Revue Porte Ouverte

Approches alternatives

Par Valérie Descroisselles-Savoie,
B. Sc. Psychologie

De la prison à la communauté : art & art-thérapie auprès des femmes judiciarisées

Valérie Descroisselles-Savoie est étudiante à la maîtrise en art-thérapie à l’Université Concordia. Depuis 2002, elle œuvre à la Société Elizabeth Fry du Québec auprès des femmes qui ont des démêlés avec la justice en maison de transition et en milieu carcéral. Elle est également responsable des ateliers de créativité offerts à la Maison Thérèse-Casgrain depuis 2005.

Les oeuvres présentées dans cet article ont été faites par les participantes dans le cadre du programme d'art thérapie.

Depuis quelques années, il m’est donné de constater à quel point l’art et l’art-thérapie peuvent s’avérer bénéfiques pour les femmes qui doivent faire face à la justice. Comme le propose Bruce Moon (1995), pionnier en art-thérapie aux États-Unis, l’acte de la création artistique représente une forme d’engagement à l’égard de soi et d’autrui et nourrit une volonté de s’ouvrir au monde afin de mieux le comprendre. Il va sans dire qu’une approche utilisant l’art, de par ce qu’elle suscite directement et indirectement, s’intègre bien à un processus de réhabilitation sociale. Dans le présent article, nous verrons comment certains éléments de l’art et de l’art-thérapie peuvent être liés à ce processus; ces éléments peuvent en effet stimuler le contact avec soi et avec son potentiel, encourager une participation active et une responsabilisation et agir à titre de repère et de pont vers la communauté, pour ne nommer que ces avantages.

Art-thérapie

Depuis quelques décennies, l’art-thérapie connaît un essor important tant à l’échelle nationale qu’internationale et elle témoigne déjà d’une diversité dans son propre champ de pratique. Malgré cela, cette discipline des sciences humaines est encore méconnue et c’est pourquoi il semble pertinent d’effectuer un survol de ses postulats. Telle que définie par l’Association des art-thérapeutes du Québec (AATQ, 2008), l’art-thérapie est une approche thérapeutique « qui étend le champ de la psychothérapie en y englobant l’expression et la réflexion tant picturale que verbale ». À l’intérieur d’un cadre spécifique et en relation avec un thérapeute qualifié dans ce domaine qui sert de témoin et de guide, la création d’une œuvre artistique est essentielle et généralement accompagnée d’une discussion. C’est ainsi que l’engagement à un processus créatif sert d’assise à une exploration personnelle dans le but de promouvoir un bien-être physique, émotionnel et intellectuel. Il va sans dire que l’intégration de la production artistique à une démarche thérapeutique peut s’avérer nécessaire pour certains clients, particulièrement dans un contexte où l’expression verbale est limitée, que ce soit pour des raisons physiques ou autres. Quoi qu’il en soit, l’art-thérapie ne requiert aucune habileté artistique. Elle peut être d’un grand soutien lorsqu’il est question d’aborder une pluralité de difficultés et de problèmes cliniques ou même dans le cadre d’un cheminement personnel. Cette approche thérapeutique est par ailleurs reconnue comme étant bénéfique auprès de divers groupes d’âge et milieux (par exemple : hôpitaux, centres communautaires, établissements scolaires). En milieu carcéral, la majorité des études impliquant l’art-thérapie sont consacrées à une clientèle masculine. Toutefois, celles qui concernent les femmes paraissent déjà concluantes.

L’art-thérapie peut être d’un grand soutien lorsqu’il est question d’aborder une pluralité de difficultés et de problèmes cliniques ou même dans le cadre d’un cheminement personnel.

Art-thérapie & femmes incarcérées

Merriam (1998) rapporte comment l’art-thérapie a permis à des femmes incarcérées à la prison de Kingston au Canada et affectées par des traumas sévères, d’exprimer des émotions qui étaient jusqu’alors impossibles à nommer verbalement. L’auteure affirme que cette modalité est particulièrement avantageuse dans ce milieu, compte tenu de la relation de pouvoir que l’établissement exerce et qui génère de la méfiance chez les femmes incarcérées. En tant qu’art-thérapeute, Merriam adopte une approche centrée sur le client et cherche à promouvoir à la fois la liberté et le contrôle dans la manipulation du matériel d’art. Les principaux buts thérapeutiques fixés pendant les suivis présentés sont les suivants : (1) offrir une structure pour l’expression de la colère, (2) diminuer l’isolement, (3) explorer les sources de l’anxiété, (4) offrir une assistance dans la gestion de la détresse psychologique. L’auteure précise que les images ont permis l’expression d’émotions qui auraient pu être destructives, telles que la colère. Elle observe que l’art-thérapie possède la capacité de promouvoir l’autonomie, l’initiative et la compréhension de soi, sans obliger les femmes incarcérées à s’exposer au-delà de leurs capacités : « [the] focus on images makes art-therapy distinct from verbal therapy and perhaps safer in that it seems less intrusive for some women… who cannot or do not wish to verbalize their personal circumstances » (Merriam, 1998, p. 158). Cela est similaire à ce qui est rapporté par Delshadian (2003), art-thérapeute à la prison pour femmes Holloway en Europe. En effet, cette auteure observe que l’art-thérapie constitue une modalité appropriée pour les femmes qui éprouvent des difficultés sur le plan de l’agir plutôt que sur celui de la pensée et qui, par conséquent, répondent mieux à une modalité non verbale. Également, Ferszt, Hayes, DeFedele et Horn (2004) mentionnent à quel point la manipulation du matériel d’art peut nourrir le sentiment de compétence et mener à la découverte d’habiletés personnelles jusqu’alors inconnues.

