Montréal et depuis peu dans d'autres régions du Québec. Les RDV réunissent des personnes ayant commis et subi des crimes apparentés, ainsi que des membres de la communauté. Ces derniers représentent la société qui peut être à la fois victime et complice du crime. Les rencontres peuvent se dérouler en groupes (environ 10 personnes) durant sept semaines ou en face-à-face de manière plus ponctuelle (sur trois semaines). Elles sont encadrées, de manière bénévole, par deux animateurs, homme et femme, sélectionnés pour leurs qualités humaines et professionnelles. Pour y participer, il suffit de contacter le secrétariat du CSJR au 514-933-3737 | csjr@csjr.org. Annie a participé aux RDV de groupe et individuelles et a accepté de nous faire part de son expérience.

Pourquoi avez-vous voulu participer aux RDV?

En premier lieu c'était pour me confronter à moi-même, à l'ampleur de ce que j'ai vécu. C'était aussi pour m'ouvrir à l'autre, pour comprendre, pour constater un cheminement possible. Il y avait aussi un côté intuitif : je ne savais pas exactement ce que j'allais chercher mais je sentais que c'était bon pour moi de vivre cette rencontre. Le délit m'a provoqué beaucoup de blocages. Mon milieu familial est très fermé et ils me font sentir comme si c'était moi la fautive. C'était important de trouver quelqu'un à qui je pouvais dire ce que j'ai vécu. Les RDV étaient une porte où je pouvais aller témoigner en toute sécurité autant ma tristesse que ma colère. J'ai compris dans mon cheminement que trop d'émotions finissent par te pénaliser toi-même. Les RDV étaient une façon de cheminer, de retrouver mon pouvoir et ce, par la communication. Ça m'a apaisé et ça m'a fait beaucoup de bien d'entendre certaines choses…

Quelle a été la préparation nécessaire avant les rencontres?

J'avais un suivi avec un psychothérapeute. J'ai préparé avec elle ce que je voulais dire lors du face-à-face. Pour moi, c'était comme si je parlais aux membres de ma famille qui m'ont mis à l'écart quand je leur ai avoué que j'avais été victime d'inceste. Pour moi, c'était comme si je parlais à mon agresseur.

Il y avait aussi une forme de soulagement de pouvoir dire ce que j'ai vécu sans colère et sans agressivité mais de le dire formellement dans tout mon moi.

Il y a eu toute une réflexion amorcée bien avant mon suivi psychologique. En premier lieu, j'ai dû comprendre et accepter ce qui m'était arrivé. J'ai rencontré énormément de personnes qui m'ont aidé à me débloquer. Avec le CSJR, j'ai d'abord fait des rencontres de groupe avant de faire un face-à-face. J'ai toujours été suivie et bien accompagnée dans ces différentes démarches. Il y a un moment dans notre cheminement pour entreprendre ces démarches, il est important d'attendre d'être prêt et de ne pas les précipiter. Il faut réaliser des prises de conscience et réussir à se réapproprier du pouvoir.

Comment vous êtes-vous sentie pendant le face-à-face?

Autant il y avait un côté de moi qui avait peur, autant comme je connaissais l'équipe je me sentais en confiance. Je me sentais ouverte envers l'autre et moi-même. Ébranlée, mais surtout heureuse de vivre ce moment. Ça m'a fait du bien de pouvoir dire certaines choses à l'autre qui n'étaient pas réglées pour moi. Il y avait aussi une forme de soulagement de pouvoir dire ce que j'ai vécu sans colère et sans agressivité mais de le dire formellement dans tout mon moi. J'étais sereine, ça m'a libéré de pouvoir en parler car je l'avais emmagasiné trop longtemps, j'étais fière de moi.

J'étais aussi très touché par « l'agresseur ». Il y a des termes que je n'aime pas utiliser : même s'il a été agresseur à un moment dans sa vie, pour moi il y a aussi la notion de souffrance de l'humain. Je ne peux pas juste le définir par rapport à son délit mais je vois l'humain qui est en arrière et la souffrance qui l'accompagne. Je me suis rendu compte qu'eux-mêmes avaient de graves blessures et qu'ils avaient aussi été eux-mêmes victimes d'agressions dans leur vie. Je ne banalise pas du tout l'acte mais ça me permet d'avoir une meilleure compréhension de la situation globale. J'y ai gagné une maturité dans la compréhension du délit.

Quelles sont les différences entre une rencontre de groupe et une rencontre individuelle?

