Revue Porte Ouverte

L’art qui délivre

Par Jocelyne Labrèche,
Ph.D., psychologue et diplômée en art-thérapie, co-responsable du Diplôme d’Études Supérieures Spécialisées en art-thérapie à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

Art thérapie et réhabilitation sociale

Création artistique? Art brut? Art comme thérapie? Psychothérapie par l’art? Qu’entend-on lorsqu’on parle d’art-thérapie? En fait, l’art-thérapie fait d’abord référence à une fonction de la création artistique présente depuis le début des temps celle de représenter, symboliser, explorer, de primer... ce qui ne peut être dit avec des mots. Par ailleurs, elle constitue une véritable psychothérapie où l’accent est mis sur la représentation et l’expression des émotions et des conflits, dans un processus de création impliquant une production artistique.

Définition et spécificité

Processus d’accompagnement psychologique d’une personne ou d’un groupe, l’art-thérapie favorise l’expression créatrice comme principale modalité du processus psychothérapeutique (AATQ, 1986). Sa spécificité réside dans l’utilisation des média plastiques et de la création visuelle pour favoriser la croissance et le mieux-être de la personne ou du groupe.

L’art-thérapie est une jeune profession, développée aux États-Unis au cours des années quarante et cinquante et plus récemment au Canada et au Québec. L’Association des Art-thérapeutes du Québec est régie par un code d’éthique et des normes de pratique et elle exige de ses membres qu’ils répondent à des critères spécifiques de formation, notamment en psychologie et en arts plastiques.

L’art-thérapeute accorde une importance privilégiée à l’établissement d’une relation de confiance avec son client (Wadeson, 1987). Par ailleurs, il veille à procurer à celui-ci un environnement sécuritaire et rassurant, à l’intérieur duquel conflits et émotions fortes peuvent être accueillis et «déposés» sans crainte de désorganisation (Payne, 1993 : cité dans Saunders et Saunders, 2000). De même, la production artistique du client, «l’image», constituera un espace permettant de recevoir et de «contenir» des sentiments et des fantasmes qui autrement pourraient être envahissants (Gilroy et McNeilly, 2000). L’art-thérapeute invite la personne à dessiner, peindre, modeler ou réaliser des collages ou autres œuvres en deux ou trois dimensions. Pour ce faire, il lui propose des média d’expression plastique, crayons feutres, pastels secs et pastels à l’huile, gouache, aquarelle, peinture digitale, argile et il met à sa disposition différents matériaux, objets et outils permettant de réaliser de telles œuvres. Les média sont mis à contribution de façon à 1) mettre la personne en action dans un processus de création; 2) faciliter l’expression et la conscientisation d’émotions.

La production artistique en art-thérapie n’a pas a priori une intention esthétique, ni même représen-tative du réel. La simple ligne, forme ou couleur tracée sur le papier peuvent déjà exprimer quelque chose et ainsi porter bien du sens pour la personne. Bien sûr l’art-thérapeute s’attarde aussi à une image plus élaborée et à son symbolisme mais il tentera de suivre le processus plutôt que d’interpréter la production. Par ailleurs il sera utile que la personne elle-même y trouve un sens en rapport avec son vécu.

Par son utilisation des média artistiques, l’art-thérapie privilégie donc un mode actif d’expression visuelle et non verbale. L’art-thérapeute observe, soutient et accompagne la personne dans son processus de création et la guide dans un travail psychologique d’interaction avec l’œuvre créée.

Impact de l’art-thérapie

C’est d’abord Jung (1953) qui, après avoir constaté sur lui-même les effets bénéfiques du dessin et de la création en trois dimensions, a pris conscience de l’émergence de patterns, de symboles, de significations et d’une évolution dans ce que lui reflétaient ses créations. Il observe que même les clients qui ne savent pas dessiner s’absorbent dans cette activité qui leur tient à cœur. Il les encourage donc à s’engager dans un processus de création d’images, à partir de leurs rêves, leurs désirs, leurs fantasmes, leurs émotions. Enchanté, il découvre que l’acte de créer enclenche chez la personne un mouvement et la met en action dans un processus de prise en charge de son propre devenir.

D’une part, la mise en images n’est jamais représentation «exacte» de ce que la personne vit. Le processus de création, le regard qu’elle pose sur l’image et son interaction verbale avec elle l’amènent à découvrir, avec l’assistance de l’art-thérapeute, des aspects de son expérience qui ne lui apparaissaient pas autrement. Ainsi dans l’acte de créer la personne développe un pouvoir de conscientisation et d’action sur ce qu’elle appréhende et vit de façon confuse autrement. L’image qu’elle crée lui parle d’elle-même et de sa vie et lui permet
d’agir sur elle.

D’autre part, la création spontanée encourage la projection dans l’œuvre, même minimale, des fantasmes, désirs, conflits ou émotions les plus présents et les plus significatifs dans la vie de la personne. Par le biais de la création, sur une feuille de papier ou dans de l’argile, il y a projection à l’extérieur de ce qu’est la personne et de ce qu’elle vit. La personne agit sur l’image et la transforme (dessin, ajout de couleur, découpe d’une partie de l’image). Ce faisant, elle agit sur ce qu’elle projette d’elle-même dans l’image et le transforme. En complément, l’interaction avec l’image créée (identification, dialogue, récit, titre, description, conte) permet d’aller plus loin dans la prise de conscience de soi, et l’action sur son propre développement et sa propre vie.