Levy (1978) a développé un programme d’art-thérapie dans un établissement carcéral pour femmes de l’État du Kentucky aux États-Unis. Les principaux objectifs qu’elle préconise sont l’atteinte (1) d’une indépendance jumelée à une implication dans le groupe et (2) d’un équilibre entre l’évasion et la reconnaissance de la réalité quotidienne en prison. Elle soulève aussi qu’il est nécessaire de faire preuve de prudence et de s’abstenir de vouloir bousculer des changements car cela pourrait mettre les participantes à risque dans ce milieu. Elle mentionne que le placement sous isolement et les comportements offensifs ont diminué de façon importante dans le milieu parallèlement à l’intervention. Finalement, Cronin (1994) remarque que l’art-thérapie possède le pouvoir d’encourager la prise de décision et l’action, tout en étant appropriée à l’intervention de crise vu sa capacité à contenir la peur et l’anxiété chez les personnes. Selon elle, l’art-thérapie serait également avantageuse de par son aptitude à faciliter l’exploration des expériences personnelles en lien avec l’incarcération ainsi que l’offense qui y a mené.

Les services d’art-thérapie à la Maison Tanguay

Au Québec, Bénédicte Deschamps (2001) offre des services d’art-thérapie depuis près de 10 ans aux femmes incarcérées à la Maison Tanguay, un établissement de détention provincial situé à Montréal. Elle a notamment été à même de constater qu’à travers les ateliers d’expression par l’art, « un espace voué à l’emprisonnement peut s’ouvrir sur un espace de liberté et [que] les femmes incarcérées peuvent développer un sentiment de pouvoir personnel à même un lieu où elles sont assujetties à l’autorité » (p. 106). Son éloquent rapport de recherche de maîtrise, également publié sous la forme d’un article pour la revue Porte ouverte en 2004, nous offre un modèle de compréhension explicitant les contributions d’une telle approche qui se veut sensible à la condition particulière de l’incarcération ainsi qu’aux besoins et à l’expérience personnelle des femmes incarcérées. Lors des séances proposées par l’art-thérapeute, qu’elles soient individuelles ou de groupe, les participantes sont invitées à développer une création, avant de prendre part à un partage au sujet de ce qu’elle évoque. Bien entendu, ces séances prennent place dans un cadre bien défini, où la notion d’espace sécuritaire est mise à l’avant-plan et tributaire du maintien du respect et de la confidentialité. Parallèlement, l’accueil et l’empathie sont valorisés de sorte à faciliter et encourager une expression authentique. Dans ces conditions, Deschamps observe que l’expression par l’art comporte un « côté ludique » et offre une « grande liberté d’action », ce qui incite les femmes à contacter leur « potentiel », une « capacité d’autonomie » et un « sentiment de pouvoir personnel » malgré le contexte de l’incarcération.

Dans le cadre de ma formation en art-thérapie, j’ai eu l’occasion d’effectuer un stage à la Maison Tanguay. Comme plusieurs auteures, j’ai constaté à quel point l’art-thérapie représente une ressource inestimable dans ce milieu, de par sa capacité à stimuler un engagement concret et authentique : « ici, j’peux enlever mon masque… j’pas obligée de jouer une game ». Pour plusieurs femmes, il semble que cet espace particulier permet de pallier momentanément un sentiment d’impuissance, afin d’en arriver à (1) contacter certaines émotions difficiles et se risquer à les exprimer, (2) prendre du recul et faire le point sur sa situation, (3) se recentrer sur ses besoins et objectifs. Ces aspects semblent essentiels, particulièrement lors d’une éventuelle remise en liberté.

Les ateliers de créativité à la Maison Thérèse-Casgrain

La Maison Thérèse-Casgrain est un centre résidentiel communautaire (CRC) de la Société Elizabeth Fry du Québec situé à Montréal et destiné aux femmes ayant des démêlés avec la justice. Grâce à un don de la Fondation Solstice, les ateliers de créativité y sont offerts depuis 2005 afin d’apporter un soutien supplémentaire à ces femmes.