Dans le cas des rencontres de groupe, on va les rencontrer dans leur milieu d'incarcération, donc le lieu est déjà assez stressant. De plus, on rencontre plusieurs détenus et même si tu es accompagné par d'autres personnes, on a tous vécu notre délit différemment et on est tous rendus à un stade différent dans notre cheminement. Je me suis rendu compte à ce moment-là d'éléments différents de manipulation qui peuvent exister entre la victime et l'agresseur. Le groupe m'a apporté énormément de choses auxquelles je n'aurais jamais pensé personnellement juste par le fait d'entendre les autres histoires, de constater leurs blessures et leurs cheminements.

Avec le recul, est-ce que vous pensez avoir atteint vos objectifs?

Personnellement, avec ma situation familiale compliquée, je dirais que j'ai atteint beaucoup d'objectifs mais il me reste certaines étapes. J'aimerais faire le face-à-face directement avec ma vraie famille, avec mon véritable agresseur. Mais ma famille n'est pas prête à cela pour le moment… Dans mon cheminement de réparation pour moi-même, y compris dans ma demande d'aide auprès de l'IVAC, les RDV m'ont redonné du pouvoir et permis d'avoir une reconnaissance. Je n'aurais pas autant cheminé dans ma vie personnelle sans ces deux démarches en justice réparatrice. J'ai décidé de faire en sorte que cet événement qui a apporté beaucoup de destruction dans ma vie soit un levier. Je suis allé chercher beaucoup de force à l'intérieur de moi, ça a été extrêmement guérisseur. J'ai été libérée d'un poids énorme. J'ai aussi appris à refaire confiance.

Selon vous, qu'est-ce que la justice réparatrice?

Je crois que c'est une excellente démarche pour tout ce qui se passe sur la planète. On est habitué au « œil pour œil, dent pour dent ». On est habitué de dire que tous ceux qui commettent des actes criminels sont des crétins ou des monstres. Cette forme de justice permet d'aller au-delà de ces préjugés : quand on est touché émotivement par l'autre, on peut s'ouvrir et tenter de comprendre. Je pense qu'il est peut-être temps qu'on apprenne à faire les choses autrement. Pour moi, la justice réparatrice permet de se réparer à l'intérieur de soi, permet l'opportunité d'aller témoigner et aussi d'écouter l'autre. Je pense aussi que ça peut faire avancer, aider l'autre, à prendre conscience combien le geste qu'il a posé à détruit une partie de ma vie et moi maintenant, j'ai le devoir envers moi-même de me rétablir.

Est-ce que c'est pour tout le monde la justice réparatrice?

Je pense que oui. Mais en même temps, est-ce que tout le monde est rendu là, est prêt à cette ouverture ? Chacun fait son propre cheminement. La colère peut durer pendant des années mais je pense que la justice réparatrice peut être pour tout le monde.

Comment avez-vous entendu parler de la justice réparatrice?

J'ai été aidé par le Mouvement contre le viol et l'inceste et même si eux ne connaissaient pas beaucoup la justice réparatrice, ils m'ont parlé du Centre de services de justice réparatrice. J'ai téléphoné et je me suis inscrite. Il y a beaucoup d'étapes donc il y a un temps de préparation qui peut être plus ou moins long.

Est-ce qu'il y a un moment où vous vous êtes sentie menacée?

Je me suis senti bien encadré par les deux animateurs qui nous accompagnaient, et ce même dans les rencontres de groupe qui avaient lieu en pénitencier. Le pénitencier est en soi un lieu intimidant mais ça n'a aucun rapport avec la démarche de justice réparatrice.

On entend souvent des critiques de la justice réparatrice comme quoi cela revictimise la personne. Qu'en pensez-vous?

Je peux comprendre cette peur mais pour moi, pour sortir de ma victimisation, j'ai dû justement me confronter à ce que j'avais vécu pour reprendre du pouvoir, il est nécessaire de replonger dans cette blessure. Ça parait fou, mais si je ne fais pas ça je reste dans un cercle de victimisation. C'est sûr que c'est demandant, pendant presque deux ans de ma vie j'ai été accaparée par cette démarche mais je trouve qu'il y a aussi un danger de la part de certains thérapeutes quand ils veulent « fermer le couvercle sur la marmite ». La vraie démarche, c'est de retourner au cœur du bobo : je reprends mon pouvoir en pouvant nommer mes peurs. Pour moi, c'est important d'encourager les gens qui veulent entreprendre une démarche qu'on soit victime ou agresseur. C'est une démarche difficile mais la peur ne doit pas être un facteur décisif. Je souhaite aussi que les différents professionnels s'informent plus des programmes et des initiatives qui existent en justice réparatrice.