La Dauphinelle est une maison d’hébergement qui existe depuis 25 ans, née de la volonté de citoyens ayant réalisé qu’il n’existait aucune ressource pour les victimes de violence conjugale et/ou en difficulté dans leur quartier. Organisme sans but lucratif, La Dauphinelle a ouvert ses portes en 1982 et a accueilli depuis plus de 5400 femmes et enfants. Les femmes peuvent y séjourner huit semaines et paient une pension symbolique de 5$ par jour, pour elles et leurs enfants.
Les services de base y sont offerts : logement, nourriture, accès à l’hygiène, de même que des services psychosociaux, un accompagnement à l’aide juridique et à la cour, à la mise en route du revenu – la priorité, puisque la majorité des femmes arrive sans revenu – l’assistance à la recherche de logement, une halte-répit pour les mères ainsi que des services à l’enfance : les femmes ne sont pas les seules victimes de la violence conjugale... La Dauphinelle offre aussi un service post-hébergement et assure, pour les femmes qui le désirent, un suivi dans la communauté.
Travailler dans la crise
Lorsqu’il est question de victimes de violence conjugale, « on travaille dans la crise, sur des sujets qui sont très douloureux : les relations amoureuses, l’estime de soi. C’est une réalité plate et dure », souligne Sabrina Lemeltier, directrice de l’organisme depuis 2006. C’est ce qui fait qu’elles – la maison n’emploie que des femmes - ont décidé d’approcher le sujet d’une manière moins conventionnelle, en mettant l’accent sur l’art. « Les arts sont venus par les enfants. Ce n’est pas facile d’aborder des sujets aussi difficiles avec eux alors on s’est dit qu’on allait essayer d’utiliser différents médias. On a introduit des artistes, et ça a tout de suite donné des résultats extraordinaires : des dessins qui exprimaient la douleur, le désespoir, une réalité qu’un enfant ne peut exprimer avec des mots. On a même accédé à de l’information que nous ignorions grâce à cette approche. On s’est dit que ça pourrait être intéressant d’utiliser la même approche avec les femmes, puisque certaines n’arrivent pas à parler ou ont du mal à aborder certains sujets. C’est moins menaçant de le faire à travers l’art ».
À mon avis, il importe de leur donner un visage et je ne peux pas montrer le leur. Je peux par contre montrer ce qu’elles sont à travers leurs oeuvres.
Au fil du temps, les intervenantes ont commencé à développer certaines activités : prendre une marche - ce qui impliquait quitter la maison et la sécurité qu’elle représente - puis des séances de yoga, et finalement organiser la venue d’artistes ou profiter de la créativité des intervenantes afin d’offrir divers ateliers : peinture, photographie, collage, etc. Si les ateliers ne sont pas obligatoires, ils sont toutefois fortement recommandés et font partie intégrante du séjour. Par exemple, des ateliers de photographie ont été offerts par un couple, Miki Gingras et Patrick Dionne, ce qui a eu comme effet supplémentaire de réintroduire l’image masculine de manière positive. « On a travaillé avec deux photographes qui avaient une vision sociale dans leur approche artistique. Ils ont fait une série d’ateliers qui ont été significatifs, et qui vont déboucher sur une exposition lors du spectacle de danse qui est prévu en février dans le cadre du projet La danse contre la violence ». Il est aussi question d’éventuellement travailler avec une écrivaine pour produire des textes accompagnant les photographies, de façon à produire un livre.
La danse contre la violence
À l’automne 2008, La Dauphinelle a appris qu’une compagnie de danse de New York dirigée par Gina Gibney avait développé des ateliers de danse auprès de femmes victimes de violence. Cette dernière travaille depuis 10 ans dans des maisons d’hébergement ayant la même vocation que La Dauphinelle et a adapté la danse contemporaine au monde de la violence, au corps, au respect et aux interactions positives. La Dauphinelle ayant démontré un fort intérêt pour le projet, plusieurs rencontres entre les partenaires ont permis d’en construire un qui soit adapté aux réalités montréalaises. Un financement de la Ville de Montréal a été obtenu pour trois ans et des danseuses de Montréal Danse ont été formées par la troupe états-unienne. La série d’ateliers a débuté en janvier 2010; le 25 février, une soirée de lancement présentera un spectacle de Gina Gibney à l’Agora de la danse de Montréal.
