Revue Porte Ouverte

Une approche différente : la justice réparatrice / restaurative

Par Anne Bouchard,
Intervenante Aux trois pivots

et Serge Chabonneau,
Directeur du ROJAQ

Les travaux communautaires et les travaux bénévoles : fondements, évolutions, expérimentations et questionnements

Les organismes de justice alternative du Québec ont eu pour première mission de superviser la mesure de travaux communautaires au sein du système de droit pour les mineurs. Encore aujourd'hui, c'est la mesure qui occupe 60 % des activités de nos organisations. Cette situation illustre l'importance de ces activités au sein du système de justice pénale pour adolescents. Au cours des dernières années, la mesure de travaux communautaires a été l'objet de plusieurs examens, de recherches et de commentaires. Pour l'essentiel, les auteurs de ces examens soulèvent son manque d'homogénéité et les nombreux objectifs qui lui sont associés. En somme, si elle avait été pensée comme mesure de réparation, elle est aujourd'hui utilisée comme punition ou comme mesure éducative. Cette situation a conduit notre réseau à revoir son utilisation et les pratiques qui lui sont associées.

En 2009, débutent les discussions et les réflexions à travers divers sous-comités. Le fruit de ce travail fut partagé aux membres du Regroupement des organismes de justice alternative du Québec (ROJAQ) lors de l'assemblée générale annuelle en 2010. Ainsi, malgré quelques révisions des pratiques en matière de travaux communautaires et travaux bénévoles, des pratiques différentes d'un organisme de justice alternative à l'autre furent constatées ainsi que des divergences entre les objectifs et les activités. Les bases pour un renouveau des pratiques étaient alors jetées.

Quatre chantiers de travail se mettent en place par la suite :

  • Un premier chantier étant en lien avec l'élaboration d'un inventaire des documents produits depuis la mise en œuvre de la LJC et de la LSJPA.
  • Un second chantier permettant de faire un état de la situation des organismes d'accueil et de proposer un plan d'action pour le recrutement et la fidélisation.
  • Un troisième chantier permettant de faire un état de situation sur l'intervention auprès des adolescents et proposer un plan d'action pour améliorer nos pratiques. Ce qui fut également effectué pour l'intervention auprès des parents.
  • Un dernier chantier ayant pour objectif d'offrir une formation aux membres du ROJAQ dans le but de s'approprier ce changement de pratiques, de même que pour les partenaires du secteur des Centres jeunesse et juridiques.

État de situation

À la suite des lectures des différents textes de référence, le comité de travail réalise qu'il y a une méconnaissance des documents et de leurs contenus, qu'il y a une incohérence entre les énoncés des documents et la pratique. Les nombreuses lectures et discussions qui ont suivi ont amené le comité à proposer et actualiser des changements. Ces changements visent essentiellement à favoriser et maintenir la collaboration auprès des organismes de la communauté, à obtenir une meilleure adhésion de l'adolescent et une meilleure compréhension du sens de la mesure. Or, dans le but de comprendre les motifs justifiant un certain désengagement auprès des organismes d'accueil, le ROJAQ a procédé à la mise en place d'une enquête effectuée auprès de 313 organismes d'accueil provenant de neuf régions du Québec. De ce nombre, 148 ont répondu au sondage. Ce questionnaire voulait connaître la satisfaction des superviseurs qui accueillent des adolescents pour effectuer des travaux communautaires. Les résultats ont permis de faire ressortir quelques pistes de réflexion intéressantes pour la poursuite des travaux.

Ainsi :

  • 96 % des organismes ont une opinion favorable sur la pertinence de la mesure de travaux communautaires.
  • 80 % disent que le principal avantage d'une mesure de travaux communautaires pour un adolescent est la responsabilisation, et 60% des répondants affirment que c'est également l'opportunité de réparer les torts causés.
  • 50 % affirment que la mesure de travaux communautaires n'est pas adaptée à tous les adolescents.
  • 46 % estiment que recevoir les adolescents en travaux communautaires est lié à la mission de leur organisation.
  • Un autre groupe de 36 % des répondants acceptent de les recevoir afin de jouer un rôle dans l'application du système de justice pénale pour les mineurs.