Lors de ces ateliers hebdomadaires, un espace voué à la création artistique visuelle est mis à la disposition des femmes et adapté en fonction de leurs intérêts et besoins spécifiques. D’une part, les participantes ont l’occasion de découvrir et de se familiariser avec une multitude de techniques et matériaux : peinture à l’aquarelle et acrylique, sculpture d’argile (à base de plâtre et sur bois), dessin, collage, confections à partir de morceaux de tissus, assemblages divers, techniques d’artisanat, etc. D’autre part, les participantes ont la latitude de définir elles-mêmes les paramètres de leur participation. Elles sont donc encouragées à s’investir dans l’activité de leur choix et à actualiser certains objectifs qu’elles se fixent sur une période qu’elles sont à même de déterminer. Ainsi, elles ont l’occasion d’élaborer, à leur propre rythme, leur démarche personnelle, tout en bénéficiant de l’accompagnement nécessaire. Alors que certaines n’y sont que pour une rencontre, d’autres ont l’occasion d’y développer des projets à plus long terme.

Il convient par ailleurs de rappeler que le passage à la liberté comporte sa part de défis et conduit fréquemment à une réflexion importante sur le passé, le présent et le futur. À partir de mes observations et de témoignages des participantes, il semble que la création artistique peut soutenir l’exploration, l’expression et le partage des diverses « réalités intérieures » qui sont associées à cette transition : « l’atelier me ramène à des parties de moi que j’avais oubliées ». Comme nous l’avons vu, l’acte de créer, que ce soit de façon spontanée ou planifiée, est un engagement qui implique tous les sens, qui incite à être présent à l’égard de soi-même et qui sait traduire ou éveiller diverses sensations, perceptions, pensées et émotions. D’un autre côté, le fait pour les participantes d’être amenées à traverser les étapes du processus créatif, du chaos à la forme, requiert une certaine flexibilité de leur part. Il arrive par exemple que ce processus ne se déroule pas comme prévu et c’est leur détermination à mener à terme un projet qui leur tient à cœur qui les pousse à développer de nouvelles attitudes et réponses qui peuvent certainement être généralisées à d’autres situations. Dans le cadre de l’atelier, il s’agit donc de se donner le droit d’essayer et de risquer et du même coup de s’ouvrir à ses capacités et à son potentiel. Nombreuses sont les participantes qui se montrent surprises à l’égard de ce qu’elles sont capables d’accomplir et qui retrouvent un sentiment de fierté. Le groupe paraît également jouer un rôle clé, où les valeurs d’appartenance, de reconnaissance, de collaboration et d’encouragement sont favorisées.

Quoi qu’il en soit, l’intégration de l’art sur une base régulière semble agir à titre de repère et encourager la constance au quotidien. Plusieurs participantes vont même jusqu’à poursuivre cette activité de manière autonome entre les rencontres. Elles affirment en effet bénéficier du plaisir et de la détente que cela procure. Aussi, ce type d’activité est une occasion de plus, pour les mères, d’entrer en relation avec leurs enfants dans un climat agréable. Au quotidien, le processus de création peut également devenir une façon constructive de faire face aux moments plus difficiles, en aidant à contrer l’envie de consommer, l’ennui, le découragement, etc. Conséquemment, les créations deviennent les témoins concrets des efforts déployés pour « s’en sortir » et les participantes sont parfois invitées à présenter leur travail lors d’expositions. Ce pont précieux parmi tant d’autres vers la communauté peut constituer pour elles une occasion de partager leurs histoires et talents et de découvrir de nouvelles façons de se définir socialement.

Merci aux femmes qui ont accepté de partager leur travail.


Association des art-thérapeutes du Québec (2008). À propos de l’art-thérapie. Récupéré de http://aatq.org/fr/arttherapy....

CRONIN, P. (1994). Ways of working: Art therapy with women in Holloway Prison. In M. Liebmann (Ed.), Art therapy with offenders (pp. 102-120). Bristol, PA: Jessica Kingsley Publishers.

DELSHADIAN, S. (2003). Playing with fire: Art therapy in a prison setting. Psychoanalytic Psychotherapy, 1, 68-84.

DESCHAMPS, B. (2004). L’art-thérapie, une porte vers un espace de liberté pour les femmes qui sont incarcérées. Porte Ouverte, 15(4), 16-18

DESCHAMPS, B. (2001). L'art-thérapie, une porte vers un espace sacré pour les femmes qui sont incarcérées. Rapport de recherche, Université Concordia, Montréal, Québec, Canada.

FERSZT, G. G., HAYES, P. M., DEFEDELE, S. & HORN, L. (2004). Art therapy with incarcerated women who have experienced the death of a loved one. Art Therapy: Journal of the American Art Therapy Association, 21(4), 191-199.

LEVY, B. (1978). Art therapy in a women’s correctional facility. Art Psychotherapy, 5, 157-166.

MERRIAM, B. (1998). To find a voice: Art therapy in a Women’s prison. Women & Therapy, 21, 157-171.

MOON, B. (1995). Existential art therapy: The canvas mirror. Springfield, IL: Charles C. Thomas.

Société Elizabeth Fry du Québec (2008). Le passage à la liberté. Récupéré de http://www.elizabethfry.qc.ca