Revue Porte Ouverte

Approches alternatives

Par Jennifer Cartwright,
Coordonnatrice, ASRSQ

Gober des pilules

Le public doit se rendre à l’évidence : la médecine est une industrie. 
- P. Hansen, Ethical Strategies Limited1.

Selon un article paru récemment dans le Toronto Sun2, les soins de santé prodigués dans les pénitenciers - incluant les traitements, la méthadone et les médicaments - ont coûté 150 millions en 2008. Ce montant représente 2,4 fois la moyenne des dépenses de la population canadienne générale et une augmentation de 18 millions par rapport à l’année précédente. Quelques mois plus tôt, d’autres articles publiés dans La Presse3 faisaient état de dépenses moyennes en médicaments de l’ordre de 1900$ par détenu fédéral, comparativement à 735 $ pour les autres Canadiens. Il était aussi fait mention d’une augmentation de 50 % des dépenses liées aux médicaments dans les prisons québécoises entre 2002 et 2008.

Dans ce monde où tout va souvent très vite, gober des pilules semble être devenu la solution à tous les problèmes de santé, de stress, d’insomnie. Les médecins prescrivent abondamment des médicaments que les pharmaciens s’empressent de nous vendre et personne ne remet en question l’augmentation de notre consommation de médicaments… ni la hausse des prix de ces derniers. Le livre de J.-Claude St-Onge, L’envers de la pilule: les dessous de l’industrie pharmaceutique, remet les choses en perspective en rappelant que les multinationales du médicament (et leurs actionnaires) cherchent elles aussi la maximisation de leurs revenus. Les profi ts engrangés par l’industrie pharmaceutique - à lui seul, Pfizer a atteint un chiffre d’affaires de 32 milliards de dollars en 2001 - ont été tels au cours des années 90 que même le Congrès américain les ont dénoncés.

Ce qui est plus inquiétant encore, c’est que la part du budget destinée à la recherche et développement sert davantage à accélérer la commercialisation des médicaments qu’à prouver leur effi cacité… et leur innocuité. Selon M. St-Onge, une étude américaine publiée en 1998 dans le Journal of the American Medical Association révèle que « 106 000 citoyens américains seraient morts après avoir consommé des médicaments dans des conditions normales, c’est-à-dire en suivant les conseils d’utilisation à la lettre. […] C’est presque deux fois plus de victimes qu’en a fait la guerre du Viêt-Nam du côté américain4 ».

Heureusement, les dernières décennies ont vu l’émergence de diverses approches alternatives au Québec. Ainsi, le Centre Dollard-Cormier a introduit l’acupuncture, vieille de 6000 ans, dans le traitement de la toxicomanie. La Société Elizabeth Fry du Québec innove avec son programme Agir par l’imaginaire qui offre la possibilité aux femmes incarcérées de s’exprimer à travers des arts comme la photo, la vidéo et le chant. L’Institut Pinel offre maintenant des programmes de zoothérapie. Et cetera. Si ces programmes donnent souvent des résultats impressionnants, nombreux sont les sceptiques, peut-être entre autres parce que très peu d’argent est investi dans la recherche, faisant en sorte que leur effi cacité peut rarement être prouvée. Les nombreux préjugés entourant les approches alternatives, souvent considérées comme « granos » ou ésotériques, y sont aussi pour quelque chose.

Malgré tout, certaines ouvertures voient le jour. Au Massachussetts Institute of Technology (MIT) des ateliers de méditation sont offerts au personnel et aux étudiants qui sont encouragés à s’y inscrire parce que cette technique, entre autres, « fait baisser la pression artérielle, augmente la concentration et la créativité, contribue de manière significative à diminuer l’anxiété et la dépression, améliore l’estime de soi, augmente le fonctionnement du système immunitaire et procure un sentiment de bienêtre ». Même son de cloche de la part de l’Institut de zoothérapie du Québec qui note, à la suite de l’utilisation d’animaux dans les établissements carcéraux « une amélioration de l’estime de soi du détenu et de ses relations personnelles avec les autres détenus, le personnel et la famille [ainsi qu’une] diminution de la violence et un besoin moindre de médication5 ». Ce qui peut nous amener à questionner la décision du SCC, en décembre dernier, de mettre fi n à un programme de dressage de chiens qui était offert à l’Établissement Nova pour femmes6.

En cette période où le vieillissement de la population et la privatisation du système de santé sont sur toutes les lèvres, il est peut-être temps de s’interroger sur la place qu’il serait possible de laisser à ces approches.

Et sans penser soigner un cancer généralisé avec des séances de méditation, il est peut-être temps de réaliser qu’il est souvent possible d’améliorer la qualité de vie des individus soignés avec des approches naturelles et humaines… tout en allégeant un peu le fardeau fiscal de nos communautés.


1 ST-ONGE, J.-claude. L’envers de la pilule: les dessous de l’industrie pharmaceutique, Montréal, Écosociété, 2004, p. 25.

2 HARRY, Kathleen. « sick inmates costly. Loss of needle-exchange programs behind rising prison care costs, access documents show », Toronto Sun, 17 décembre 2008.

3 LACOURSIÈRE, ariane. « la consommation de médicaments explose dans les pénitenciers », La Presse, 13 août 2008 et « prisonniers de la pharmacie», 18 juillet 2008.

4 ST-ONGE, J.-claude, op.cit., page 65.

5 Institut de zoothérapie du Québec, [En ligne] [www.institutdezootherapie.qc.ca/quebec/spip.php?article13] (Consulté le 11 septembre 2009).

6 Le programme Pawsite Direction montrait aux détenues à soigner et dresser des chiens provenant de refuges pour les remettre ensuite à des personnes handicapées.