Revue Porte Ouverte

Approches alternatives

Par Marianne Bargiel,
MA, MTA, Candidate au doctorat en psychologie et chargée de cours à l’Université du Québec à Trois-Rivières

et Linda Labbé,
MTA, Musicothérapeute à l’école secondaire Joseph-Charbonneau

Musicothérapie

Jusqu’à aujourd’hui, la musique s’est manifestée dans toutes les cultures connues. Elle est utilisée à différentes fins dans la vie familiale et sociale depuis l’aube de l’humanité. Son rôle dans la santé émotionnelle et physique a été intimement lié à la spiritualité pendant des millénaires. Mais c’est seulement au sortir de la Seconde Guerre mondiale, avec l’apparition du terme « musicothérapie », que sont apparus en Europe et en Amérique les premiers essais de compréhension sur l’impact de la musique en santé publique. La musicothérapie s’est implantée au Québec depuis le début des années 60 et maintenant des musicothérapeutes offrent des services dans différents milieux tels que les centres hospitaliers, le milieu scolaire, les centres de réadaptation, les centres de santé communautaires et la pratique privée.

Définition de la musicothérapie

Selon l’Association québécoise de musicothérapie (AQM, 2003), « la musicothérapie est un mode d’intervention qui utilise les composantes de la musique (rythme, mélodie, harmonie, style, etc.) afin d’améliorer ou de maintenir le bien-être physique et psychique de l’individu ». Toute personne, quelles que soient son âge, ses capacités physiques et mentales et son expérience musicale, peut profiter d’un suivi en musicothérapie. Il n’est pas nécessaire de connaître la musique ni de savoir jouer d’un instrument ou de chanter juste.

Le suivi en musicothérapie se structure autour d’une analyse approfondie des besoins de la personne. Il s’amorce donc obligatoirement par une évaluation initiale des forces et des besoins de la personne, de ses préférences et habitudes musicales, de ses aversions musicales même, afin d’établir un plan d’intervention et de proposer un suivi en individuel ou en groupe.

La musicothérapie est utilisée notamment en milieu carcéral auprès de personnes ayant des difficultés comportementales rattachées à des troubles psychotiques, bipolaires, sexuels ou d’abus/dépendance de substances ou à des troubles de la personnalité.

Les buts et les objectifs de la musicothérapie

L’évaluation initiale peut révéler des besoins dans une ou différentes sphères développementales de la personne au plan affectif, cognitif, social ou psychomoteur. C’est en fonction de ces besoins spécifiques que sont formulés les buts et objectifs. Par exemple, le musicothérapeute privilégie certaines composantes de la musique selon qu’il cherchera à consolider l’estime de soi, susciter l’expression de soi et la créativité, améliorer les capacités de conscience de soi, de communication et de socialisation, acquérir une plus grande autonomie, stimuler le développement cognitif, affirmer et renforcer l’identité personnelle, etc.

L’application clinique des techniques

Le choix des techniques dépend en partie de l’orientation théorique du musicothérapeute et du milieu (cognitivo-comportementale, psychodynamique, humaniste, systémique, etc.). En groupe comme en individuel, le musicothérapeute choisit les techniques en lien avec le plan d'intervention et selon les besoins immédiats et prioritaires de la personne.

Il n’y a pas de limite aux instruments qui peuvent être utilisés, ni aux styles musicaux. Ce n’est ni l’instrument ni le style qui est en soit thérapeutique; c’est la démarche, le processus, la façon d’utiliser les composantes de la musique. Si le client maîtrise déjà un instrument, celui-ci peut être intégré à la thérapie mais la performance musicale reste en tout temps secondaire à la visée thérapeutique.

Les contre-indications à la musicothérapie sont très rares, mais elles existent. C’est par l’évaluation initiale que le musicothérapeute peut les détecter et soit adapter son intervention en conséquence ou référer la personne à une autre modalité thérapeutique. La prudence est de mise en présence de certains types d’épilepsie et dans le cas où une personne dit ne pas aimer la musique - ce qui peut être un indice d’amusie, une condition neurologique selon laquelle certaines dimensions de la musique ne parviennent pas à être adéquatement décodées par le cerveau.

L'improvisation vocale et instrumentale 

L’improvisation vocale et instrumentale est sans aucun doute la technique la plus utilisée par les musicothérapeutes. Par ce biais, le musicothérapeute se sert de tous les éléments dynamiques des sons pour communiquer avec la personne qui (ré)apprend ainsi à exprimer spontanément ses émotions et à entrer en relation avec autrui. Pour la personne qui a des difficultés relationnelles, comportementales ou attentionnelles, c’est l’occasion de prendre conscience d’elle-même par la rétroaction immédiate que lui procure sa production sonore (ex. : frapper compulsivement sur un tambour), puis peu à peu d’explorer, à travers le jeu, différentes façons d’habiter son espace sonore et d’être en relation.

Le chant et la composition de chansons

Chaque séance de musicothérapie peut être encadrée par une chanson ou un rituel d'accueil et d'au revoir. Ces balises sécurisent et situent la personne dans le temps, délimitent l’espace thérapeutique, facilitent la transition dans l’horaire de sa journée et l’aident à mieux gérer sa frustration face au changement de lieu ou d’activité. Par exemple, si une personne arrive à la séance dans un état de surexcitation, la chanson pourra commencer à un tempo vif et énergique pour graduellement se stabiliser à un tempo plus modéré. La personne présentant des troubles du langage peut trouver dans les éléments de tempo, d’accentuation rythmique et de direction des intervalles mélodiques autant d’appuis et de repères pour améliorer son articulation, son débit vocal ainsi que le rythme et le contrôle de sa respiration.