Les femmes participeront à quatre ateliers donnés sur quatre semaines. « On ne veut pas du tout faire de la thérapie. Ce qu’on veut, c’est leur offrir un moment de bien-être ponctuel. Ça peut paraître infime, mais pour ces femmes-là, être bien avec leur corps pendant 45 minutes, c’est énorme. Pour certaines, ce seront les premiers contacts positifs avec leur corps. On veut leur permettre de ré-exister ». Les ateliers auront lieu à La Dauphinelle, de façon à ce que les ateliers soient accessibles aux résidentes, et que ces dernières se sentent en sécurité. Une grille d’analyse a été conçue afin d’évaluer le projet et d’en mesurer les impacts, et les commentaires des participantes et des danseuses seront recueillis.
Une des retombées attendues consiste à faire parler de La Dauphinelle, de ses résidentes et de la violence conjugale, sans toutefois adopter un discours alarmiste, misérabiliste ou dénonciateur. Mais surtout, « on veut que les femmes aient du plaisir et que leur corps ne soit plus qu’un objet de douleur. De plus, une intervenante est toujours présente aux ateliers. Ça peut avoir l’air fou, mais faire une chorégraphie avec une femme permet de tisser un lien de confiance autrement que par la parole ». Finalement, le projet permet l’accès à un art généralement considéré comme élitiste. « Ce projet dit aux femmes qu’elles aussi ont le droit d’aller voir un spectacle à l’Agora de la danse et permet l’accès à la culture pour une clientèle souvent défavorisée ». À New York, il est arrivé que des femmes se mêlent aux danseuses sur scène, dans l’anonymat. Qui sait, l’expérience se répétera peut-être ici aussi?
L’art pour l’art
L’approche de La Dauphinelle est unique parmi ce genre de maisons d’hébergement, et La danse contre la violence fait figure de projet innovateur. Par contre, la directrice rêve d’exporter le modèle qui soulève beaucoup d’intérêt, notamment celui d’un organisme travaillant auprès de toxicomanes ayant récemment démontré un intérêt à mettre sur pied quelque chose de similaire.
Elle insiste sur le fait qu’aucun des ateliers ne vise la thérapie. « Quand elles sont ici, elles sont en crise. Il faut les apaiser d’abord, baisser la crise, accueillir. Personne parmi les employées – même si elles ont parfois des formations en ce sens – ne se positionne en thérapeute. Nous sommes très concrètes : un toit, à manger, la sécurité. Par contre, on peut leur montrer qu’elles peuvent être bien avec leur corps de façon à ce qu’elles puissent continuer une fois à l’extérieur ». Par contre, même si la notion de soins est absente, l’art permet de s’exprimer et de rendre tangibles des êtres qu’on ne peut révéler autrement. « Ces enfants et ces femmes sont invisibles. Quand elles viennent ici, les mots d’ordre sont confidentialité, sécurité et anonymat. Souvent, les femmes sont invisibles dans leurs difficultés : elles vont continuer à bien s’habiller, à être fonctionnelles. Elles vont arriver à dissimuler la violence pendant de nombreuses années avant de demander de l’aide. À mon avis, il importe de leur donner un visage et je ne peux pas montrer le leur. Je peux par contre montrer ce qu’elles sont à travers leurs œuvres. Il faut que le monde ait conscience qu’elles existent, et que leurs enfants existent ».
Pour plus d’information sur La Dauphinelle, consultez leur site internet.
Le spectacle-bénéfice du 25 février aura lieu à l’Agora de la danse et sera précédé d’un vin d’honneur. Les billets sont en vente au coût de 50 $.