Revue Porte Ouverte

Approches alternatives

Par Chloé Leclerc,
Candidate au doctorat en criminologie, Université de Montréal

L’insatisfaction du public à l’égard du système de justice

Depuis quelques années, on tente d’améliorer le système de justice en l’adaptant aux demandes du public, car on prend pour acquis qu’il est insatisfait de la clémence des tribunaux. Les sondages en matière d’opinion publique sont unanimes; près des deux tiers des gens considèrent que les sentences prononcées par les tribunaux ne sont pas assez sévères. Les réformateurs proposent de réagir, de resserrer le système de justice en punissant davantage. Mais que souhaite réellement le public? Qu’elles sont ses demandes en matière de justice?

Une manière de répondre à cette question est d’interroger les citoyens sur les sentences qu’ils souhaiteraient voir imposer. Si on demande à un échantillon du public québécois quelle sentence il souhaiterait imposer à un homme responsable d’un homicide conjugal, la réponse presque unanime est la prison à vie. Sachant cela, on pourrait être tenté de conclure que les tribunaux ne répondent pas à la demande pénale, puisque la prison à vie n’est pas systématiquement imposée à ce type de contrevenant. Or, lorsqu’on soumet un cas détaillé aux citoyens en leur présentant les faits qui entourent le délit (les circonstances, les motifs, la collaboration de l’accusé, etc.), leur opinion change. Ils se libèrent facilement de leurs stéréotypes initiaux (probablement influencés par les cas d’homicides conjugaux rapportés dans les médias) et leur recommandation de sentence s’adoucit : le public demande 10 ans de prison en moyenne et le quart vont même jusqu’à recommander cinq ans ou moins1. De façon générale, les sondages qui utilisent des cas simulés dans lesquels on présente beaucoup d’informations sur les évènements et les personnes impliquées dans le crime constatent que la demande et l’offre pénales se rejoignent plutôt bien et que finalement, seule une petite partie du public est extrêmement punitif (Leclerc et Boudreau, 2007 ; Kuhn, 2005).

Les mêmes résultats s’observent en ce qui a trait à l’opinion en matière de libération conditionnelle. Près de 60% des citoyens disent être insatisfaits de la clémence des commissions de libération conditionnelle, mais lorsqu’on leur soumet des cas simulés (inspirés de cas observés lors d’audiences) qui contiennent des détails sur le passé de l’individu, son séjour en prison et son plan de sortie, ils sont nombreux à octroyer une libération conditionnelle, et ce, malgré la présence de risques de récidive non négligeables2. Dans le premier cas qui leur avait été soumis, 82% des personnes interrogées ont choisi d’accorder la libération conditionnelle à un trafiquant de drogues dures (malgré un risque de récidive évalué à 40%) prenant ainsi une décision similaire à celle qui avait réellement été prise par les commissaires. Dans le second cas, qui implique un jeune accusé de vol qualifié et de vol de véhicule, 86% des citoyens ont choisi de lui accorder la libération conditionnelle, alors que les commissaires la lui avaient refusée principalement en raison de son manque de reconnaissance quant à sa responsabilité dans les actes posés (clairement explicite dans la présentation de la cause). Dans le dernier cas, 46% du public a accordé la libération conditionnelle à un homme responsable de violence conjugale (l’homme en était à sa huitième condamnation), alors que la décision officielle avait été le refus de la libération conditionnelle. Ce que l’on retient de cette étude, c’est que les citoyens ont une plus grande facilité à libérer les détenus que les commissaires, mais qu’ils ne le font pas nécessairement en toute clémence; ils imposent généralement un nombre important de conditions à la libération et ils sont nombreux à croire que l’octroi avec les conditions imposées est aussi sévère (36% des répondants), voire même plus sévère (13% des répondants) que le refus. Ils proposent ainsi des libérations conditionnelles que plusieurs commissaires jugeraient probablement irréalistes. 

Lorsqu’on soumet un cas détaillé aux citoyens en leur présentant les faits qui entourent le délit, ils se libèrent facilement de leurs stéréotypes initiaux et leur recommandation de sentence s’adoucit.

À la suite de la parution du livre d’Yves Thériault, Tout le monde dehors/enquête sur les libérations conditionnelles (2005), les libérations conditionnelles ont été pointées du doigt et on aurait pu croire que le public percevait les libérations anticipées comme des mesures extrêmement clémentes qui ne répondent pas à leurs attentes en matière de justice. En réalité, la plupart des personnes interrogées croient au bien-fondé de ce système; 92% pensent qu’il est plus juste d’avoir un système de libération conditionnelle que de ne pas en avoir et moins de 11% seraient d’accord avec son abolition. Par contre, les citoyens remettent plus facilement en cause la qualité de la surveillance actuelle des libérés conditionnels (59% trouvent qu’elle n’est pas adéquate) et le principe de la libération automatique au deux tiers (88% sont en désaccord), ou de la libération anticipée au sixième pour les détenus condamnés pour un délit non violent qui en sont à leur première condamnation (41% sont en désaccord).