Le mouvement expressif

La musique appelle spontanément le mouvement. Pour inviter à l’expression corporelle, le musicothérapeute utilise certaines des caractéristiques fondamentalement dynamiques de la musique : rythme, tempo, métrique, tensions-détentes mélodiques ou harmoniques, nuances, etc. Les activités rythmiques, qui peuvent être graduées de très simples à très complexes, permettent à la personne de se repérer dans le temps et de s’engager dans un échange selon ses propres habiletés. Elles compensent ainsi pour la complexité de certains modes de communication, comme le langage, qui peuvent lui être inaccessibles. Le corps parle par le rythme.

L'écoute de musique sélectionnée et l’imagerie sur musique

Enfin, des techniques réceptives sont aussi utilisées par le musicothérapeute. Par exemple, le partage des choix musicaux au sein d’un groupe peut permettre un travail important de dialogue entre pairs. Présenter au groupe une chanson ou une œuvre musicale significative au plan autobiographique suppose une divulgation de soi. Écouter ensemble une pièce musicale pour la commenter ensuite permet de construire, d’exprimer, de relativiser son opinion au contact de l’opinion et des goûts des autres. La musique peut aussi se prêter particulièrement bien à l’imagerie mentale, que ce soit pour soutenir une détente musculaire guidée ou pour faire émerger un matériel moins conscient qui pourra faire avancer la thérapie.

La musicothérapie et la réhabilitation sociale

La musicothérapie est utilisée notamment en milieu carcéral auprès de personnes ayant des difficultés comportementales rattachées à des troubles psychotiques, bipolaires, sexuels ou d’abus/dépendance de substances ou à des troubles de la personnalité. Les objectifs thérapeutiques ciblent le plus souvent le relâchement de la tension émotionnelle, l’orientation à la réalité, l’estime de soi, le contrôle de l’impulsivité ou les stratégies d’ajustement (Codding, 2002). Quand des dynamiques de déni, d’évitement de conflits ou de dérégulation émotionnelle résultent en agressivité, l’interaction entre la relation avec le thérapeute et l’activation émotionnelle et corporelle suscitée par la musique permet la prise de conscience des manifestations physiologiques de l’anxiété, l’expression des pensées et affects sous-jacents et leur régulation par la musique (Boone, 1991; Smeijsters et Cleven, 2006). Selon les niveaux d’habiletés sociales, d’organisation et d’autonomie des clients, la réhabilitation peut être soutenue par une variété de programmes musicothérapeutiques, allant du groupe d’écoute musicale à l’ensemble instrumental, en passant par la chorale ou le groupe d’improvisation rythmique (Reed, 2002). De plus, des programmes spécifiques de gestion de colère utilisent la relaxation par la musique, l’analyse de chansons ou l’improvisation aux percussions (Fulford, 2002; Hakvoort, 2002). L’improvisation en groupe se prête au développement de la motivation, du contrôle et de la cohésion sociale (Watson, 2002). Par exemple, les gros instruments de percussion (piano, batterie, djembés) sont utilisés pour explorer des variations d’intensité émotionnelle; la structure musicale, pour la délimitation des frontières (Cohen, 1987; Sloboda, 1997). De façon générale, l’amélioration des habiletés d’expression émotionnelle et d’introspection figurent parmi les principaux effets thérapeutiques documentés.

L’accréditation et la formation du musicothérapeute

Présentement la profession de musicothérapeute n’est pas encadrée par le gouvernement mais par l’Association de musicothérapie du Canada (AMC) qui octroie le titre de «musicothérapeute accrédité» (MTA) à ses membres qui ont complété leur internat. Au Québec, seule l’Université Concordia offre une formation de 2e cycle qui répond aux critères d’internat exigés par l’AMC. 
1 Cet article est une adaptation d’un texte paru en 2004 dans Défi -loisir : pour une véritable participation sociale des personnes handicapées ou en perte d’autonomie, sous la direction de Mireill Tremblay, Marc St-Onge et Guylaine Boucher.


Association québécoise de musicothérapie (2003). Association québécoise de musicothérapie. Dépliant promotionnel.

Association de musicothérapie du Canada : http://www.musictherapy.ca/fr/...
Boone, P. (1991). Composition, improvisation and poetry in the psychiatric treatment of a forensic patient. In K. E. Bruscia (Éd.), Case studies in music therapy (pp. 433-449). Gilsum, NH: Barcelona.

Codding, P. A. (2002). A comprehensive survey of music therapists practicing in correctional psychiatry: Demographics, conditions of employment, service provision, assessment, therapeutic objectives, and related values of the therapist. Music Therapy Perspectives, 20, 56-68.

Cohen, J. M. (1987). Music therapy with the over controlled offender: Theory and practice. The Arts in Psychotherapy, 14, 215-212.

Fulford, M. (2002). Overview of a music therapy program at a maximum security unit of a state psychiatric facility. Music Therapy Perspectives, 20(2), 112-116.

Hakvoort, L. (2002). A music therapy anger management program for forensic offenders. Music Therapy Perspectives, 20(2), 123-132.

Reed, K. J. (2002). Music therapy treatment groups for mentally disordered offenders (MDO) in a state hospital setting. Music Therapy Perspectives, 20(2), 98-104.

Sloboda, A. (1997). Music therapy and psychotic violence. In E. V. Welldon, & Velsen, C. van (Éds), A practical guide to forensic psychotherapy (pp. 121-129). London/Philadelphia: Jessica Kingsley.

Smeijsters, H., & Cleven, G. (2006). The treatment of aggression using arts therapies in forensic psychiatry: Results of a qualitative inquiry. The Arts in Psychotherapy, 33, 37-58.

Watson, D. M. (2002). Drumming and improvisation with adult male sexual offenders. Music Therapy Perspectives, 20, 105-111.