Revue Porte Ouverte

Approches alternatives

Par Marie-Claude Rioux,
Directrice générale, Association des juristes d’expression française de la Nouvelle-Écosse

La question des droits linguistiques pour les détenues francophones

La Loi sur les langues officielles a pour objet d'assurer le respect du français et de l'anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l'égalité des droits et des privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, d'appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et de favoriser la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais (c'est nous qui soulignons). L'article 41 (1) énonce l'engagement du gouvernement fédéral et de ses institutions dans ce champ d'application :

41(1) Le gouvernement fédéral s'engage à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu'à promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.

Toutes les institutions fédérales, y compris les services correctionnels, sont donc tenues de prendre des mesures positives dans le but de concevoir, de mesurer, d'améliorer et d'évaluer les programmes, les politiques et les priorités conformément à la Loi sur les langues officielles (c'est nous qui soulignons).

En dépit de ces avancées significatives et de ces garanties en matière de droits linguistiques, la Loi sur les langues officielles comporte certaines lacunes qu’il faudrait corriger.

Au final, les détenues francophones passent plus de temps en prison que leurs consoeurs anglophones, faute de bénéficier de services dans leur langue.

Des services en anglais seulement, ou un transfert.

Prenons pour exemple l’établissement Nova pour femmes, situé dans la région de Truro, en Nouvelle-Écosse. Il s’agit du seul établissement carcéral pour femmes en Atlantique, un territoire qui comprend plusieurs régions acadiennes à majorité francophone. Selon la Loi sur les langues officielles, cet établissement doit comprendre 5% de détenues francophones avant d’être tenu d’offrir des services en français. Au moment actuel, ce seuil n’est pas atteint.

Les conséquences sont loin d’être banales pour ces femmes. En effet, pour être admissibles à une semi-liberté après six mois passés à l’établissement ou six mois avant la libération conditionnelle totale, les détenues doivent achever les programmes de formation, d’intervention et de réinsertion requis. Or, ces programmes n’étant offerts qu’en anglais, les détenues francophones ne peuvent généralement se prévaloir de cette semi-liberté.

Par ailleurs, les demandes de sorties prévues dans le cadre du processus de réinsertion sociale graduelle qui sont formulées en français par une détenue sont acheminées au service de traduction, ce qui augmente d’autant le délai pour obtenir une permission et retarde ainsi la mise en œuvre du processus de réinsertion.

Les divers services offerts aux détenues comme les services d’aumônerie, de santé et de santé mentale ne prévoient aucun employé francophone. Il s’ensuit des situations totalement inappropriées. Une détenue francophone, pouvant à peine s’exprimer en anglais, nous a rapporté qu’elle avait dû agir comme traductrice pour une détenue qui ne comprenait pas du tout l’anglais lors d’une consultation médicale, violant ainsi le droit à la confidentialité de la patiente.

Enfin, on offre aux détenues francophones désirant un service en français d’être transférées à la prison de Joliette, située au Québec, à plus de 1100 km de l’établissement Nova. Ce faisant, le taux de détenues francophones à l’établissement Nova demeure inférieur à 5% et contribue à justifier l’absence de services en français de l’institution. Par ailleurs, les détenues de l’Atlantique transférées à la prison de Joliette sont éloignées de leur communauté, ce qui diminue les possibilités de sorties et retarde davantage le processus de réinsertion sociale. Au final, les détenues francophones passent plus de temps en prison que leurs consœurs anglophones, faute de bénéficier de services dans leur langue.

Remédier au problème

L’Association des juristes d’expression française de la Nouvelle-Écosse aimerait voir une augmentation des services en français pour les détenues de l’établissement Nova. À l’heure actuelle, seule une agente de libération conditionnelle est affectée dans un poste bilingue. En augmentant le nombre d’employées bilingues de cet établissement, et ce malgré le fait que le nombre de détenues francophones n’atteint pas le seuil prescrit de 5%, les détenues pourraient bénéficier d’un minimum de services en français, conformément aux mesures positives prévues par la Loi sur les langues officielles. Pour ce faire, l’Association des juristes d’expression française de la Nouvelle-Écosse déposera un mémoire au Comité sénatorial sur les langues officielles.

L'Association des juristes d'expression française de la Nouvelle-Écosse 

L'Association des juristes d'expression française de la Nouvelle-Écosse, créée en 1994, s'engage à promouvoir l'accessibilité des services juridiques en français à la population acadienne, francophone et francophile de la Nouvelle-Écosse. L’Association regroupe, entre autres, des juges, des avocats, des professeurs, des traducteurs et des étudiants. Pour en savoir davantage sur l’Association des juristes d’expression française de la Nouvelle-Écosse, veuillez consulter le www.ajefne.ns.ca