Ce sondage met en lumière que les adolescents manquent d'assiduité ou de motivation; que les principales attentes des répondants à l'endroit des adolescents sont la ponctualité et l'assiduité; que les principales difficultés rencontrées avec les adolescents sont les absences et la nonchalance. Ainsi, les résultats du questionnaire ont permis de constater que les adolescents ne sont pas suffisamment préparés avant de se présenter dans un organisme; qu'ils perçoivent cette mesure comme une peine et sont peu motivés à la compléter, puisqu'ils ont de la difficulté à comprendre le sens de la réparation.

Validation des changements de pratiques

À partir d'expérimentations, le changement de pratiques s'est inspiré de l'approche relationnelle, reposant sur la relation entre l'intervenant, l'adolescent, ses parents et la communauté. L'adolescent, les parents et la communauté deviennent ainsi des acteurs importants à la réussite de la mesure. De plus, dans un souci de cohérence face à ce changement de pratiques, un changement de terminologie s'est imposé. On remarque qu'il est nécessaire d'adopter un nouveau langage. C'est davantage l'adolescent qui prend l'initiative de mettre en place sa démarche de réparation communautaire avec le soutien des autres acteurs. Il est amené à faire des liens entre les torts qu'il a causés et la réparation qu'il fera dans la communauté. C'est avec l'adolescent et ses parents que la réflexion se fait et que la démarche de réparation se construit, ce qui favorise l'adhésion et l'engagement de l'adolescent. Par exemple, lors de la rencontre préparatoire avec le jeune, l'intervenant explore avec lui et ses parents ses expériences, ses passions, sans oublier le lien qu'il fait entre les torts qu'il a causés par son délit et la réparation dans un organisme partenaire. Par la suite, l'intervenant de l'organisme de justice alternative accompagne l'adolescent dans le milieu où il fera ses travaux, et c'est le jeune qui prendra la parole afin de présenter sa démarche et le nombre d'heures qu'il doit faire. Les ententes sont convenues entre les parties respectives.

Jusqu'à maintenant, les accompagnateurs des ressources qui ont vécu la nouvelle approche semblent agréablement surpris d'entendre la proposition venant de l'adolescent. Nous observons que le contact entre l'adolescent et l'accompagnateur favorise la création d'un meilleur lien. Les parents de l'adolescent jouent également un rôle important dans le soutien de leur enfant à la mise en place de cette démarche de réparation. Ils démontrent une certaine fierté de voir leur enfant initier cette démarche.

Conclusion

Les travaux du comité provincial ont permis une cure de rajeunissement aux mesures de travaux communautaires et de travaux bénévoles. Le travail se poursuit afin de peaufiner la nouvelle approche. Nous souhaitons que celle-ci, soit pour l'ensemble des intervenants, une source de motivation et d'inspiration pour qu'ensemble, les ressources partenaires, les adolescents, leurs parents et les collaborateurs retrouvent la place qui leur revient. 

Les mesures de travaux communautaires ont fait l'objet de critiques importantes depuis plusieurs années, la critique la plus courante étant de la qualifier de mesure « fourre-tout ». Devant ces constats, il y avait lieu de revoir ses fondements, sa forme et ses logiques. Fort d'un travail de plus de cinq ans, notre réseau entame maintenant la mise en place de pratiques fort différentes, cherchant à mettre l'objectif de réparation au centre de ces actions, à inscrire cette mesure dans la perspective de la justice réparatrice. Ces changements s'accompagneront de modalités d'évaluation systématique qui seront en mesure de nous fournir des informations quant à notre réussite : avons-nous redonné un sens à cette mesure?


Bibliographie

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