Pourquoi les gens se disent-ils alors aussi insatisfaits du travail des tribunaux ou des commissaires de libération conditionnelle? Une partie de la réponse à cette question se trouve dans la formulation très générale de la question3 qui laisse place à beaucoup d’interprétation. On sait aujourd’hui que lorsqu’ils répondent à cette question, les gens se référent généralement aux cas décrits dans les médias qui sont souvent des cas très graves de crime contre la personne ou de crime à caractère sexuel, qui sont loin du travail général des tribunaux (Indermaur, 1997). Une fois de plus, lorsqu’on délaisse la formulation générale pour s’attarder à des cas précis et détaillés, on trouve des résultats assez différents. On constate que seuls 35% des répondants croient que les tribunaux auraient rendu une sentence moins sévère que la sentence qu’ils considèrent être minimalement acceptable dans chacun des trois cas présentés (le pourcentage d’insatisfaits chute presque de moitié) et on trouve que 11% des gens croient que les tribunaux auraient rendu une sentence plus sévère que la sentence maximale qu’ils seraient prêt à accepter (cinq fois plus de gens que lorsqu’on pose la question de manière générale). De plus, lorsqu’on a demandé à ces mêmes citoyens d’évaluer la qualité de trois décisions rendues par les tribunaux, 61% considéraient que la sentence était juste assez sévère et ce pourcentage augmentait à 74% lorsqu’il s’agissait d’un délit contre les biens plutôt qu’un délit contre la personne. De la même manière, les répondants qui ont choisi d’octroyer la libération croient majoritairement que les commissaires ont pris la même décision (dans une proportion de 88%) et qu’ils ont imposé des conditions aussi ou plus sévères que les leurs (dans une proportion de 68%). Lorsqu’ils refusent la libération conditionnelle, les répondants croient aussi très souvent que c’est la décision qu’a réellement prise la commission de libération conditionnelle (dans une proportion de 61%).

Les sondages qui prennent le temps de mettre le répondant en situation, qui s’efforcent de lui donner l’information dont il a besoin pour bien analyser la cause et qui lui demandent de prendre une décision plutôt que de donner son opinion trouvent des résultats assez différents des sondages traditionnels sur la justice. Ils découvrent que loin d’être animés par une soif irrationnelle de vengeance, les citoyens font plutôt preuve de parcimonie, de réflexion et qu’ils manifestent un important souci de justice qui peut se manifester par une importance accordée au principe de proportionnalité ou au principe de modération4. Cela ne veut pas dire que les citoyens sont toujours satisfaits des sentences rendues par les tribunaux, mais plutôt que leur insatisfaction est plus limitée qu’on le pense et qu’elle concerne surtout un champ restreint de crimes qui sont finalement assez peu fréquents. Avant d’orienter les politiques et d’apporter des changements législatifs pour répondre aux demandes du public, il serait important de prendre le temps de bien comprendre ce que souhaite le public en matière de justice.


1 Ce résultat et les résultats présentés dans ce texte proviennent d’une étude réalisée auprès de 200 citoyens montréalais sondés par la firme de sondage CROP en juin 2009 pour une recherche sur le souci de justice, menée par Pierre Tremblay et Chloé Leclerc, de l’École de criminologie de l’Université de Montréal.

2 Dans une étude (Tremblay et al. 2009), on constate que le risque « assumable » est d’environ 30 à 40 %. En deçà d’une probabilité de récidive de 40 %, les gens ont tendance à accorder la libération au détenu qui en fait la demande. En revanche, lorsque le risque de récidive passe le cap des 70 %, les taux de refus sont plus systématiques

3 Une autre partie de la réponse serait que le public sous-estime la sévérité des tribunaux (Roberts, 1995).

4 Un chapitre de thèse (Leclerc, 2009) compare la capacité des citoyens et des acteurs judiciaires à respecter ces deux principes importants de justice (la proportionnalité et la modération). On découvre que le public est tout aussi cohérent et proportionnel que les acteurs judicaires et que s’il est moins souvent modéré, il n’est pas nécessairement plus sévère. En effet, les recommandations de sentences du public se répartissent équitablement au dessus et en dessous des sentences considérées modérées par l’ensemble des acteurs judiciaires.


Références

INDERMAUR, D. (1987). « Public perception of sentencing in Perth, Western Australia », Australian and New Zealand Journal of Criminology, 20, p. 163–83.

KUHN, A., VILLETTAZ, P., & WILLI-JAYET, A. (2005). « L’influence de l’unité de sanction dans les peines infligées par les juges et celles désirées par le public », Déviance et société, XXIX (2), p. 221-230.

LECLERC, C. (2009). La métrique de la juste peine : une analyse des décisions de justice prises par les agents pénaux et le public. Montréal, thèse déposée à l’École de criminologie, Université de Montréal.

LECLERC, C. et BOUDREAU, S. (mai 2007). Les différences entre le public et les agents pénaux dans le choix d’une sentence et dans l’octroi des libérations conditionnelles. Actes du colloque « La peine, ça vaut la peine d’en parler », organisé par la Société de criminologie du Québec. En ligne :
http://www.societecrimino.qc.ca/actescongres/pdf/bloc_b_atelier_10ab.pdf.

ROBERTS, J. V. (1995). Inventaire des recherches effectuées au Canada sur les connaissances du public en matière de criminalité et de justice, Ottawa : ministère de la Justice du Canada.

TREMBLAY, P., LECLERC, C., & BOUDREAU, S. (à paraître en 2009). « Les risques assumables : récidive et libération conditionnelle », Criminologie, 42 (2).