Revue Porte Ouverte

Approches alternatives

Par Jean-Marc Péladeau,
M.A. art-thérapeute (ATPQ)

et Pierre Plante,
Ph.D. psychologue et art-thérapeute (ATPQ), professeur au département de psychologie l’Université du Québec à Montréal

Studio libre en milieu carcéral : description d’un atelier d’art-thérapie auprès d’un groupe d’hommes

Introduction

L’art-thérapie se pratique au Québec depuis plus d’une cinquantaine d’années. À ce sujet, avec ses programmes de formation universitaire, de niveau maîtrise, elle fait figure de proue au plan canadien. Nous pouvons regrouper la pratique de l’art-thérapie selon trois grandes classes : la psychothérapie individuelle, l’intervention auprès de groupes fermés (ayant bien souvent une thématique et un programme bien déterminés) et les groupes ouverts, communément appelés les « studios libres ». Le présent article abordera particulièrement cette dernière, en s’appuyant sur le travail réalisé par l’art-thérapeute Jean-Marc Péladeau au centre de détention provincial de Sherbrooke. Ainsi, nous offrirons une définition assez large de ce qu’est l’art-thérapie pour ensuite décrire les grandes lignes d’une approche dite du studio libre. Par la suite, en appuyant notre propos sur de nombreux témoignages de participants, nous présenterons les effets bénéfiques tels que perçus auprès de cette clientèle.

Qu’est-ce que l’art-thérapie?

Selon la définition que propose l’Association des art-thérapeutes du Québec (AATQ), l’art-thérapie puise ses fondements à l’art et à la psychologie. Elle englobe l’expression et la réflexion tant picturale que verbale. Si le client aborde le même type de problèmes psychologiques que dans une thérapie verbale conventionnelle, il s’engage cependant dans un processus qui repose sur l’expression artistique et la création d’images à des fins thérapeutiques. La production d’images est primordiale en art-thérapie, elles servent d’outil de communication privilégiée entre le client et l’art-thérapeute. Une fois l’image réalisée, l’art-thérapeute accueille les verbalisations du client et propose des interprétations susceptibles de favoriser les prises de conscience permettant la résolution des difficultés psychologiques et les conflits présentés par le client. De par sa formation, l’art-thérapeute est en mesure de procéder à l’évaluation du fonctionnement psychologique du client et de proposer des interventions et des traitements art-thérapeutiques adaptés à la problématique présentée par le client. 

Les paramètres bien spécifiques de l’approche du studio libre en art-thérapie
Le studio libre est bien souvent cet espace ouvert pendant plusieurs heures où des participants peuvent s’ajouter au fur et à mesure. Un lieu qui favorise un sentiment de liberté, d’autonomie et de responsabilité, car chacun gère son temps, le thème du projet réalisé, le matériel utilisé, mais aussi l’espace et l’ouverture de parole qu’il souhaite partager avec l’intervenant et les autres participants. Un tel cadre non directif nécessite de l’art-thérapeute une bonne connaissance du matériel artistique offert ainsi qu'une capacité à créer un cadre invitant où le dialogue (tant de manière verbale que par les créations) sera accueilli avec respect. L’art-thérapeute n’intervient qu’à la demande du participant, il ne favorise pas « l’installation d’un cadre transférentiel, mais jouera plutôt le rôle de cette personne bienveillante qui accueille l’autre et lui offre la possibilité d’accomplir un geste d’expression sans craindre le jugement».

Studio libre et les exigences du milieu carcéral : description du cadre
Jean-Marc Péladeau offre des ateliers d’art-thérapie au centre de détention provincial de Sherbrooke depuis octobre 2005. Ces rencontres, d’une durée de deux heures, reviennent régulièrement chaque deux semaines. L’atelier est offert à une clientèle du secteur de l’hébergement, une clientèle sous protection qui regroupe surtout des personnes présentant la pédophilie comme problématique. Étant donné que le déplacement de participants demeure une situation complexe, les ateliers sont offerts sur place, à l’intérieur du parloir de l’établissement. Bien qu’une vingtaine de détenus fréquentent cet espace, qui demeure ouvert pour les activités habituelles, l’activité d’art-thérapie accueille, en moyenne, huit participants par atelier. De manière à rendre l’atelier sécuritaire, autant pour les participants que pour le personnel de l’établissement, tout matériel d’art qui pourrait être jugé dangereux a été éliminé. En accord avec les intervenants du milieu, l’aquarelle est le médium offert aux participants. En plus du matériel d’art, Jean-Marc Péladeau, avec l’aide de plusieurs monographies d’artistes, invite les participants à s’intéresser aux œuvres de peintres de différentes tendances et époques. S’intéresser à l’art, c’est aussi s’intéresser à l’être humain dans ce qu’il fait de beau et de permanent. Cette ouverture à s’émouvoir par les créations est une manière d’être en relation à l’autre (création ou individu) qui est favorable à l’empathie. Pour exister, paraphrasant ici le philosophe Maurice Nédoncelle, une création, un individu, a besoin du regard contemplatif de l’autre sans quoi il n’est que matière inerte. Ces différentes activités offertes pendant l’atelier d’art-thérapie invitent les participants à se laisser toucher par l’autre, à prendre conscience de leur impact dans la relation, de saisir le bien et le mal qu’ils peuvent engendrer.