Tel que le remarquent Saunders et Saunders (2000), nombre d’auteurs ont noté les effets positifs de la création artistique à l’intérieur d’un processus thérapeutique. D’abord, le processus de création apporte un apaisement, un réconfort, des réponses à des questions. Par l’exploration de l’imaginaire, il favorise la connaissance de soi, l’estime de soi, l’auto-contrôle et la créativité. Par le
contexte sécurisant qu’il procure de même que par l’intermédiaire des média et des images créées, il permet de développer l’habileté à exprimer et communiquer des émotions.

Domaines d’application et principes de l’art-thérapie favorisant son utilisation en réadaptation sociale

On peut avoir recours à l’art comme thérapie, c’est-à-dire utiliser l’activité comme telle, pour procurer un mieux-être à la personne. On peut aussi carrément faire de la psychothérapie par l’art, c’est-à-dire travailler directement avec la personne des objectifs de conscientisation, de changement et de travail sur soi en suivant son processus personnel et en intervenant de façon à favoriser l’évolution de ce processus.

Les domaines d’application de l’art-thérapie sont nombreux. Individuelle ou de groupe, elle s’adresse aux couples ou aux familles en difficulté, s’exerce auprès d’enfants, adolescents ou adultes, et ce, dans un contexte d’aide psychologique, d’intervention ou de réadaptation psychosociale ou psychiatrique... L’art-thérapeute se confronte à divers problèmes d’adaptation, à des symptômes reliés à la maladie ou au handicap, qu’ils soient physiques ou mentaux. Son action vise le soulagement du stress, de l’anxiété, des phobies, de la dépression.

Saunders et Saunders (2000) notent que l’art-thérapie constitue un traitement de choix pour les personnes qui ont de la difficulté à verbaliser et à reconnaître leurs sentiments et émotions, que ce soit à cause de leur âge, de leur stade de développement, d’un manque de confiance, de la peur de l’inconnu ou de la maladie mentale. Ils rapportent des études où l’art-thérapie s’est avérée fort appropriée entre autres pour des toxicomanes, de jeunes contrevenants accusés d’agression sexuelle et des enfants souffrant de troubles de comportements.

Enfin, plusieurs études font état de l’utilisation de l’art-thérapie dans les prisons (Gussak et Virshup, 1997). Certains avantages de l’art-thérapie dans ce contexte, mis en lumière par Gussak (2003), me paraissent pertinents quant au domaine plus large de la réhabilitation sociale. Ainsi, selon lui, l’art-thérapie : 1) exige des tâches simples qui peuvent susciter du matériel non accessible autrement; 2) déjoue les défenses conscientes et inconscientes et favorise la révélation de soi; 3) constitue un soutien à l’activité créatrice et procure diversion et évasion au plan émotif; 4) ne nécessite pas que le client connaisse, reconnaisse ou discute de ce que ses images révèlent; 5) permet au client de s’exprimer de façon acceptable pour lui et pour l’environnement; 6) peut diminuer des symptômes pathologiques sans interprétation verbale; 7) est utile dans un environnement immédiat lourdement handicapé du point de vue de la communication verbale et du développement cognitif.

En conclusion, selon moi, les principes mêmes de l’art-thérapie rendent son utilisation appropriée dans une perspective d’intervention en réhabilitation sociale. D’abord, elle met l’accent sur l’expression non verbale qu’elle canalise dans une démarche concrète de création qui ne nécessite ni verbalisation ni talent artistique. Ensuite, elle met l’accent sur le développement d’une relation de confiance et met en place un cadre thérapeutique rassurant. Les images qu’elle amène à créer servent d’intermédiaire entre la personne et le thérapeute, tout en procurant un «contenant» où déposer émotions et conflits. Enfin, elle met la personne en action, encourageant une prise en charge et une responsabilisation par rapport à la démarche thérapeutique, que celle-ci soit imposée ou entreprise de plein gré.


Sources :

Association des art-thérapeutes du Québec (1986). L’art-thérapie : un résumé.

Gilroy, A., McNeilly, G. (2000). The changing shape of art therapy: new developments in theory and practice. London: Kingsley.

Gussak, D. (2003). Drawing time: Art therapy in prisons. Communication présentée au 1er Congrès international d’art-thérapie, Budapest, avril.

Gussak, D., Virshup, E. (Eds) (1997). Drawing time: Art therapy in prisons and other correctional settings. Chicago, IL: Magnolia Street Publishers.

Klein, J. P. (1997). L'art-thérapie. Paris : P.U.F. Rodriguez, J., Troll, G. (2001). L’art-thérapie. Pratiques, techniques et concepts. Paris: Ellébore. Saunders E.J.,

Saunders, J.E. (2000). Evaluating the effectiveness of art therapy through a quantitative, outcomes-focuses study, The Arts in Psychotherapy, 27, 2, 99-106. Wadeson, H. (1980). The dynamics of art psychotherapy. New York: Wiley.