Les bienfaits du studio libre auprès de cette clientèle

Tenant compte de l’espace dans lequel les rencontres d’art-thérapie s’effectuent, un milieu sous surveillance par des caméras et sous le regard d’autres détenus qui ne participent pas à l’atelier comme tel, donc un milieu qui serait a priori peu favorable à l’ouverture sur l’intimité, il est intéressant d’identifier qu’au contraire ces ateliers procurent plusieurs bienfaits. De manière générale, appuyée par les commentaires des surveillants d’ailleurs, il y règne pendant les deux heures que dure l’activité d’art-thérapie une atmosphère apaisante. L’atelier devient ce moment de répit où les participants (et même ceux qui ne participent pas) partagent le plaisir de réaliser ensemble cette activité, de causer sur ce qu’ils réalisent comme projets, des sujets (maisons, bateaux, etc.,) qui rejoignent leur histoire personnelle, dans certains cas leurs préoccupations ou encore leurs passions.

L’expression de soi, par l’art, est aussi remarquable non seulement au plan d’une ouverture plus grande à l’autre, favorisant ainsi une meilleure empathie, mais aussi face à soi-même. Le beau, l’harmonie des formes réalisées à l’extérieur avec l’aide de l’aquarelle, ont un effet direct sur leur monde interne, leurs expériences de vie. Ceci est particulièrement identifiable lors de la dernière étape de l’atelier où les participants sont invités à regarder les différentes créations réalisées. Il est fréquent de les entendre se dire entre eux : « C’est beau ce que tu as fait ». Dans un contexte d’hommes, particulièrement en milieu carcéral où la parole n’est pas toujours facile, cette courte phrase est importante à souligner. Ces personnes ont été punies pour ce qu’ils « ont fait ». Le fait d’entendre ce type de commentaire à leur égard est favorable à l’adoption d’une nouvelle manière d’être. C’est par le regard des autres que s’établit bien souvent une première étape de changement de perception de soi, ils apprennent à être valorisés autrement.

Un dernier bienfait, et non le moindre, concerne le fait que plusieurs des participants découvrent de nouveaux moyens d’expression, le plaisir de peindre et de dessiner de façon quotidienne. Pour certains, c’est même la découverte d’un don, le développement d’un talent. La plupart expriment du moins à quel point cette activité leur permet de renouer avec leur potentiel créatif, mais aussi de voir là un espace où ils peuvent vivre autrement. Il est fréquent d’entendre des phrases comme : « Ça me change les idées », « Heureusement que je peux faire cela, car ça me libère le mental » ou encore : « Je communique avec mes enfants en leur envoyant mes peintures ». Chose certaine, il est impressionnant de voir ces hommes investir autant cette activité, voir cet empressement à prendre une feuille d’aquarelle et de commencer à peindre quelque chose qu’ils avaient en tête depuis quelques jours. Le tout vécu dans une urgence, ce besoin d’exprimer leur unicité, de donner un sens à leur existence. Comme le mentionnait l’un des participants : « Peindre me permet de continuer à vivre ici ».

Conclusion

Nous sommes reconnaissants auprès des responsables de l’établissement de détention provincial de Sherbrooke de favoriser l’installation d’un tel atelier d’art-thérapie. Ce studio libre, tel que décrit ci-haut, offre aux participants la possibilité de créer, mais aussi leur donne la capacité de renouer avec leur potentiel créatif. L’expression de soi par l’art, ayant recours à une dimension très holistique de la personne, impliquant le corps, la pensé, les rêves, la spiritualité, etc., donne aux participants la sensation qu’ils sont « encore » des êtres humains, qu’il y a espoir de se reprendre en main, qu’ils peuvent réaliser de belles choses. Ces participants profitent de ce moment d’art-thérapie pour venir se réaliser, se recréer, en transformant ce moment d’incarcération en temps de création et en exprimant à travers la couleur et le dessin les sentiments qu’ils ressentent. Avec le temps et la régularité, certains font l’expérience de la rencontre de l’art comme une nourriture, comme une nécessité à leur équilibre intérieur. Il nous semble clair qu’une personne qui s’identifie à ce qu’il fait, rend à terme un projet sur une base quotidienne, mets en place les premiers éléments pour une réinsertion sociale. Au minimum, il semble que ces ateliers affectent positivement leur manière d’être et de vivre.